LA SENSORIALITE FŒTALE (et l’haptonomie, la sophrologie, la méthode Tomatis, etc.).

Textes écrits par Yves Tenret et parus dans Enfant d’abord, n°141, en mai 1990.

LA SENSORIALITE FŒTALE – LA PRUDENCE DES CHERCHEURS

Marie-Claire Busnel et l’équipe constituée autour d’elle, Benoist Schaal pour l’olfaction et la gustation, Carolyn Granier-Deferre pour l’audition et d’autres sont à la pointe de la recherche sur la sensorialité fœtale en France. Que sait-on exactement aujourd’hui sur ce développement ?

Si plus aucun chercheur ne considère actuellement la naissance comme le moment originel de la vie sensorielle, le développement des études sur la sensorialité fœtale est pourtant récent. Cela ne fait pas plus de 30 ans qu’a été posée l’hypothèse de la réceptivité du fœtus et des apports fondamentaux pour le développement du cerveau des stimulations qu’il reçoit dans l’utérus.

Ce que l’on sait.

Cette hypothèse a reçu de nombreuses confirmations mais avant les années 60, peu de chercheurs ou cliniciens pensaient que le fœtus ressentait quelque chose. Dans les années 70, certains voulaient encore limiter les perceptions du fœtus aux sensations tactiles. Aujourd’hui, après avoir constaté que le nouveau-né possède des systèmes sensoriels actifs dès avant la naissance, on considère en outre que leurs capacités sont bien plus proches de celles de l’adulte qu’on ne l’imaginait. En effet, pour être fonctionnel, un système sensoriel n’a pas besoin d’être anatomiquement terminé, mature, achevé. Pendant la fin de la vie fœtale, les six sens fonctionnent et alimentent le cerveau en informations diverses. Ce cerveau croît et se complexifie en interaction avec le développement des sens. L’observation du fœtus a connu, il y a 10 ans, une mutation avec l’apparition et la banalisation de l’échographie. Ce qui n’était jusque-là que spéculations ou observations sur des cas pathologiques est devenu une méthode d’approche fiable de tous les moments depuis la conception. L’échographie permet non seulement de visualiser le fœtus mais aussi de pratiquer des prélèvements, des transfusions ou des injections.

Un engouement scientifique.

Jean-Pierre Relier, chef du service de médecine néonatale de l’hôpital de Port-Royal à Paris, en a bien évidemment conscience. « Pourquoi cet engouement actuel pour la sensorialité fœtale ? Je crois que c’est dû essentiellement à l’amélioration des techniques d’enregistrement de la dynamique et des comportements fœtaux. L’échographie permet de voir le fœtus. On le voit sucer son pouce, cligner des yeux. On peut enregistrer le battement du cœur, les mouvements respiratoires. On a pu tester ses réactions à des stimulations auditives. » Benoist Schaal, chercheur au laboratoire de psychobiologie de l’enfant de l’Ecole pratique des hautes études et du Cnrs à Paris a une vision plus large des raisons possibles de cet engouement. « Il y a eu aussi changement de la représentation de l’enfant dans nos sociétés.

Un adulte en miniature.

Les enfants sont devenus extrêmement précieux pour les nations riches et donc on a focalisé un champ d’étude particulier sur toutes les étapes de leur développement. Avant, l’approche était principalement focalisée sur les aspects cognitifs ou médicaux. On considérait l’enfant comme un adulte en miniature avec quelque chose en moins et on l’approchait avec les mêmes méthodes que celles dévolues à l’adulte. Il y a eu cependant des tentatives d’étude du fœtus dès les années 30. Elles ont toutefois été abandonnées parce que l’environnement scientifique et médical n’était pas préparé à les recevoir. La tâche du fœtus et du nouveau-né était de grandir, défaire croître son cerveau.

Un autre aspect a facilité la démarche au niveau conceptuel. C’est l’irruption de la perspective éthologique. Elle a permis de concevoir l’enfant, puis le nouveau-né, et ensuite le fœtus dans leurs environnements respectifs. Selon leur point de vue, et non plus d’après la seule projection de conceptions adultes. On a cherché à répondre à la question : « Que perçoit l’enfant ? » A partir du moment où on a tenté de lui mettre sous les veux, dans les oreilles, sous le nez des Stimulations tirées de son écologie habituelle, on a montré qu ‘il percevait des tas de choses. Lorsque au lieu de lui mettre un carré noir à bandes blanches sous les yeux on lui a mis un visage maternel, ou au lieu de lui faire entendre des bips sonores qui n’ont aucune validité écologique on lui a fait entendre la voix maternelle, on a pu prendre conscience de son monde à lui. » La sensorialité fœtale forme un tout et si nous l’avons divisée pour la clarté de l’exposé, cela ne doit pas nous empêcher de garder à l’esprit que les sens sont constamment en interaction les uns avec les autres.

Une continuité indiscutable.

