Potlatch (1954-1957) – Boy meets girl – Love streams – L’anarchisme de droite

Textes de Yves Tenret parus dans Voir en 1985

Potlatch (1954-1957). Les Editions Gérard Lebovici republient la revue de l’Internationale lettriste.

L’un de ses lettristes a cherché à faire passer son feeling dans des films. Il s’appelle Guy Debord. Les mêmes éditions ont publié ses Œuvres cinématographiques complètes.

La forme

Solitude. Nous errons dans une nuit sans fin. Le cinéma expérimental est sans objet et le cinéma commercial sans sujet. Dans Potlatch, ainsi que dans Les Lèvres nues, revue belge de la même époque, tous les concepts que les situationnistes développeront plus tard sont déjà présents. Dérive, propagande métagraphique, détournement, psychogéographie apparaissent dans la simplicité de leurs premiers balbutiements. Les formes sont nues. En trois ans, Debord trouve son style. « Le prochain bouleversement de la sensibilité ne peut plus se concevoir sur le plan d’une expression inédite de faits connus, mais sur le plan de la construction consciente de nouveaux états affectifs. » Déjà en 1954, «la situation» est investie de toute la beauté possible et le lettrisme d’Isou considéré comme un dadaïsme en positif. Depuis, les rois sans divertissement se sont multipliés. Le film L’Anticoncept, de Gil J. Wolman, date de 1951, et Hurlements en faveur de Sade, de Debord, de 1952.
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Des Lausannois, dont C.-E. Mérinat et Liardon, adhèrent à l’Internationale lettriste et s’en font exclure rapidement.

La littérature

« Que peut le révolutionnaire privé de révolution, sinon se jeter à corps perdu dans la littérature. » Marcel Marïen.
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Pour tout acheter, on peut payer de sa jeunesse et aimer les idées d’autrui. Les gens froids sont des analystes mesquins qui ignorent la chasteté. Ne s’intéresser qu’à soi abrutit. Il ne suffit pas de ne rien posséder : il faut le savoir ! Le temps est nécessaire au développement pratique d’une idée. En 1952, Debord écrivait : « Une science des situations est à faire, qui empruntera des éléments à la psychologie, aux statistiques, à l’urbanisme et à la morale. Ces éléments devront concourir à un but absolument nouveau : une création consciente de situations. »

Le fond

Leur passion pour la vie passe par l’expérimentation des comportements, de l’architecture, de l’urbanisme et de la communication. Et surtout, à l’inverse des néo-avant-gardes, par le fait de ne pas abdiquer. Ils écrivent à Langlois, directeur de la Cinémathèque française, pour protester contre la projection d’un film de Lemaître, qu’ils considèrent n’être qu’un plagiat du Traité de Bave et d’Eternité d’Isou. Ce dernier film n’étant que…
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En 1955, un article annonce : « Le 8e Festival de Cannes sera mauvais. » Les théoriciens, c’est-à-dire les critiques, se plaignent de ce que les films se suivent et se ressemblent. C’est normal, disent les lettristes, puisque le cinéma est mort. Par ailleurs, ils insultent Duvivier parce qu’il a osé tourner dans les châteaux de Louis II de Bavière… Seules la publicité et la propagande peuvent ouvrir de nouveaux champs d’expression, affirment-ils. Ils dénoncent La Strada en tant qu’apologie de la misère et apologie de la résignation. La technique de Mac Larens, celle qu’il utilise dans Blinkity Black avait déjà été découverte trois ans auparavant par les lettristes.
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Les lettristes, ceux-là du moins, attendaient tout des gens et des événements à venir. Ils ont été comblés. Le procès-verbal de dérive, le compte rendu d’ambiance, le plan de situation malgré ou à cause de leur apparente naïveté ont amené dans la pensée et dans les faits des boulever-sements majeurs. Ces lettristes n’ont guère en commun que le goût du jeu, mais il mène loin. Dadaïstes investis, extravertissez-vous !

