La presse des bandes – FBU & haptonomie (suite).

Textes d’Yves Tenret ainsi que plusieurs attaques et défenses des textes de ce dernier par diverses personnes, tous parus dans le n°145 d’Enfant d’abord en octobre 1990.

La presse des bandes – Mayonnaise d’été.

A cinq heures d’intervalle, deux personnes, qui ne se connaissent pas entre elles : une jeune fille qui fréquente assidûment les rappeurs parisiens et le directeur d’un centre de prévention, nous ont dit la même chose : « Les articles d’Anne Guidicelli dans Libération sont des incitations à la haine raciale. » Qu’en est-il ? Avant de faire le tour des articles de l’été, signalons quand même que le scoop « Les bandes sont de retour », parti de ce quotidien et de deux ou trois fait divers, a fait tache d’huile et poissé la presse quotidienne, la plupart des hebdomadaires et des mensuels. Anne Guidicelli dans « Jeux de bandes dans la ville » (Libération, 15/6/90) décrit des jeunes armés de couteaux, de pistolets à grenailles et de fusils à pompes attaquant non seulement des bandes rivales mais tout ce qui passe et violant à tour de bras. « Agressions, dépouilles, viols, descentes : les crimes et délits caractéristiques et récurrents de la population-bandes. » Elle ajoute : « Autour de ce phénomène mal identifié, l’imaginaire public s’échauffe, brassant vraies et fausses informations. »

Elle est bien bonne celle-là ! Qui crie au loup ? Qui monte en épingle des anecdotes ? Qui essaie de faire croire à l’existence d’une quasi-armée aux portes de la ville, qui rend parano monsieur Tout-le-Monde ? Qui identifie blacks et bandes ? Qui fait imprimer les conneries suivantes : « Dans cinq ans, Paris sera comme New York », « …maintenant, il faut avoir son gun. Parce que tout le monde en a » ? Qui prend pour argent comptant des propos tels que « les Requins juniors s’estiment environ 600 » ? Qui, et cela en accord avec les flics de la Brigade des mineurs, insinue que les filles ne se font pas violer mais sont consentantes ? Qui, qui, qui ?

Ajoutez à ces prétendues informations un lexique ridicule composé à 90 % de verlan et vous avez le fond de sauce. Des articles comme celui-là semblent être écrits pour inciter les jeunes à se regrouper dans des groupes ethniques. Et faire passer ceux d’entre eux qui ont des projets positifs pour des caves, des paumés, des ringards. Le Parisien, lui aussi, est à son affaire et titre « Agressions – Bagarres. L’été chaud des bandes de banlieue» (31/7/90) ou bien : « Contre les bandes, une brigade antiviolence » (13/8/90). Un plan de six départements avec les villes « sinistrées » agrémente ce deuxième article.

Fin mai, L’Événement du jeudi s’était occupé des skinheads, marchandise entre toutes affriolante, avec une « plongée chez ces jeunes qui font peur », en juin Paris Capitale sacrifie un article intelligent au sensationnalisme des titres : « La guerre des zulu fait une victime », chapeaux et photos. L’une de ces photos, puant la commande journalistique, représente des jeunes sur le toit d’une voiture taguée, en légende : « Les bandes n’épargnent même plus les voitures particulières. »

Le Monde dans «L’été zoulou» (11/8/90) ramène avec force les pendules à l’heure locale. Philippe Broussard démystifie calmement les rumeurs. « Paris imiterait-il New York… La comparaison tient du fantasme. » Une centaine d’interpellations depuis le début de l’année (ce qui est très peu), dix-sept incarcérations. Il explique qu’à la base le mouvement zulu d’Afrika Bambaataa aux Etats-Unis était non-violent, antidrogue et pour des activités saines telles que le Rap ou les Tags.

(C’est Rock & Folk — 8/9/90 — qui, par ailleurs, nous apprend qu’aux States, cela n’a pas marché à cause de l’arrivée en masse du crack.)