A deux mois de gestation, le système nerveux et la plupart des organes sont présents et les sept mois suivants voient s’affiner leur différenciation, se mettre au point leur fonctionnement. La première période est dite « embryonnaire » et la seconde période, celle de la maturation, est dite « fœtale ». A partir de 6 mois, le fœtus est viable en dehors de l’utérus. S’il naît prématurément, il est capable de respirer en milieu aérien. Son encéphale est fonctionnel, la rétine de ses yeux, mature, et ses oreilles perçoivent les sons de son environnement. Les chercheurs parlent de périnalité et de transnatalité. Pour eux, il n’y a plus un avant et un après la naissance qui seraient en forte opposition mais une continuité indiscutable. Les systèmes de réception et de réponse restent les mêmes. C’est ce que nous confirme Carolyn Granier-Deferre du même laboratoire de psychobiologie de l’enfant.

Période critique ou sensible ?

« On n’a encore jamais démontré qu’un apprentissage intra-utérin ait plus d’impact qu’un apprentissage pendant la période post-natale. Déplus, l’enfant est exposé à une multitude de stimulations différentes et les conditions requises pour la mise en place d’apprentissages durables ne sont pas souvent réunis sauf pour l’audition. Dans le domaine de la sensorialité, les processus qui président au développement fonctionnel in et ex utero sont les mêmes.
En général, on trouve deux croyances extrêmes qui s’opposent, il y a ceux qui ne croient pas aux recherches et qui continuent à voir le fœtus comme un tube digestif et ceux qui sont prêts à croire absolument n’importe quoi. Pour ces derniers, il faut souligner le fait que les données humaines ne permettent pas de conclure que les informations que va traiter le fœtus in utero soient fondamentales pour son adaptation et son bon développement au cours de la période néo-natale. »

On parle parfois de périodes critiques dans le développement sensoriel. Une privation importante ou un excès à un moment donné entraînerait des effets irréversibles. Qu’en est-il? Le problème est complexe.
Tout d’abord on a cessé d’utiliser le mot « critique » au profit de celui de « sensible » car le développement normal d’un fœtus présuppose certainement des périodes sensibles qui n’ont rien de critiques dans la plupart des cas. Sur ce sujet, M. C. Busnel et A. Lehmann (Cf. biblio) écrivent : « Il est primordial, dans l’état actuel de nos connaissances, de ne pas trop simplifier des processus très complexes, dont les interactions ne sont pas encore entièrement élucidées. Chez l’enfant, l’existence même des périodes critiques n’est pas totalement démontrée. En effet, c’est à l’aide de privations sévères, impensables chez l’homme, qu’elles ont été mises en évidence chez l’animal. »

Développement en continu.

Ces processus sont complexes parce que les sens se développent en continu. Par exemple, la vision est d’abord celles des contours, puis des formes, puis des couleurs, etc. Chaque nouvelle phase présuppose le déroulement correct de la phase précédente. De plus, les sens sont constamment en interaction les uns avec les autres. Une déficience passagère ou durable de l’un d’entre eux peut être compensée soit à l’intérieur même du système (un œil voyant pour les deux), soit par l’usage d’un autre sens. Reste une dernière question : cette avancée vers l’amont de la vie humaine nous incite-t-elle à mieux respecter le fœtus ? Que dire ? Les mères que nous avons interrogées à ce propos considéraient toutes ce fait avec leur tempérament, leurs mœurs, leurs cultures, leur histoire, leur place sociale, sans aller jusqu’à prétendre que ce qui était bon pour elle était automatiquement bon pour l’enfant, et tout en acceptant la médicalisation de l’accouchement, ne semblaient pas non plus considérer la mise au monde d’un enfant comme de nature à remettre en question leur rapport au monde.

L’audition.

Le système auditif est anatomiquement mature et fonctionnel 3 à 4 mois avant la naissance. Dès cette période, l’oreille fœtale est activée par un environnement riche en stimulations sonores. L’ensemble du développement de l’oreille interne et des fibres nerveuses qui transmettent les informations auditives au cerveau, se fait dans l’utérus. Le liquide amniotique n’empêche pas l’enfant d’entendre. L’exposition prolongée de la mère à des niveaux sonores élevés pendant certaines périodes sensibles peut être préjudiciable au développement de ce sens.

Le fœtus entend des borborygmes intestinaux et les battements du cœur de la mère. Le rythme cardiaque étant relativement constant, il n’est sans doute perçu que lors de ses accélérations et décélérations cardiaques. Il perçoit aussi certains bruits extérieurs, la musique, la voix humaine.
Ces sons qui lui arrivent atténués, principalement lorsqu’ils sont aigus émergent néanmoins clairement de l’ambiance sonore intra-utérine s’ils sont d’une intensité suffisante ex-utero. On peut recueillir trois types de réactions fœtales à des stimulations acoustiques : des changements de rythmes cardiaques, des mouvements réflexes visibles en échographie et des réponses électrophysiologies enregistrables in utero chez l’animal, ou au cours de l’accouchement chez la femme. Pour résumer, le fœtus, dès 35 semaines de gestation, réagit aux stimulations sonores externes sur le même mode que le nouveau-né.

La vision.

Le développement des structures visuelles est connu en détail. Il a lieu principalement entre 2 et 4 mois. Au 4e mois les bâtonnets sont différenciés et les photorécepteurs sont complets sauf dans la région maculaire. L’obscurité dans laquelle baigne le fœtus serait relative et on a pu montrer qu’il ouvre les paupières dès 20 semaines de gestation. Ses compétences visuelles et les stimulations possibles étant limitées, il ne semble pas avoir développé une grande expérience dans ce domaine in utero. Le prématuré de 7 mois voit.