LA CINEMATHEQUE CRÉATRICE

Tous les premiers lundis du mois, Maurice Lemaître organise une séance de projections à Beaubourg. Ces séances nous ont permis de voir de nombreux films lettristes dont le justement fameux Traité de Bave et d’Eternité d’Isidore Isou. En fin de projection, Lemaître anime des débats. Cette pratique polluait déjà l’imaginaire des lettristes en leur jeune temps. Maintenant cela ressemble à une danse de dinosaures.
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La dernière séance de la Cinémathèque créatrice a poussé cette idée dans ses conséquences ultimes de coup d’épée dans l’eau. Plus de film, rien que du débat. Une centaine de personnes étaient dans la salle et – fait remarquable – refusaient de parler, participer, juger, condamner, approuver ou s’exprimer. Des jeunes gens avaient néanmoins amené des films que nous pûmes visionner. Le premier, d’Hélène Richot, Guillaume et Baisers bleus, était alerte mais sans innovation. Le dernier était tissé, de la manière la plus fine, d’émotions. Vois de F. Malek et R. Genty démontre que la fragilité, la faiblesse, la tendresse filtrée par la pudeur, sont la seule aspiration crédible du cinéma en tant qu’art.

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LES ANNÉES NONANTE SERONT ÉTINCELANTES

Romands bombez le torse, soyez fiers, l’une d’entre vous, Patricia Moraz, a produit le film le plus intéressant de 1984, Boy meets girl de Léo Carax.
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C’est la purge. L’œil se désencrasse et l’esprit s’allume. Un jeune homme, que son amour vient de quitter avec son meilleur ami, pendant la journée qui précède son départ à l’armée, essaye de se faire aimer d’une inconnue. Cette entreprise l’amènera à croiser une nichée de bébés, Nounours, Pimprenelle et Nicolas et le premier homme ayant marché sur la lune. Il essayera d’assassiner son meilleur ami, ajoutant un nouvel événement à sa Carte du Tendre.
Carax oppose à la jeunesse minaudante des bidets publicitaires, des jeunes anxieux, pompeux, suicidaires, boutonneux, timides, vrais, faux et agressifs. Ce n’est pas leur acné qui les inquiète mais le ciel lourd de la métaphysique.
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Dans ce ciel, impressionné sur une magnifique pellicule llford noir-blanc, apparaissent des visages en superposition ou de merveilleuses étoiles sagement rangées côte à côte.
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La bande son, truffée de voix off, est étincelante et d’une pure audibilité exceptionnelle dans ce genre de démarche. Assis dans un bus, le héros prie, appelant son dieu du nom d’une jeune fille, Mireille, l’héroïne : «Ô Mireille, mon amour, délivre-moi de la lourdeur et de l’abstraction».
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Denis Lavant, le personnage principal, est la première apparition à l’écran d’un être des années 80. Son humour est le produit de notre pédagogie : «En ce moment, je prépare Adi, Edi, une pièce qui sera donnée au Petit Odéon. Adi est un homme. Edi, un chien. Je joue Edi». Mireille Perrier, tendre petit poussin, est la preuve vivante que Godard aimait Anna Karina parce qu’il pressentait qu’un jour Carax allait venir.
Boy meets girl est un mariage du meilleur et du pire, mix et remix, un amour sans âge, une illustre avidité, des mains si douces et qui ne se touchent jamais, de l’aventure et la quête désespérée d’une osmose toujours possible.
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Viens, je t’en prie, viens. Cette fois-ci, je saurai t’aimer…

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Patricia Moraz : UNE LAUSANNOISE DANS LA JUNGLE PARISIENNE.