Broussard parle du verlan, de familles disloquées, d’endroits qui n’ont rien d’un coupe-gorge, d’un chef de bande qui est contre les viols et les agressions et surtout il dégonfle le Zeppelin des blékas de la rue Béranger :.« Paris, avec sa cinquantaine de bandes, n’est sans doute pas Los Angeles où six cents gangs sont répertoriés. Le phénomène concerne tout au plus quelques centaines de jeunes. Ils ne semblent pas liés au trafic de drogue et l’intérêt que leur portent les médias est certainement disproportionné. Les Requins juniors, que certains (cf. Libération) annoncent forts de deux cents ou trois cents membres admettent eux-mêmes qu’ils sont tout au plus une quarantaine. D’autres gangs prétendus redoutables se limitent à cinq individus ! »

Mais dans Présent, des « hordes » se livrent à des « affrontements sanglants », les « exactions » se multiplient, un adolescent est « lynché », « deux bandes démantelées ». Pour le quotidien d’extrême-droite cette histoire de « bandes ethniques » est pain bénit : « Ayant proclamé leur engagement antiraciste, les voyous ont été très étonnés de n’être pas immédiatement libérés », etc. (juin, juillet, août).

Le Nouvel Observateur (9-15/8/90) chochotte comme à son habitude, redonne — une de ses spécialités — le lexique, la carte paranoïde et, toujours aussi Marie-Chantal, la liste des « objets fétiches ». Avec leurs prix ! Cela donne : « Webel Goy Country. Blouson en cuir et toile. Se porte très ample. 800 F. » Faut le faire, non ? Et sur le même paradigme : « Il y a Tag et Tag. Sachez les reconnaître… Tag, Tag « wild style », Turp and Toy »… S’ajoute à ce multi-pack la touche d’intellectualisme sans laquelle le « Nouveau Snob » ne serait plus lui-même. Ce zeste est une interview de François Dubet, auteur de La Galère : jeunes en survie, livre qui fait autorité sur le sujet.

Dubet est dubitatif. Il fait un rapide historique des bandes françaises puis, inspiré, constate que 2 et 2 font 4 : « Ce qui me paraît caractéristique aujourd’hui, c’est que les bandes ne se reconstituent plus sur des thèmes de classe mais sur des thèmes ethniques. » Répondant ensuite à une question que n’aurait pas renié le Parisien : « Ces bandes sont-elles dangereuses pour la société ? », il démontre à quel point le monde reste figé pour les non-dialecticiens : « Gardons-nous d’une vision romantique ou folklorique des choses. Ce serait commettre une grave erreur. En fait, il y a deux facettes, l’une positive, l’autre négative. L’aspect positif, c’est que les banlieues ont cessé d’être ce monde du silence qu’elles étaient ces vingt dernières années (…). Mais il v a aussi l’aspect négatif: on trafique, on rackette à la sortie des lycées, on exploite les filles. Et surtout on n’existe que dans l’affrontement avec l’autre. » Il constate aussi qu’il n’y a pas de bandes de beurs et que cela pourrait signifier qu’ils sont mieux intégrés qu’on ne l’imagine d’habitude.

Enfin et dernier en date, Actuel (sept. 90) publie un reportage de Jean-Marc Barbieux qui suit le chef des Black Dragoons depuis un an, reportage parsemé de notations intéressantes. Surtout celle-ci : les bandes sont en train de se décomposer ! Elles n’ont pas résisté à l’assaut des médias, aux premiers incidents sérieux, à la répression policière et à la vendetta dans laquelle elles s’engageaient.

Qui a zone en banlieues, qui y zone, sait que le désarroi dans lequel y sont les jeunes, du moins ceux qui fantasment la mauvaise conscience de notre « petit bourge », rend difficilement crédible l’idée d’une culture d’opposition jaillissant en génération spontanée.

Adieu donc chers « Nique ta mère », « Requins vicieux » et autres « Derniers salauds ».

Yves Tenret

Courrier.

Il y a façon et façon de dire… (…) J’ai lu très attentivement votre article concernant la secte « la fraternité blanche universelle » et ce avec d’autant plus d’intérêt que j’ai connu celle-ci par l’intermédiaire d’une collègue de travail (domaine social) et en ai approché les fonctionnements pendant trois ans – sans jamais y « pénétrer » -(mon éducation m’a en effet préservée du pire comme du meilleur : un peu à la façon des préservatifs quoi !). Mais soyons sérieux : je suis absolument d’accord sur ce que vous retransmettez du contenu de « l’enseignement » de cette secte, que j’ai trouvé très fidèlement rapporté par vos soins : vibrations, culte rendu au soleil, imprégnation des cellules, etc. C’est évidemment une gigantesque supercherie ! Par contre, je suis absolument scandalisée par votre façon de traiter les adeptes de cette secte : quel mépris et que de sarcasmes de la part d’un journal tel que le vôtre ! Condamner la secte pour ce qu’elle véhicule d’accord, mais pas ceux qui s’y sont laissé prendre. Pour qui vous prenez-vous vous-mêmes, pour traiter les adeptes « d’esprits faibles », de « terreau impatient » et dire qu’il faut fouetter « ces groupies de sarcasmes salutaires ». Apprenez que les sarcasmes ne sont jamais salutaires, même ceux venant d’Enfant d’abord ! Ne vous en déplaise, mais vos termes ne sont pas loin d’être identiques à ceux qu’emploient les membres de la secte vis-à-vis de ses « ennemis ».