Le toucher.

Le tact est le sens qui se développe le plus tôt. Dès la septième semaine, la sensibilité buccale est présente et à onze semaines l’ensemble du visage, les paumes et les plantes des pieds sont réactifs aux touchers. A 15 semaines, l’ensemble des surfaces internes ou muqueuses sont sensibles aux stimulations tactiles. Parallèlement, les voies nerveuses de la sensibilité cutanée commencent à se mettre en place dès la 6° semaine et leurs connexions sont fonctionnellement organisées lors de la 30e semaine.
La totalité des structures réceptrices tactiles est développée avant la naissance ce qui fait que la densité de ces récepteurs est égale, voire supérieure, à celle de l’adulte. La surface cutanée du fœtus est donc réceptive et il peut être sensible au contact de son corps avec la paroi de l’utérus.

L’équilibre.

L’équilibre de la posture et de la tête est en partie dépendant du système vestibulaire situé dans l’oreille interne. Il se développe très tôt et s’il n’achève sa maturation qu’après la naissance, il peut être très précocement fonctionnel. Dès 9 semaines, on repère des connexions nerveuses, à 14 semaines il est morphologiquement mature. Vers 20 semaines, la myélinisation débute et continue jusqu’à la puberté. Ce système se développe avec une avance de 15 à 20 jours en comparaison du système auditif. Les neurones des noyaux vestibulaires sont fonctionnels vers 21 semaines.

Mais pour que l’équilibre soit possible, il faut que la vision soit elle aussi mature, ce qui n’est pas le cas. Au moins deux théories sont en présence sur cette question. La première postule, à partir de la 20e semaine, une équilibration autonome à l’aide de pressions des pieds le long de la paroi utérine. La seconde, constatant qu’il n’y a pas de réponse fœtale à une stimulation vestibulaire — le fœtus ne serait pas réactif quelle que soit la position de la mère —, croit à un mécanisme biologique de suppression de la réactivité, ce qui permettrait justement au fœtus de ne pas réagir.
Ce blocage supposé n’existerait pas chez les prématurés.

La gustation et l’olfaction.

La gustation et l’olfaction sont intimement liées et nous les évoquerons ensemble. Les bourgeons gustatifs commencent à apparaître à 12 semaines pour aller en se développant jusqu’à la naissance. Au lieu d’être principalement sur la langue comme chez l’adulte, ils tapissent aussi le palais et la glotte. L’olfaction est, dit-on encore trop souvent, peu développée chez l’homme. Les bulbes olfactifs, centres olfactifs, sont pourtant repérables dès 8-9 semaines de gestation. On peut reconnaître des récepteurs olfactifs primaires d’aspect adulte dès 11 semaines. Les cellules sensorielles occupent une grande surface dans le nez et sont disposées plus régulièrement chez le fœtus que chez l’adulte. L’ensemble du système olfactif continue à se perfectionner tout au long de la grossesse pour être pleinement fonctionnel à la naissance. Chez les prématurés de 7 mois déjà, on a pu observer des réactions en réponse à l’odeur de menthe.

Il ne peut donc être exclu, en l’absence de preuves directes, que le fœtus percevrait les arômes contenus dans le liquide amniotique.

On peut trouver, par ailleurs, dans la cloison des fosses nasales, un organe chimio-sensible peu étudié : l’organe voméro-nasal. Il s’agit d’une structure olfactive secondaire et qui, présente au 2é mois de gestation, régresse dans la fin de la période fœtale pour disparaître chez la plupart des fœtus sans que l’on en connaisse la cause. Cette structure est peut-être encore présente chez certains à 2 ans et quelquefois même repérée chez l’adulte. Elle semblerait, d’après B. Schaal (Cf. biblio), spécialement adaptée à la détection des molécules odorantes dans les conditions de stimulations aqueuses et serait, â ce titre, utilisée de façon privilégiée pendant la vie fœtale. Ayant constaté donc que dès les premières heures de la vie postnatale, le nouveau-né détecte des odeurs et des saveurs et y répond par l’attraction, l’aversion ou l’indifférence, on peut penser que cette réactivité effective résulte d’une expérience avec les stimulations chimiques prénatales.

Principaux ouvrages et articles consultés.

M.C. Busnel. A. Lehmann. « Plasticité des organes sensoriels». Progrès en néonalologie, 7, 1987, Ed. S. Karger.

E. Herbinet, M.C. Busnel (sous la direction de), l’Aube des sens. Stock, 1981.

E. Herbinet, M.C. Busnel. « Connaissances, hypothèses et certitudes », Progrès en néonalologie, 3. 1983. Ed. S. Karger.

J.H. Lecanuel. C. Granier-Deferre, M.C. Busnel, « Sensorialité fœtale » dans J.P. Relier et al. Médecine périnatale. Flammarion. 1989.

B. Schaal. « Discontinuité natale et continuité chimico-sensorielle : modèles animaux et hypothèses pour l’homme», L’année Biologique. T. XXVII, fasc. I, 1988.

Les certitudes des praticiens.

Différentes pratiques, telles que l’haptonomie de Frans Veldman, l’oreille électronique d’Alfred Tomatis, le training autogène de J. H. Schultz, la sophrologie d’Alfonse Caycedo ou l’accouchement responsable » d’Henri Boon, sont conseillées aux femmes enceintes.