Patricia Moraz, productrice déléguée sur l’un des films événements de la saison 1984-1985 : Boy meets girl de Léo Carax, est Suissesse, et même lausannoise ! Ce film a fait sensation non seulement parce que son auteur est très jeune (24 ans) mais aussi parce que ses choix cinématographiques sont extrêmement déterminés. Boy meets girl a eu un succès d’estime et une couverture de presse comme aucun film d’auteur n’en avait eus depuis longtemps.
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Patricia Moraz a commencé à travailler dans le cinéma en 1967 en écrivant le sketch de Francis Reusser pour Quatre d’entre elles. Nous lui devons aussi le scénario de Black Out de Jean-Louis Roy (1969) et les dialogues du Grand Soir (1975) de Francis Reusser. Elle a réalisé deux longs métrages : Les Indiens sont encore loin (1976-1977) et Le Chemin perdu (1978-1979).
En 1982, Patricia Moraz rencontre Léo Carax qui brûle d’envie de faire un film. Elle-même a des projets personnels mais n’est pas certaine de leur intérêt dans l’immédiat.
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Elle vient de terminer, en tant que productrice associée, L’Argent de Robert Bresson. Elle en a donc un peu d’argent… Le projet de Carax, le fait qu’il soit synchrone avec son âge, la séduise. Elle décide de produire Boy meets girl. Elle va essayer d’intéresser Roger Diamantis et Pascale Dauman au projet. Diamantis accepte de servir de parrain. Dauman est partante mais trop prise par la préparation de la distribution de Paris-Texas de Wim Wenders. Moraz présente le film à «l’avance sur recettes». Elle reçoit une petite somme. Le coup d’envoi est donné… D’emblée, Carax manifeste un énorme intérêt pour la technique, mais pas pour elle-même. Il veut savoir comment parvenir aux effets qu’il souhaite. Et quand l’image ou le son ne répondent pas à ce qu’il avait imaginé, il «tanne» tout le monde jusqu’à ce que la question soit éclaircie. Ce qui l’amène aux questions d’argent et de communication. Il veut tout savoir du métier qu’il pratique.

P.M.: «Et après, j’ai formé une équipe. On a eu un assistant assez rapidement. Six se sont succédés. Ils craquaient tous parce que Carax est quelqu’un d’un peu silencieux. Il ne se livre pas énormément. Maintenant, après le film, il parle plus… Et puis, il ne dit pas vraiment ce qu’il veut. Il cherche. C’est vrai qu’on sait en gros ce qu’on a en tête et que c’est comme ça qu’on arrive à faire de bonnes choses. Bresson est un peu pareil. Il dit juste le minimum.»

Déjà le succès !

Boy meets girl a coûté trois millions de francs français. Cela représente la moitié du budget d’un film français moyen. Patricia Moraz pense que c’est un film sur lequel l’argent a été bien utilisé car il a quand même nécessité beaucoup de construction de décors, la Louma et surtout beaucoup de lumières.
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Boy meets girl n’est pas un film dans le style «nouvelle vague». Ses noirs et blancs sont plus proches de ceux des vieux films hollywoodiens. Ils n’ont rien de terne ou de «naturaliste».
Avec son petit budget, ce film est en train de battre au nombre d’entrées – il en fera entre 50 000 et 60 000 sur Paris ! – des films qui ont coûté cinq fois plus cher et qui ont des budgets de publicité dix fois supérieurs.
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L’Argent de Bresson, un chef-d’œuvre, a fait 70 000 entrées… sur Paris et périphérie. C’est tout dire. Et cela explique l’agréable surprise, en un moment où le cinéma d’auteur intéresse peu de gens, que représente le succès de Boy meets girl.
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Les rapports avec les critiques professionnels n’ont pas toujours été faciles. Sur les Cahiers du Cinéma, Patricia Moraz est particulièrement sévère. Il faut savoir que ceux-ci, probablement pour des raisons conjoncturelles, tentent en ce moment une reconversion dans le commercial, reconversion qui est loin de satisfaire tout le monde.

P.M.: «Carax a dit: «Les critiques de cinéma ont des arbres généalogiques au pied desquels ils nous enterrent.» Je suis d’accord avec lui. Téchiné tourne un film à Nanterre. Les Cahiers du Cinéma écrivent : Téchiné invente la technique du tournage à deux caméras ! Alors que l’on sait que cela se faisait dans les années trente à Hollywood ! Ils ne sortent leur culture que pour assommer les cinéastes et quand ils font leur travail de critique, ils n’ont plus aucune culture puisqu’ils ont l’impression que ce sont leurs copains qui découvrent tout…»

Effectivement, dans son ensemble, la presse a beaucoup insisté sur la «culture cinématographique» de Carax. Godard, par exemple, est mentionné dans tous les articles sur Boy meets girl. Patricia Moraz trouve cela injuste et s’étonne que l’on ne l’écrive jamais sur tel ou tel qui tourne dans le style de tel ou tel autre cinéaste américain.