Votre article est d’un intérêt certain pour dénoncer de tels abus, mais il aurait fallu aller plus loin et analyser un peu ce qui fait que de telles choses rencontrent ce succès. Je dirais sans prétention que la secte nous en donne elle-même les éléments. Il est bien question en effet d’un Père et d’une Mère, de leur union et de ce qu’elle a « donné » : un enfant, un Enfant qui doit parfois lutter pour se trouver lui-même, pour reconnaître son propre Désir (en voilà des majuscules ! Ndlr), étouffé mais encore là. Cet enfant devenu « adulte », en âge en tout cas, cherche plus ou moins heureusement mais désespérément à ce qu’on le révèle à lui-même. Seulement voilà, à force de se chercher, les pistes se sont brouillées. Qui est là pour lui donner l’impression d’avoir trouvé « la bonne piste » ? Des individus tels que le fondateur de cette secte qui, à défaut de s’être compris lui-même, a compris le parti qu’il pouvait en tirer ! Avec un peu de rancune, je crois que je vous achèterai encore le mois prochain (je ne suis pas décidée à m’abonner, préservatif oblige)…

Merci de ne publier que mes initiales et mon département d’origine. C’est « top secret » entre nous. C’est un peu « les tripes » qui ont parlé, mais que voulez-vous à défaut d’être sectorisée… Votre réponse m’obligera en tout cas.

B.F., Landes.

Je laisse aux auteurs de l’enquête le soin de répondre globalement à l’ensemble des lettres concernant ce sujet sur le fond. Je voudrais seulement dire qu’Yves Tenret, avec les mots et le style qui sont les siens, défend une idée que, personnellement, je trouve essentielle aujourd’hui : en finir avec la commode utilisation des boucs émissaires.

C’est la faute à la société, c’est la faute aux chefs, c’est la faute à Tartempion, c’est la faute à l’autre ! Coupable, moi ? Jamais ! Les gourous des sectes ont leur responsabilité, leurs adeptes aussi. Il ne peut y avoir d’un côté condamnation et de l’autre infantilisation. Il vaut sans doute mieux «fouetter ces groupies de sarcasmes salutaires » que de les traiter en irresponsables. Tant que chacun de nous ne sera pas convaincu de la nécessité de son implication personnelle et de la remise en cause sans complaisance de ses faits et gestes, il y aura toujours place pour les gourous, les sectes et maîtres à penser en tous genres. Pour finir, j’ai comme une idée que nos chemins vont continuer à se croiser, que «votre rancune salutaire» ne vous empêchera pas à terme de vous abonner. Que notre identification, dans votre esprit, au vocabulaire d’une secte fera long feu, dans la mesure où vous pouvez dire et exprimer ici même tout ce qui vous chante et vous enchante !

Yvonne Quiles.

Quelle virulence !

Concernant votre enquête « maternités sous influence », j’aimerais faire les remarques suivantes : pourquoi vous en prendre d’une manière aussi virulente à l’Anep (mouvement que je ne connais pour l’instant que par votre article) ? Certes, il y a un certain nombre de théories qui peuvent paraître discutables ou risibles, surtout comme vous les présentez !

Mais l’influence de la vie prénatale et de l’environnement prénatal sur la vie et l’équilibre futur de l’individu est une réalité que de moins en moins de scientifiques sérieux osent encore rejeter aussi catégoriquement. Cela me donne l’impression que l’intolérance notoire de l’Unadfi et du centre Roger Ikor (qui ont collaboré à cet article) vous a poussé à des amalgames douteux et à des généralisations excessives qui nuisent plus qu’ils ne les servent, aux thèses que vous défendez.

Ph. Descarpentier, Asnières.

Chapeau pour votre culot ! J’ai reçu Enfant d’abord avec votre article sur l’Anep. Chapeau ! En même temps, ça me donne la trouille au ventre, pour deux raisons. La première parce que effectivement l’infiltration est sournoise, imprévisible mais bien calculée, la deuxième est ce culot que vous avez eu… Je salue donc votre courage et votre parler franc. C’est brillant, intellectuellement et cela ne laisse pas beaucoup de place à la médiocrité. On sent, après cette lecture, un besoin de respirer, d’intégrer cette remise de pendule à l’heure. Êtes-vous toujours aussi polémiques ? Si oui, quelles pointures ! Je vous souhaite beaucoup de lecteurs…

Geneviève Soulier, Montpellier.