POUR LES CABLéS – L’HAPTONOMIE

Le premier congrès international d’Haptonomie se tiendra à l’Unesco (Paris) les 13 et 14 octobre 1990. Ce congrès va permettre à ses participants, nous annonce son organisateur, de découvrir « les nouveaux progrès réalisés dans la Connaissance de l’Humain ». Excusez du peu…
Mais qu’est-ce que l’haptonomie ? Serait-ce un nouvel art de vivre ? Son fondateur, le hollandais Frans Veldman, ne veut pas qu’on l’identifie à une technique, une méthode, une doctrine ou une approche médicalisante. Il s’agit d’un touché tendre qui n’est ni justement une palpation médicale ni une caresse sexuelle. Madame Carmen Douanne, après un accouchement difficile, s’est tournée vers différents modes de préparations dont la méthode Lamaze et l’haptonomie. « D’abord il y a eu la naissance d’Audrey. La douleur m’envahissait tellement que je ne pouvais pas m’occuper du bébé, être avec le bébé, même je l’excluais. J’étais uniquement centrée sur moi et sur ma douleur. A la suite de ça, quand j’étais enceinte d’un autre enfant, je ne voulais pas que ça se reproduise et j’ai fait à la fois l’accouchement sans douleur, la méthode Lamaze et l’haptonomie. La philosophie n’est pas la même. Ces méthodes sont opposées sur le contrôle et la respiration.

Se prolonger dans l’autre.

« En haptonomie, au moment où l’enfant pousse, il faut inspirer pour permettre, pour aider ce qui se passe et on relâche sur l’expiration. Dans la méthode Lamaze c’est avec l’expiration qu’on pousse. C’est la respiration du petit chien. J’ai fait les deux parce que je voulais avoir tous les atouts de mon côté.
» Ce qui est venu spontanément au moment même de l’accouchement ça a été l’haptonomie. Au niveau de la grossesse, c’est fabuleux. Ca permet d’être plus proche de l’enfant réel, d’être moins angoissé et surtout de pouvoir inclure le père dans cette relation. Il jouait avec l’enfant, le faisait bouger, venir. Ca ne réussissait pas toujours. Il faut une telle disponibilité, une telle ouverture. C’était très agréable quand on y arrivait mais je crois que ce n’était pas le plus important. L’important c’était de prendre ce temps-là avec le père.
C’était complexe. Mon mari avait deux enfants d’un premier mariage. Il ne voulait pas avoir des enfants tout de suite mais sa femme avait insisté. Quand on s’est connus, moi j’avais envie d’avoir des enfants d’autant plus que voir les siens tout petits réactivait mon désir d’enfants. Lui n’en voulait pas aussi vite. On a attendu 5 ans. Et c’est quand même moi qui ai pris les devants pour forcer un peu les choses.
Il se passe beaucoup de choses quand une femme est enceinte. On a une sensibilité plus accrue, plus développée. On peut facilement pleurer. Rire aussi. Et lui se sent exclu, impuissant vis-à-vis de ce qui se passe. Et puis il y a l’arrivée d’une autre personne. L’haptonomie permet de mieux vivre avec cette tierce personne qui vient bousculer nos habitudes, notre façon de vivre. On s’y prépare. Le mari ne se sent pas étranger à ce qui se passe. C’est l’occasion de parler-plus.
On avait des exercices à faire, réguliers. Tout le travail sur la douleur. Ca donnait un espace-temps. Les exercices consistent à s’ouvrir, à ne pas rester enfermé en soi. L’exercice de se prolonger dans l’autre. Le médecin me pinçait, il créait la douleur et par le fait que je me prolongeais, que je faisais confiance et que je me laissais aller, la douleur devenait beaucoup moins intense. Elle existait toujours mais elle était plus acceptée. » Pendant l’accouchement de Laetitia, Patrice mettait sa main chaque fois qu’il y avait une contraction, me demandait de me prolonger et j’arrivais à me relâcher, le col pouvait s’ouvrir, le processus d’accouchement était plus rapide. Nous
avions été régulièrement chez le médecin, une fois par semaine. Il nous montrait des exercices qu’on reproduisait à la maison. »

La philosophie de l’haptonomie ne se restreint pas à la mère et son enfant. Le mot « accompagnement » revient souvent. C’est l’opposé de prendre le pouvoir. C’est induire en laissant faire. C’est permettre à l’autre de s’ouvrir à toi. Tu n’es ni passif, ni actif, tu accompagnes. C’est l’enfant qui décide de naître et tu l’accompagnes. »

Catherine Dolto nous apprend dans l’Aube des sens que côtoyer Veldman est aussi fascinant que de fréquenter un gourou et que privilégier l’aspect spectaculaire des démonstrations du maestro batave est trahir sa pensée.

L’aspect gourou.

Effectivement, nous l’avons vu dans l’un de ses shows télévisés Le bébé est une personne (Tfl, 1984), et ce rebouteux pour femme enceinte nous a semblé plutôt porté vers le spectaculaire. Son attraction consistait à faire bouger de façon visible le fœtus. L’un de ses concurrents, Alfred Tomatis, juge ces pratiques infantiles et morbides. Pour lui l’incitation faite au père à « triturer » le ventre de sa femme est « une nouvelle tentative de déposséder la femme de sa maternité ».

