Propos d’Alain Cavalier

Morceaux choisis de la revue Avant-Scène n°440/441, 1995

Que filmer ?

J’en suis arrivé peu à peu à ne filmer qu’au plus près de mon expérience.
Aujourd’hui je sais qu’un homme est fait de peu de matière, donc je filme avec peu de moyens. J’ai abandonné tout luxe. Le cinéma est devenu pauvre, je l’ai suivi.
Je filme mal les champs, les arbres, les rues, les baisers des amants.
Je crois que je ne suis fait que pour les visages, et encore, il faut qu’ils soient seuls sur l’écran, et de face, et presque immobiles, simplement dans le but de mettre en valeur leur énergie en expansion infini. J’ai commencé à être -vaguement- cinéaste à partir du moment où je n’ai plus inventé la moindre action dramatique. Je ne filmais que ce qui avait été vécu par moi, ou par quelqu’un qui avait soigneusement consigné son expérience.

Des visages

A force de s’intéresser au visage, on finit par le nier pour le redécouvrir et il ne sera jamais aussi attirant que le jour où il sera caché ou absent.

Filmer seul

Je pense qu’on peut faire des films seul. Ce n’est pas de l’orgueil de dire que le cinéma peut être aussi un travail de solitude. On peut atteindre un état de concentration, faire un geste cinématographique ramassé, comme le peintre, comme le sculpteur, sans souci de l’argent, du métier, du public… Je reviens toujours au même point : c ‘est au tournage pour moi que les choses se passent. Ce qui est raté au tournage est raté au montage, est raté pour l’œil du spectateur.

(Im)personnel

Un film personnel, s’il n’est pas en même temps impersonnel, sera dépourvu d’intérêt pour le spectateur.

Un cinéma immédiat

Fabriquer un cinéma immédiat sorti tout fraîchement du fond de soi et auquel la raison et l’intelligence n’ont pas encore coupé les ailes.
Filmer d’un trait, sans ratures.
Lors du tournage de ce répondeur ne prend pas de messages, nous avons filmé un homme qui souffrait, qui suivait les traces de son passé.
Nous ne savions pas quel plan nous tournerions après celui qui nous occupait, mais nous étions sûrs qu’il sortirait du précèdent comme le jour de la nuit, ou inversement. Comme un enchaînement de notes de musique ou de touches de pinceau sur la toile.
Ce sont souvent les meilleurs surprises.
Je me demande si, quand un film est un peu réussi, il n’est pas fait d’imperfections.

L’image vidéo

Je compte sur l’image-vidéo pour provoquer, pour féconder, transformer l’image-film. Je la travaille en écartant les zones sombres, en évitant les longues focales. Je cherche une image nette, lumineuse, franche, simplifiée.

L’épure

Je trouve que c’est encore trop complexe un film
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…/…
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Il y a encore trop de couleurs, trop de mouvement, trop de sentiments, ce n’est pas assez épuré. C’est très difficile de sortir du barbouillage de couleurs et d’atteindre la ligne.

Le traitement du son dans le film Libera me.

L’absence de parole a mis tous les bruits de la vie au premier plan. Nous les avons découverts, eux qui sont toujours cachés derrière les dialogues. Nous avons travaillé ces bruits, en direct, en studio, comme si c’était un matériau musical. L’effet en a été globalement plus inquiétant pour le spectateur que je ne le pensais. La parole rassure. Les bruits seuls, c’est la peur qui se lève.

Déséquilibre

Dès que ça commence à tenir à peu près debout, une inquiétude vous saisit. On a l’impression que si ça s’approche de quelque chose, il n’y aura plus rien après et qu’il faut déséquilibrer l’ensemble par un détail qui secoue.

Pourquoi filmer ?

Je ne peux pas tourner des films avec l’idée que j’agis sur le monde car on y verrait inscrit le fait que j’ai voulu changer le cours des choses, ce qui serait prétentieux. Que mes films fassent frémir une eau dormante à l’intérieur d’un cœur, ça je le souhaite. »
Extraits de L’Avant-Scène cinéma Alain Cavalier, Filmer des visages, n° 440-441, René Prédal (sous la direction), mars-avril 1995

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