Bien, votre enquête mais qui va comprendre ? (…) Évidemment, je lis Eda régulièrement puisque abonné, pas toujours à fond certes (problème de temps). Intello ? Votre journal l’est toujours. Le dernier numéro sur les sectes (Anep) m’a bien informé, mais je ne sais si la future maman sans sciences, ni médecine dans sa tête aura été bien convaincue de la démonstration. Il faut un certain « bagage » pour lire ce genre d’articles. Mais continuez ! Surtout le courrier des lecteurs ! Bon courage.

MM, Parthenay.

Madame B.F., les sarcasmes sont toujours salutaires. Ils sont le vent du large, air pur, politesse de l’esprit. Le respect de l’autre passe par sa reconnaissance et pour moi qui pense que la politique c’est les moeurs, la vérification d’une politique se fait toujours sur le comportement et la vie quotidienne du « militant ». Monsieur Descarpentier, notre exaspération est réciproque. Votre conception de la tolérance est un sophisme. Aujourd’hui, ne pas s’intéresser à la numérologie ou démontrer que la Scientologie est avant tout une affaire commerciale est identifié à du fanatisme. Elle est bien bonne ! Le consensus mou dans lequel nous baignons ne me fera pas oublier ce que furent le papisme, le calvinisme, l’hitlérisme, le stalinisme et ainsi de suitisme. Si, à l’époque, on avait démystifié le crucifié, neutralisé Big Brothers ou réussi à être tous des individus antisectes, le monde n’en aurait-il pas été meilleur ? Madame Henry (voir sa lettre plus bas), la sophrologie c’est le meilleur et le pire. Oui aux obstétriciens, stomatologues et dentistes sophrologues qui ont été formés à cette discipline dans le cadre de leurs études. Non à la sophrologie attrape-gogos dont sont parsemés les petites annonces des magazines obscurantistes. Pour ma part, j’ai une vive sympathie pour le training autogène du docteur Schultz, technique qui responsabilise ceux qui le pratiquent. De plus, mes trois colonnes sur la sophrologie dans le n° 141 me semblent avoir été écrites avec bienveillance…

Yves Tenret

DROIT DE REPONSE

Madame MX. Busnel, le professeur J.-P. Relier et le docteur S. Biziaux nous ont adressé le communiqué suivant : Suite à l’article publié dans votre revue de juillet 1990 sous le titre : « L’Anep, infiltration dans les milieux de la périnatalité ». de Mme Monteggia et M. Tenret, nous tenons à apporter une précision importante : nous avons été sollicités par l’Anep pour parler des «Influences sonores dans le développement prénatal », ce qui fut fait lors de communications scientifiques, comme a n’importe quel congrès et en toute liberté par rapport à l’Anep à laquelle aucun de nous trois n’est affilié.

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Haptonomie : science ou idéologie ?

Enfant d’abord débloque.