Reste que F. Veldman a commis un livre, Haptonomie-Science de l’affectivité (Puf, 1989), livre franchement défrisant. Pour lui, l’humain a un besoin fondamental de tendresse, de sécurité, de sûreté, de confirmation affective. Sans doute, peut-être, pourquoi pas ? Mais l’agressivité, l’insécurité, le doute, la quête, l’expérimentation de ses limites ne lui sont-ils pas tout aussi nécessaire ? C’est là que se situe l’aspect gourou, dans le «positif» dont on nous sature en ce moment. Veldman ne voit dans ce qui est que du noir et dans ce qu’il propose que du blanc. Tous les tics de la littérature pratique vulgaire y sont : étymologies mystifiantes, multiplication de concepts bidons (libidineux/libidinal), vastes vues naïves sur le monde, déclaration d’intention, agglutinations bluffeuses de termes non-définis (expérience de représentation) et pédantisme constant. Et je te balance de l’« authentique » ! Et je te tartine tout ça d’« amour» ! Et je te renorme tout ce qui dévie, rigole, cajole, luciole ! L’aspiration au bonheur qui sous-tend cette démarche explique là vision réductrice, son manque de générosité, ses prêches en faveur de la « santé », son ignorance de l’inconscient et de toutes les tensions dont naissent mouvements et vie.

Peu nous chaut le charisme des contemplatifs, nous indiffère l’épanouissement des méditants, nous plaît la diversité du monde. Ils en sont. Ok… Mais paradoxalement, ce sont ces néo-babas qui sont intolérants, qui ont l’âme bouchée et ce sont leurs béni-oui-oui qui puent la certitude.

POUR LES ANGOISSéS – LA SOPHROLOGIE

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La sophrologie au départ c’est l’hypnose et ce n’est que l’hypnose. Le colombien Alfonso Caycedo en 1958 à Madrid veut la garder mais nettoyée de son trouble prestige. Il la replace à l’intérieur d’un jugement suspendu, lui redonne un nouveau départ, fait table rase. Il la rebaptiste, la transforme en un en-soi, la platonie.

Cette bonne vieille suggestion devient « état de calme et de concentration suprême de l’esprit produit par de belles paroles ». Sous son nouveau nom le magnétisme va devenir sien et il va pouvoir l’enrichir. Du passé il reprend le training autogène du psychiatre Schultz, du présent la phénoménologie avec son doute, sa négation systématique et son existentialisme. Le tout sera assaisonné de techniques mystiques orientales. Ce somnambulisme dirigé donnera après bien des avatars les méthodes d’accouchement « sans douleur », « sans crainte » ou « responsable ».

N’oubliez pas que l’hypnose est aussi à l’origine de la psychanalyse freudienne. Si Freud la rejette c’est parce qu’il lui reproche d’érotiser la relation du patient à l’hypnotiseur et de soumettre le premier au second. Schultz, avec son passionnant training autogène a essayé dans les années 30 de résoudre ce problème en supprimant l’hypnotiseur. Pour lui, l’état hypnotique est déconnexion. Sa méthode est une méthode personnelle, responsable, d’entraînement à l’auto-hypnose et dont le but est d’arriver à traiter soi-même ses désordres physiques et psychiques. Les introducteurs de la sophrologie en France ont été les stomatologues et les dentistes. Relaxez-vous ! En obstétrique, elle a trouvé une terre d’élection. Les méthodes se sont suivies, ont divergé — souvent de peu— et ont toutes rencontré un certain succès. La douleur à l’accouchement peut être supprimée par simple suggestion verbale, n’est-ce pas monsieur Veldman ? !

Certains ont postulé que l’accouchement « naturel » est indolore et que ce sont la peur et la tension qui font naître la douleur. Ils ont donc tenté d’éliminer la peur par des séances préparatoires d’information et de relaxation. L’accouchement sans douleur de Lamaze est du Pavlov de seconde main et décrit la douleur comme étant un réflexe conditionné que l’on peut éliminer. Pratiquement, cela donne six leçons comprenant chacune un exposé théorique et une sophronisalion, c’est-à-dire une relaxation faite de respiration et de concentrations successives sur différentes parties du corps. Dédoublez-vous ! Décontractez-vous ! Relaxation qui passe du physique au mental. Il faut arriver à mettre son psychisme entre veille et sommeil.

