Propos de Arnaud Des Pallières

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glanés dans divers entretiens, 2004

1.

Le montage du film s’est déroulé sur dix mois. Je ne pouvais pas être tout le temps le même sur une telle période. Le film est tributaire de ça. C’est un corps qui monte. Il y a là quelque chose d’organique. Au bout d’un moment, les mains vont plus vite que la tête. Au montage, je ne me réfère jamais au scénario. Je me demande ce que me propose ce que j’ai fait. J’ai toujours pratiqué de cette manière. J’écris le film, je le mets en scène, je dirige les acteurs, je réalise le montage. Tout cela doit vivre et ne pas devenir la simple exécution d’un programme. D’une certaine façon, il faut que ces différentes interventions puissent agir les unes contre les autres. Le film contient des éléments très contradictoires, ce qui laisse beaucoup de possibilités d’interprétation au spectateur. Je pense au sens quand j’écris. Après, il faut que cette chose morte et froide s’incarne. En résumé, je crois que la construction se fait à l’écriture, le tournage étant dédié au vivant et que le montage doit faire apparaître la multiplicité des sens.

Je rêve souvent d’un film qui serait aussi multiple que les obsessions ou les préoccupations du public. Personne n’a le même regard. C’est pour cela que j’essaie de créer des rythmes quasi aléatoires, des microstructures à l’intérieur du film. Je crois en l’idée qu’un objet d’art doit être irréductible au sens, inconsommable. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de sens. Des choses sont dites dans le film. Je pense aux Mille Milliards de poèmes de Raymond Queneau. Parmi les mille milliards de poèmes que le film peut produire, il n’en existe pas un avec lequel je serais en désaccord. Aucun spectateur jusqu’à ce jour ne m’a renvoyé quelque chose qui ferait pour moi contresens.

 » Les questions sont plus importantes que les réponses.  » Je veux plutôt dire qu’il faut se méfier des solutions. Il est logique que les politiques pensent en ces termes de problèmes : solutions, mais je crois que le rôle de l’artiste est d’apporter de la complexité. La condition de cette complexité étant qu’elle se fasse à partir d’éléments simples. Par exemple, pas un mot d’Adieu n’échappe à la compréhension de tout un chacun. On attend trop du cinéma qu’il fixe des itinéraires précis.

Je suis un inconditionnel du présent de l’infinitif, un présent éternel et éternellement renouvelé. Il me semble qu’à l’intérieur de ses limites le cinéma en est la matrice la plus riche. Ainsi, je peux aller voir du côté de la musique, de la littérature ou de l’art contemporain. Il y a de la place pour tout dans un film, mais s’il produit un peu de penser, elle est indissociable des images et des sons. Je vois les films comme des établis proposés aux spectateurs qui feraient le travail qu’ils ont à faire. Ce serait cela le film inconsommable, le film idéal.

2.

A aucun moment, je n’établis de plans en fonction d’un genre cinématographique. La fiction n’est pas un genre, pas plus que le documentaire. Je ne crois pas non plus qu’Adieu soit un essai. Mais je crois aux croisements, du vertical et de l’horizontale, du romanesque et du poétique, de l’intime et de l’universel. Je sais aussi que je suis à trois endroits de l' »écriture » d’un film : scénario, tournage, montage. Mais le fil véritable, c’est le montage qui le donne. Dès le scénario, j’anticipe des gestes de montage : ce qui fait le cinéma, c’est le raccord, que deux éléments se constituent en un dialogue, une critique, une contradiction. Deux, c’est le minimum. C’est la raison pour laquelle je fais du cinéma : j’ai dû décider que je ne sortirai rien de chimiquement pur de mon cerveau et que mon travail consistait à articuler des choses qui existent déjà. Ne pas être un auteur mais un agenceur.

J’ai commencé à faire plus sérieusement des films quand je me suis lâché sur la question du sens : faire des choses plus troubles, plus paradoxales, plus libres. L’intérêt du cinéma est là où il y a de l’irréductible, où rien ne tient en une idée, quand on ne peut plus faire un chapeau pour résumer un film en trois lignes. Tout commence quand on s’émancipe de cette question : « Mais où voulez-vous en venir ? » J’aime l’idée du luxe, en donner trop : quand on reçoit à dîner, on prépare un peu plus. C’est ce bonheur-là qui est à l’origine du partage. Un film serait, mettons, comme un repas convivial. Le convive qui se sent malheureux, c’est celui qui se sent obligé de tout manger.

Pourquoi montez-vous vos films vous-même ?

Parce que mes mains pensent plus vite que ma tête. Elle, elle vérifie bien plus tard, en tout cas après les yeux et les oreilles. Et depuis Disneyland, je monte seul, en virtuel, image et son en même temps. Je suis lent, il m’a fallu dix mois de montage pour Adieu. C’est aussi une période durant laquelle je lis, je me nourris d’idées, je change… Ça s’en ressent : le montage critique le tournage, qui lui-même critiquait le scénario. Une étape d’un film vient toujours critiquer la précédente. Un film étriqué, ce serait celui qui maîtriserait le sens et le programme à l’avance, qui serait fermé, avec l’auteur en atroce démiurge. Et je ne suis jamais tout à fait tout seul, j’ai mes interlocuteurs, dès les premières ébauches, je reçois les commentaires de mon producteur, de mon chef opérateur, Julien Hirsch. Au montage, il y a un travail continu, en dialogue, où Martin Wheeler, le musicien, et moi entrons dans une logique de construction parallèle.

* Propos du cinéaste Arnaud Des Pallières recueillis dans les entretiens qu’il a donnés aux journaux L’humanité (1) et Libération (2) le 8 septembre 2004 à l’occasion de la sortie en salle de son film Adieu.

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