Trois colonnes sur l’haptonomie parues dans le numéro de mai ont fait rebondir le mécontentement dans le courrier adressé la rédaction. Nous publions en page suivante la lettre que nous ont adressée les proches de Frans VeIdman, fondateur de l’haptonomie et qui résume les griefs de l’ensemble. Que nous dit cette missive ? En gros, qu’Enfant d’abord débloque. Et ce mot de jouer aussitôt dans ma tète…, dans un ricochet il fait entendre son double sens. Enfant d’abord décoince : je suis d’accord et même je l’espère bien. Cela me donne l’occasion de préciser ici quelques uns de mes repères dans la conduite de ce journal. Tout d’abord, je m’efforce de travailler avec des collaborateurs dont j’estime la sincérité, l’obstination dans la quête d’informations et la pugnacité. J’exècre dans ce métier de journaliste qui est le nôtre, l’inculture, le dilettantisme et l’absence de pensée. Vous remarquerez que nos journalistes ont pour la plupart d’entre eux un style d’écriture qui leur est très personnel. Ce n est pas un hasard. Le style est là lorsqu’on a passé les petites et les grandes peurs de se dire tel qu’on est, lorsqu’on s’expose vraiment en signant sa pensée et sa parole. Je demande à mes collaborateurs ce courage-là. Je leur demande de ne pas se mouler dans l’attente supposée d’un lecteur moyen, parce que des gens moyens ça existe pas, et si certains peuvent en donner l’apparence, c’est qu’ils tiennent enfermées en eux leur vitalité, leurs couleurs, leurs différences. Il arrive pourtant que je publie des textes « plats comme des trottoirs de rue » dirait Flaubert et des informations insuffisamment travaillées. Je m’en veux ! Je grimace de subir ces lois de la presse qui font qu’on est souvent trop pressé car il faut « tenir » le planning pour « sortir ». Mais c’est peut-être l’impossible perfection d’un numéro qui donne le ressort de mettre en œuvre les suivants… Malgré le produit fini, toujours en deçà du rêve et de l’exigence J’espère pourtant avoir offert avec ce journal un espace de liberté vraie pour ceux qui l’écrivent et ceux qui le lisent Nos contradicteurs ne sont pas nos ennemis et nous ne fusionnons pas avec ceux qui sont d’accord avec nous. Le décollement préserve l’écart nécessaire pour que l’échange demeure. Et la diversité ! Diversité des approches, des opinions et des styles… La rubrique courrier n’est-elle pas le témoignage de cette constante interaction entre lecteurs et rédaction, entre lecteurs et lecteurs ? Les tempéraments s’y montrent et la verve s’y risque, encouragés me semble-t-il par le franc-parler de nos collaborateurs. Insolent et provocateur à ses heures. Enthousiaste et affectueux à d’autres. Peut-on mettre tout cela dans un journal ? Faudrait-il le garder pour chez soi et, seulement devant ses intimes, livrer ses contradictions ? A Enfant d’abord nous jouons avec cette question-là. Comme les enfants en quête de limites, me direz-vous. Peut-être. L’enfant en soi fait faire bien des choses. A nos âges, j’aimerais que cela soit avec le talent d’une équipe aussi débloquante que débloquée.

Nadia Monteggia.

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A la Rédaction d' »ENFANT D’ABORD »
à l’attention de Madame N. MONTEGGIA
7, Cité Paradis
75010 PARIS

Paris, le 27 Juin 1990

Madame,

Lecteurs d' »Enfant d’abord » nous ne pouvons que nous interroger sur ce « dossier de la sensorialité foetale ». Un technicien, remplissant une éprouvette, préside à l’étude des « différentes pratiques, telles que l’haptonomle de Franz VELDMAN, l’oreille électronique d’Alfred TOMATIS ….etc. « ce qui est d’emblée une moquerie, une dérision.

Des le début, vous persiflez à propos des « progrès dans la Connaissance de l’Humain ». « Excusez du peu ». Et pour Juger de la valeur de l’haptonomle, vous utilisez le témoignage d’une femme qui a mêlé haptonomie et méthode LAMAZE d’accouchement sans douleur »; c’est à dire que vous amalgamez deux choses incompatibles. Vous le savez, mais vous n’en tenez pas compte. Est-ce sérieux?

Vous pouvez répondre que ce n’est pas vous qui mélangez relation haptonomique, (ou art de vivre) et méthode d’accouchement, mais c’est bien vous qui avez choisi ce témoignage, et pas un autre.
Vous utilisez des extraits du Cahier du nouveau-né, intitulé l’Aube des Sens, article de Catherine DOLTO, et vous en faites une citation faussée, pour lui faire dire que « côtoyer VELDMAN est aussi fascinant que de fréquenter un gourou », ce qui laisse entendre que pour elle il serait l’équivalent d’un gourou, (ce qu’il n’est pas) mais cela vous permet dans la suite de la phrase de lui prêter un Jugement sur « l’aspect spectaculaire des démonstrations du maestro batave ».

Comment pouvez vous écrire dans votre revue de tels propos sans les signer ? Est-ce Y. TEURET (sic !) qui a écrit ce texte, ou Nadia MONTEGGIA?
Voue avez le droit d’écrire dans vos colonnes que F. VELDMAN a « commis » un livre « franchement défrisant ». Si cela « défrise » vos cheveux, c’est peut-être par ce que vous ne l’avez pas lu. Ce besoin de tendresse et de confirmation, vous ne l’avez jamais senti? qu’en pensez-vous? « Sans doute, peut-être, pourquoi pas? » Votre réponse n’est pas claire. Mais vous attaquez aussitôt : l’agressivité, l’insécurité seraient aussi nécessaire !si).
Allez y, traumatisez les nourrissons, insécurisez les encore plus, avec TCHARKOWSKI! Mais, alors, changez le titre de votre revue « L’enfant d’abord ».