Cette hypnose faite, on repassera par une désophronisation en paliers. Revenez, remontez, respirez profondément ! La théorie abordera l’anatomie, la physiologie, la respiration, la relation mère-enfant, le tonus musculaire et les mécanismes physiologiques en œuvre lors du déroulement de l’accouchement. La méthode Henri Boon « d’accouchement responsable » considère l’accouchement comme étant un épiphénomène situé entre grossesse et maternité. C’est le versant pratique du concept de périnatalité. Ce qu’on y met au centre n’est plus la douleur mais l’épanouissement de la femme et du couple. Son but est d’amener à un accouchement dans lequel l’équipe médicale est considérée comme une équipe de secours qui n’intervient que si cela est vraiment nécessaire. Cette préparation sophronique est collective —trois ou quatre couples— et dure pendant dix séances de deux heures. Femmes et maris sont allongés confortablement. Il n’y a pas d’obligation. On ne doit pas prendre une certaine position ou ressentir telle ou telle impression. Le sophrologue cite des groupes de muscles en demandant qu’on les relâche successivement et ensuite cherche à obtenir une relaxation mentale en évoquant des images du sommeil. A la deuxième séance, il y a prise de conscience de la sensation de lourdeur, de pesanteur. A la troisième un relâchement plus rapide et à la quatrième un transport mental après l’accouchement dans la joie d’être mère. Si la cinquième séance est consacrée à l’accouchement lui-même, la sixième tourne autour d’un effort de maîtrise des sensations —passer d’une sensation de chaleur à une sensation de fraîcheur par exemple. C’est le début de la sophroanalgésie. Les trois dernières séances sont des simulations d’accouchement, jeu sur trois respirations, thoracique, diaphragmatique et anti poussée, localisation du périnée, de ses différents muscles et habituation à ce que sera la dilatation du col de l’utérus.
Moralité : accouchement sous hypnose ou autohypnose n’aurait pas fait sérieux alors que préparation sophrologique…

POUR LES RAMOLLOS – L’OREILLE ELECTRONIQUE

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Alfred Tomatis, fils de chanteur né prématuré à six mois et demi il y a 70 ans à Nice, travaille depuis 1947 autour de l’audition. Avant pratiquement tout le monde, il a décrété que le fœtus entendait, ce que plus personne ne conteste aujourd’hui. Pour lui, il est acquis que les troubles profonds du psychisme et du comportement, tel que la schizophrénie ou l’autisme ont leur origine dans la prime enfance et peuvent même se rattacher à des perturbations survenues durant le cycle utérin. Selon lui, l’écoute commence dès le 22e jour de la vie intra-utérine.

De la pédagogie de l’écoute.

Il accorde une importance capitale au rôle de la mère. Tout au long de sa grossesse, celle-ci doit entretenir avec son futur bébé une communication permanente en veillant tout particulièrement à la qualité vocale de son message. Il postule que sa voix atteint la cavité utérine et l’oreille du fœtus par un cheminement le long de la colonne vertébrale, donc par transmission osseuse, laquelle jouerait le rôle de filtre. D’où le filtrage de la voix maternelle que l’on fait entendre au sujet. Cette technique consiste à faire revivre l’expérience sonore prénatale pour aboutir à une seconde naissance, à un « accouchement sonique ». Bon… Tomatis vise à redonner du tonus aux gens. De ce côté-là, rien à dire. Ca tonifie. Les résultats sont tangibles.
Il considère que ce qu’il fait est, plutôt que de la thérapie, de la pédagogie de l’écoute, pédagogie prenant appui sur une méthode audio-psycho-phonologique. On peut avoir des problèmes d’audition en ayant une oreille en excellente santé. Les tests qu’il fait passer au début sont des tests non pas d’audition mais d’écoute. Ensuite, il éduque (et non pas rééduque) l’oreille, l’écoute et en dernière instance la posture puisque l’équilibre a son centre dans l’oreille. Une cure, pour les cas simples, dure en général 15 jours à raison de 2 h par jour. Le sujet a un casque sur la tête, il a un microphone devant lui et il entend des sons qui ont pour but de faire travailler la musculature de son oreille moyenne. Ce qui est diffusé est soit la voix filtrée de la mère, soit lorsqu’il ne l’a pas. Mozart. Un autre but est de retrouver ce qui a fait problème in utero ou dans la petite enfance pour le relativiser. Cette reviviscence, qui se veut efficace et rapide, permettrait de se débarrasser des souvenirs figés, c’est-à-dire de faire le ménage dans la mémoire pour en éliminer l’obsessionnel qui l’empêcherait de vraiment bien fonctionner.

D’autres voix, d’autres textes sont diffusés ensuite, passage par des chansons, des comptines jusqu’au langage adulte. Le suivi du développement de la cure se fait en interprétant les dessins du patient. Dans la majorité des cas, le dessin passe du schématique au coloré.

Une simple déculpabilisation.

A père absent, par exemple, correspondrait dyslexie, évanescence, perte d’altérité. L’enfant confond tout. Il n’est pas le seul dans ce cas. Tomatis a été beaucoup critiqué parce qu’il accueille tous les malades, des enfants autistes aux parkinsoniens, tous ! Il reçoit des gens qui devraient aller voir un psychiatre ou un médecin. Pour les autistes, il « avoue » dans sa cassette Sonothèque Média, 40 % d’échecs, tout en déclarant que l’autisme est une catégorie fourre-tout.

Ce côté omnipotent se confirme par son refus de toutes les autres pratiques quelles que puissent être leurs origines pratiques ou théoriques. Pour lui, c’est tout Tomatis ou rien. Ce monomaniaque a réponse à tout.

Son refus de reconnaître des effets à la voix du père, ses arguments contre l’haptonomie ne sont-ils pas dus, plus à un blocage psychologique qu’issu d’un point de vue scientifique ? Observant que son entourage est presque exclusivement composé de femmes, cet anti-freudien m’a fait penser au chef de clan de Totem et tabou de Freud.