Ce « positif » dont ou vous « sature en ce moment » vous le résumez de façon bien curieuse: tics de littérature, étymologies mystifiantes, concepts bidon, vues naïves » etc..

Voulez vous que ce Jugement soit affiche à l’entrée du Congrès International d’Haptonomie, pour que les participants soient informés et donnent leur point de vue sur la valeur de cet article, qui prétend que l’aspiration au bonheur est une ineptie, doublée d’une ignorance de l’inconscient.

« Pour les Câblés » que vous traitez de « néo-babas intolérants béni-oui-oul qui puant la certitude, » vous êtes bien intolérants; nous ne pouvons qu’interroger l’usage que vous faites des citations des « Cahiers du nouveau né » et de l’article de M.C. BUSNEL et E. HERBINET pour, en conclusion, couvrir cette littérature partisane. Si les cahiers du nouveau-né, et le GRENN, dans son ensemble, ont depuis 10 ans, promu et soutenu en France, (et dans d’autres pays) le travail de F. VELDMAN c’est parce qu’ils avaient reçu et lu son travail dans une « autre » perspective: négligeant l’anecdotique, qui n’est pas essentiel, ne vaudrait-il pas mieux s’ouvrir à ce qui va permettre à l’enfant de naître, de vivre … de sourire … de grandir … de crier si vous le préférez ?

Ne pourriez vous pas nous rejoindre si vous voulez poursuivre avec « l’enfant d’abord », au lieu de vous égarer dans d’ignobles arguties, en perdant toute crédibilité.

Avec l’expression de nos sentiments attristés mais respectueux, et avec les amitiés de nos enfants aux vôtres.

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AINSI DIT-ELLE Droit de réponse à Catherine Dolto – Tolitch.

Dans « Les Cahiers du Nouveau-né », Numéro 5, intitulé l’Aube des sens, je dis : « Il me semble trouver, rassemblés dans l’Haptonomie, des bribes, des éléments que je remarquais ici et là dans la pratique des thérapeutes qui, le plus souvent, fonctionnaient comme des gourous. Rien de tout cela chez Veldman, bien que sa fréquentation soit tout aussi fascinante que celle de bien des gourous. »

Dans votre article, cela devient :
«Catherine Dolto nous apprend dans l’Aube des sens que côtoyer Veldman est aussi fascinant que de fréquenter un gourou, et que privilégier l’aspect spectaculaire des démonstrations du maestro batave est trahir sa pensée. »

Outre que le mot « maestro » est en lui-même insultant et ironique, on voit manifestement que le sens de mes propos a été déformé, d’autant plus que cette phrase a été tirée d’un contexte de plusieurs pages dans lequel évidemment je démontrais l’aspect rigoureux et scientifique de l’Haptonomie.

Je vous demande donc de faire paraître intégralement ces deux citations, accompagnées du texte suivant :

Mise en cause par le journaliste de l’Enfant d’abord, je suis indignée de la façon dont mes propos ont été déformés, sortis de leur contexte, et utilisés pour servir ses idées sur l’Haptonomie. Je ne souhaite pas critiquer ici cet article tant la façon dont il a été fait, partiale et malhon¬nête selon moi, donne peu prise à la moindre discussion sérieuse. Il m’est simplement important de faire savoir, dans ce même journal, que je n’ai jamais pris Frans Veldman pour un gourou, et qu’au contraire c’est pour moi un savant qui apporte des choses passionnantes et très importantes pour l’humanité à travers l’Haptonomie qui n’a en aucun cas été vraiment traitée dans cet article.

Une lecture partisane

Yves Tenret écrit comme s’il avait le droit de dire ce qu’il pense. Mis en cause pour son appréciation du livre Haptonomie de Frans Veldman, il persiste et signe. Avec les détails.

Ainsi c’est à moi qu’il appartient de dégonfler cette baudruche, de périmer cette omelette norvégienne farcie de certitudes. Haptonomie (PUF 1989) de Frans Veldman est un produit typiquement classes moyennes, c’est-à-dire, pour reprendre l’une des formules de Pierre Bourdieu, l’œuvre de quelqu’un qui est « porté à se tromper plutôt qu’à tromper » (Un art moyen, 1965). Bref, puisque cette grenouille se prend pour un bœuf, nous serons l’aiguille. Une sage-femme a téléphoné au journal pour me reprocher ma prétention. Elle qui pratique, m’a-t-elle dit, depuis dix ans l’haptonomie ne s’autorise pas encore à en parler et n’a pas tout compris au livre. Mon avis est que ce livre est mal pensé, mal écrit. C’est une automystification et c’est pour cela qu’il est difficile à lire. Utiliser dans un ouvrage comme celui-là des formules telles que « l’âme humaine » (p. 19), «non-initié» (p. 20) ou « l’essentialisation-de-soi » (p. 353) est démagogique. La première ligne du premier chapitre — « L’interaction permanente entre l’homme et le monde-de-vie qui… » — contient déjà une enflure (« le monde-de-vie ») qui ne sera jamais définie par l’auteur et qui illustre bien sa frime pseudo-conceptuelle. La chose comprend deux parties. La première traite des « Considérations fondamentales et arrière-plans » et la seconde de «La science de l’haptonomie ».