Par ailleurs, il est impossible de savoir si la très intelligente déculpabilisation qu’il fait à propos de l’échec scolaire —ce n’est pas l’enfant qui est responsable mais ses oreilles— assortie d’une prise en charge de la famille n’est pas plus ou tout autant efficace que son oreille électronique. Ceci valant pour l’ensemble de sa clientèle car aucune étude n’a été faite sur le possible effet placebo, mécanisme d’autosuggestion ou plaisir à la régression de sa cure. Jamais cet homme ne postule un éventuel impact négatif dans ce à quoi il soumet les autres.

Le règne du flou.

La plaquette de son centre du boulevard de Courcelles a un fort remugle de vénalité. La cure dure 15 jours, coûte 6 000 F et chaque centre qui s’ouvre en France ou à l’étranger paye une franchise substantielle à notre altruiste. Il est bien sûr contre l’avortement. Il croit que le monde a été conçu par un grand « programmateur ». Il a une conception traditionnaliste du rôle de la femme et une pensée structurée par l’humanisme chrétien. La mystification molle, orientalisante ou ectoplasmique n’est pas son style. Il redonne de la tonicité et c’est tant mieux. Mais sa solution miracle a contre elle son caractère miraculeux : c’est le règne du flou. Il ne sait pas comment il obtient ce qu’il obtient. Monsieur Réponse-à-tout répond effectivement à une demande la part du public, demande hyper-paradoxale. Les gens veulent qu’on leur dise que les problèmes psychologiques ont des causes somatiques, que les pathologies physiques sont d’origine psychique. Tomatis le leur dit. Est-ce la raison de son succès ?

A l’issue de ce long périple amniotique un constat d’ensemble s’impose : chez tous ceux qui militent en faveur d’une prise de conscience de l’importance de la vie prénatale, la tentation de réduire la femme à être exclusivement mère est très grande. Et à l’intérieur de cette réduction, une vision linéaire de la reproduction de l’espèce, vision décorée de bons sentiments, domine. A l’exception notoire de ce qui suit la tendance générale décrète une obligation à l’harmonie. Voici l’exception : « Comme l’exposent les mythes et traditions des temps passés et du monde entier sur la sensorialité d’avant la naissance, la coexistence du fœtus avec les adultes, sa mère en particulier, pour être riche et intense n’est peut-être pas faite que de béatitude, mais aussi de lutte entre les besoins différents, d’adaptation mutuelle, d’accommodements laissant aussi place, comme nous le constatons chaque jour, à la violence émotionnelle et à l’ambiance. » (Herbinet & Busnel, Progrès en Néonatologie 3, op. cit. page 26).
Faudra-t-il donc tout réexpliquer depuis le début ? Dire que les hommes sont mortels, que la vie n’est pas tragique pour les cons, que de ce tragique naît notre rire et notre révolte, qu’il n’y a pas de positif en soi, de printemps sans hiver, de vie sans mouvement, que vouloir le bonheur est veule, renoncement à ce qui fait la grandeur de notre espèce ? Qu’est-ce qu’une existence sans passion? Et que serait une passion dénuée de l’ambiguïté qui fonde tout désir ? On verse là dans l’éthique. Jouons franc jeu. Qu’est-ce que l’harmonie à côté du sérieux, de la patience et du labeur du négatif ? L’utopie n’est pas la vie mais son dépassement. Mettons-nous d’accord sur au moins une chose : les gens heureux n’ont pas d’histoire. Ne pas avoir d’histoire est un luxe qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Quiétude ou inquiétude : à chacun son truc. La vie peut aussi stagner, croupir, se frelater et rester la vie. Le bonheur, ce confort, est la langue de bois de l’âme. Extase, vertige, hystérie, imagination, dignité, pensée, pénétration, lucidité : voilà ce qui nous est vital. Est-ce un hasard, si sous la tolérance affichée, on découvre vite la certitude figée et ses monomanies ?

LA FAUTE – Une tradition bien nourrie.

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Qu’en est-il de la conception du fœtus et de son rapport avec sa mère dans les sociétés traditionnelles françaises ? Leurs constantes références au symbolisme révèle une connaissance du corps qui imprègne encore nos façons d’être et d’agir, d’autant plus profondément qu’elle nous a été inculquée depuis le petite enfance.

Yvonne Verdier dans son Façon de dire, façon de faire (Nrf, 1979) a livré les résultats d’une longue enquête sur les femmes dans un village bourguignon. La femme enceinte a des « envies » et si on refuse de les satisfaire, son enfant naîtra avec une « envie » imprimée sur le corps. On doit non seulement la satisfaire mais même prévenir, deviner, interpréter ses regards, lui offrir sponta-nément les objets de sa concupiscence. « Nous avions une moitié de jardin avec un voisin. Dans sa part, il y avait des framboises magnifiques, elles étaient belles, je les voulais. Je me disais, comment les prendre? La voisine doit surveiller, comment faire ? Je suis restée sur mon envie, et Colette est née avec une framboise au creux de la cuisse. » Une envie satisfaite mais avec excès peut aussi marquer l’enfant. Une femme ayant abusé de cornichons pendant la gestation a légué à sa fille une tache de naissance en forme de cornichon.

Désir et répulsion.