Il suffit de parcourir d’un œil, même distrait, le sommaire pour y relever ample matière à exciter la verve de tout moderne Molière qui se respecte. « L’Extensus Insensus, Rationalis, Affectus ou Concentus » ne valent-ils pas leur poids de pédanterie en tomates ? « L’Assensus, le Circumsensus, le Persensus, le Réciprotonus, etc. » ne sont-ils pas là pour inciter toute personne douée d’un minimum de sens critique à jeter le pavé puffien dans la mare new-âgeuse ? Veldman incarne vraisemblablement à merveille le principe de Peter. De rebouteux sympathique, extraverti et chaleureux, de généraliste pétri de bon sens, il a voulu passer à bâtisseur d’une nouvelle « civilisation ».

L’homme nouveau nous fatigue et la fatigue, c’est vrai, nous rend agressif. Il y a là un paradoxe : c’est notre modestie qui nous force à donner de la voix. L’idiosyncrasie veldmanienne fonctionne sur la « confirmation », IV affectivité » opposée à la méchante « effectivité » (graphie d’origine) et sur «accompagnement », toutes positions ferme-ment antidialectiques donc à l’antipode de notre goût et de notre foi en la vie. Essayons maintenant de résumer rapidement cette «science de l’affectivité ». En gros, on la perçoit comme étant dogmatique, défendue sans souplesse par quelqu’un qui a perdu l’habitude de débattre et qui doit très mal supporter d’être contredit. Eh oui, il y a des banalités qui restent d’une fraîcheur incorruptible : celle-ci par exemple : le pouvoir pourrit absolument. Par ailleurs, chacune des 500 pages contient sa ou ses récriminations. L’ensemble est réactif, poujadiste, fait un procès au progrès et pose en victime tout en s’identifiant à on ne sait quelle « civilisation ». Bien sûr, pour les potiers et les macrameuses tout va trop vite, les jeunes se droguent, se suicident et le « néo-structuralisme » (sic) déracine les néo-consommateurs. La biotechnique est, elle, carrément diabolique. Mais heureusement, l’ère du Verseau est à nos portes. « Malgré l’époque extrêmement destructrice dans laquelle nous nous trouvons encore…, on voit apparaître des possibilités de parvenir enfin à tel ordre mondial (« bienveillant »), à une civilisation supérieure et ceci d’une façon qui ne peut guère nous tromper. Pour comprendre ces signes, un passage s’annonce, d’un genre humain divisé, où les hommes se combattent et s’entre-détruisent encore, à une humanité rassemblée, dans laquelle les hommes vivront convivialement, dans une estime et un respect mutuels, à la mesure de leur égale valeur humaine» (p. 33-34). Ben, voyons !

Tenret est un cannibale

Le livre comprend un appendice exposant IV abrégé des concepts fondamentaux de l’haptonomie ». L’ « hapsis » en est bien évidemment le principe premier. Et l’hapsis fut… Elle est « libido vitalis » et « intentionnalité vitale ». En prime, on reçoit une boîte à outils contenant une «vis intellectiva», une «vis aestimativa », et une « vis cogitativa ». L’homme ancien était pervers poly¬morphe, libidineux et taré. Celui qu’on nous annonce sera sain, propre et rose. Mais qu’est-ce qu’on peut bien faire avec des conneries pareilles? Du vent? Vous me pensez méprisant, schématique, terro¬riste ? Bon d’accord… Ne venez pas vous plaindre après. Si je continue c’est à cause de vous, tout comme c’est vous qui aurez voulu cette autre citation. « Les désirs vitaux, libidinaux, représentent des dispositions humaines qui donnent sens et contenu à la vie. Ils excellent dans l’aspiration au Bien-en-soi supérieur, le « Bon » moral — Bonum Honestum — ; aspiration qui, par sa nature, révèle un trait fondamental de l’Être-Humain» p. 460). Ça colle aux dents, non ? Et ces majuscules, quelle bêtise… La référence à prétention philosophique est la phénoménologie. Rien à voir avec celle de l’esprit. Il s’agit ici d’une resucée qui a bien sûr ses exclus, en l’occurrence Heidegger et Sartre, feu l’agité du bocal. Mais pourquoi ? Parce que chez eux, dans leur « monde », « l’amour et l’affectivité ne trouvent aucune place » (p. 127). Et dans le même mécanisme, Freud est décrit comme un « monomane » du « ratachement de la libido à la sexualité» alors que le petit père Jung pour qui tout est dans tout et qui a tenté de noyer Freud dans une prétendue universalité des symboles… quel homme ! (p. 108). Mais nous voilà loin du « contact empathique tactile-happerceptif » (p. 461 ). B. Après le Circumsensus proche ou lointain, Tectus ou Intectus, le Persensus et le Transsensus (désolé mais c’est comme ça que le showman écrit…), nous arrivons au Consensus Haptonomicus, mélange de syntonie et de synergie. Les bras m’en tombent, mes paupières sont à la fête et ma patience s’use. Mission impossible? 100% sirop: mon futur diabète tapi dans l’ombre des pages ricane. « La Philia haptonomique représente la disposition humaine à un amour-de-confirmation candide, sans réserve, sans parti pris, sans préjugés, désintéressé, qui, par sa qualité universelle se dirigeant vers l’humain, dépasse l’amour dual de partenaires et d’amis (sans l’anéantir)» (p. 463). Et croyez-moi, en vérité je vous le dis, mes vieilles frangines, mes fidèles amis, tout est du même tabac ultra-light…

L’haptonome doit être «confirmé» (p. 411). Il « offre la vie» (id.). Sincérité, fiabilité, ouverture, identité, véridicité. authenticité, etc., bordel que tous ces termes dont notre scripteur abuse sans vergogne sont d’une intentionnalité creuse, intentionnalité qui frise sans cesse la niaiserie mais qui de plus aimerait tant censurer la grande saga que sont nos vies cannibales et si merveilleusement ambiguës. Divin Marquis, ô toi qui lutta tant pour nous, reviens !

L’effectivité est employée ici entre autres comme synonyme d’intellectuel, personnage vu comme un handicapé du sentiment. Je ne citerai pas les noms de tous ceux qui infirmeraient ces généralités grotesques. Il y a des préjugés qui ont la vie dure !

Tout ça est décrit, comme à chaque fois dans la littérature mystifiante, en stades. Par exemple, un minable « Insensus», s’il s’applique, peut passer du moyen « Rationalis » au grade d’initié dénommé en jargon haptotruc « Affecius ». Quelle misère mentale ! Les très réussis étant, — tenez-vous bien —, « Extensus Concentus » !

En D, nous trouvons «les variâmes du tonus», celui du soma et celui de la psyché, muscles, tensions, organes et leurs paisibles métaphores et tout cela bien sûr « du côté de l’âme ». Le tonus se divise ainsi que le reste en rogatons et peau de balle dont l’astucieux « tonus-de-représentation ».

E. la joue franche. Il décrit « les phases d’initiation ». « Obvium » est rencontre, « Admotio », l’aspect tactile de cela (avec of course divers sous x-y-z), le « Prorogatio», le prolongement, le « Corporatio », l’incorporation de toute cette soupe (et de son saint nom ?) et le « Pervium » plane pour vous…

Et pour finir, ouf…, F. annonce l’impérialisme possible et désiré sur tous les domaines envisageables : haptopsycho-thérapie, haptopsychagogie, hapto-analyse (régression guidée), haptothérapie, haptosynésie (aussi utilisable par les travailleurs sociaux…), hapto-obstétrique, kinésionomie (« l’accent est mis sur le mouvement en tant que moyen (médium) représentatif du fonctionnement humain » (p. 479). Et voilà le gadget… Les hôpitaux sont déshumanisés, paraît-il. Sans doute. Pour ce qui est des pratiques haptonomiques, la question reste ouverte. Je n’ai parlé ici que de l’aspect théorique tel qu’il se donne à lire.

Yves Tenret

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Il y avait un dessin de Pessin dans un des n° suivants d’Enfant d’abord que je n’ai pas retrouvé. Un grand type habillé en robe de gourou disait : « L’Est, c’est le yang, le Sud, c’est le yin ». Et un petit type avec des lunettes rondes et des cheveux longs lui répondait : « Et ma main sur ta gueule, c’est quoi ? »

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