Les envies se teintent plus fortement au moment où mûrissent les fruits qu’elles figurent. Certains effets sont réversibles et ceci, en posant sur l’enfant l’objet que la mère a désiré ; ou ces effets peuvent se transformer en excès inverses, en répulsion de la part de l’enfant pour ce que la mère a trop convoité. L’« envie » infirme l’un des clichés sur la grossesse, celui qui décrit cette période comme un moment d’épanouissement. « Cette notion d’insatisfaction résonne de façon tout à fait juste. Elle montre la future mère comme un être inassouvi, tout entier projeté vers la connaissance de l’enfant qu’elle porte. Insistant sur l’insatisfaction de la femme, cette croyance nous reporte aux désirs cachés de la future mère, différents de ceux que l’homme exprime ou que la société globale reconnaît. » (F. Loux, le Jeune Enfant et son corps dans la médecine traditionnelle, Flammarion 1978.) Les naevus pigmentaires velus ont eux leurs sources dans une grande frayeur. La mère a peur, porte la main à son visage et l’enfant naît avec une tache velue à l’endroit où la mère a mis la paume sur le sien.

« Le corps des femmes semble être le lieu d’une double propriété : vulnérables aux éléments de l’univers extérieur et dangereuses tout à la fois pour eux, elles sont tour à tour menaçantes et menacées dans leurs corps. Entre ces deux moments particuliers de sa vie biologique, le moment où une femme a ses règles et celui où elle se trouve enceinte, ces deux propriétés se trouvent comme divisées par polarité : quand elle a ses règles, elle présente son côté menaçant ; quand elle est enceinte, elle expose son côté vulnérable. Dans le premier cas, il y a pollution des réserves alimentaires (…) dans le second, atteinte de l’enfant jusque dans le corps de sa mère. (Y. Verdier.) Par ailleurs, concevoir en mai, temps de la lune rousse, équivaut à une conception pendant les règles. C’est s’exposer à mettre au monde un enfant idiot, fou, épileptique ou condamné à mourir pré¬maturément. Ou encore à accomplir une union stérile : « Les mariages de mai ne fleurissent jamais. »

Malheur et bonheur.

« La conjonction du mari avec la femme est toujours infauste, néfaste et malheureuse au déclin de la lune, ou à la conjonction d’icelle avec le soleil, c’est-à-dire à la lune nouvelle, mais que ceux qui sont conçus en ce temps naissent non seulement difformes, mutilés, chétifs, tortus, bossus, contrefaits, et maladifs, mais aussi sont stupides, sots, lourdeaux, dépourvus de tous bénéfices et dots de nature, de tout sens et entendement, de tout et par tout mutilés, inhabiles entièrement à entreprendre ou conduire quelque bonne affaire. » (Texte ancien de J. Liebault cité par F. Loux, op. cit.) Choisir le prénom avant la naissance, c’est-à-dire prédestiner le caractère de l’enfant, porte aussi malheur. Françoise Loux inventorie dans toute la France, les préceptes populaires concernant la femme enceinte. Elle en conclut que s’il existe une prévention traditionnelle, elle est avant tout d’ordre symbolique et qu’elle confond la mère et l’enfant, ce dernier n’existant pas du tout de façon autonome. C’est le même organisme. Tout ce que fait la mère a donc des conséquences directes sur la santé de l’enfant.

La responsabilité de la femme.

« Cette théorie est extrêmement culpabilisante pour la mère, puisque, en fait, toute malformation de l’enfant à la naissance pouvait lui être imputée. Qui plus est, la responsabilité incombe toujours et totalement à la femme, de préférence à l’homme. Si l’union est stérile ou si elle ne met pas au monde un garçon, elle seule est alors jugée incapable car son rôle social est en jeu. » Si les naissances prématurées ne sont pas prises en considération, les naissances après terme sont sujettes à phantasmes. « La fille d’une de mes voisines a porté son enfant dix mois pour avoir passé sans y faire attention par-dessus le sang d’une jument (animal qui porte onze mois) qu’on venait de tuer. L’enfant est venu au monde avec des dents et y voyait clair. » Au parrain et à la marraine reviennent la charge de nommer l’enfant, de le mettre au monde socialement, de l’introduire aux autres et au langage. Être « un taré » dans la vision populaire, c’est être la preuve vivante d’une faute des parents. Cette idée reste très présente dans la grande presse et dans un large public à propos des maladies dites génétiques par exemple. « Qui de poule naît, comme la poule gratte le sol. » La campagne, c’est la transmission patrimoniale et dans cette transmission l’écart « positif » (les dons de sourciers par exemple) ou « négatif » par rapport à la norme se transmet sous forme de caractéristiques physiques et spirituelles.

Il existe toute une sémiologie qui permet de deviner le sexe de l’enfant à venir : l’état de la peau, la forme du ventre, la santé de la mère (meilleure pour les garçons), la façon dont le lait sort, les gestes machinaux (droite = garçon), la franche divination (pile ou face) et la durée de la gestation. Un régime alimentaire peut influer sur le sexe de l’enfant à venir : carottes pour les garçons et oignons pour les filles évidemment. Il est facile de tourner en dérision ces pratiques en n’en extrayant que des traits insolites alors que leur cohérence n’apparaît que lorsqu’on les prend en compte globalement. Elles sont l’expression manifeste de l’inquiétude que l’on avait pour la mère et l’enfant. 11 est important de le souligner car l’on croit encore que ces gens étaient indifférents vis-à-vis de leurs enfants et de fa mortalité infantile.

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