P.M.: «Carax est très jeune et très vieux en même temps. C’est aussi un petit vieux. Carax, comme beaucoup de gens, a une frontière ténue entre le rêve et la réalité. Il a, par exemple, des rapports avec Céline comme si Céline était encore vivant. Régulièrement, il écoute la voix de Céline. Il lit les livres de Céline dans l’ordre. Et avec les films, c’est aussi comme ça. Il a des «amis» qui sont dans les films et puis voilà… C’est tout… Il ne fait pas de citation.»

Interrogée sur ses projets d’avenir, Patricia Moraz, encore convalescente d’une maladie qui l’a affaiblie, reste évasive mais avoue qu’elle aimerait bien tourner pour la télévision suisse une dramatique ou un feuilleton par épisodes.

LOVE STREAMS DE JOHN CASSAVETES.

C’est grand. Ça parle d’amour, de solitude, de liens. Il y a des femmes, des hommes et des enfants. Tout ce qui avant était un peu lourd chez Cassavetes a disparu. Plus de place du Tertre, plus de croûtes. Les cauchemars sont devenus sobres. C’est un peu claustro. Le film a été tourné dans sa maison. Est-ce la raison? Se sent-il devenir vieux ? Gena Rowlands est la finesse même. Femme de Cassavetes dans la vie, dans Love streams, elle est sa sœur. Elle est ici encore meilleure que dans Gloria du même Cassavetes. L’histoire est simple. Un écrivain qui gagne très bien sa vie en écrivant des histoires de sexe, n’arrive pas à rester seul le soir. Alors, il s’offre une douzaine de putes de luxe en même temps ou s’embarque dans des dragues insensées. Il boit beaucoup. Sa sœur ne va pas bien non plus. Elle n’arrive pas à faire l’amour. Elle ne vit que pour l’amour mais n’arrive pas à le faire. Son mari qui en a marre demande le divorce et leur fille veut rester avec le père. Pour les autres, le frère et la sœur sont dingues. Il leur manque cette chose indispensable qui n’est pas une chose mais une capacité: la capacité à la résignation. Cassavetes est plus lourd qu’avant mais moins inégal. Plus franc et plus honnête aussi sans doute. L’auteur boit et on le frappe. L’auteur est collant. Une femme le fuit puis le frappe puis finit par l’aimer quand même. C’est la vie… Mais c’est trop tard. Il n’a plus de désir pour elle. Le deuxième mari de l’une de ses femmes le frappe. Pour rien. C’est lui que la femme et l’enfant issu de ce mariage aiment. Ni pute, ni mou à la Wim Wenders, Cassavetes n’est jamais non plus mièvre, ainsi que le sont la plupart des films sur l’amour. Pas de fesses, pas d’abjection, pas de faux-frères. Rien qu’un «beauf» malheureux…
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«L’amour est-il un flux continu ou un flux discontinu?», demande sans cesse Gena Rowlands. Et cette question devient importante. Seymour Cassel, l’admirable demi-sel de Meurtre d’un bookmaker chinois (du même Cassavetes) est dans Love streams le mari de Gena Rowlands. Tout d’un coup, il se demande si un homme seul peut s’occuper d’une petite fille de treize ans en pleine puberté ? Et la question ne sonne pas comme une question mélodramatique.
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L’écrivain, le personnage joué par Cassavetes, dit : La vie est une série de suicides, de divorces, d’enfants écrasés et de promesses déçues. Paradoxalement, ce point de vue est plus stimulant que les niaiseries habituelles. Est-ce un philosophe amateur, un américain, qui évoque ce qu’il ne faut pas faire? Peu importe! C’est peut-être triste mais sûrement moins que l’usuelle guimauve cinématographique. L’échec, affectif dans le cas présent, est la réalité. Il n’est pas toute la réalité… paraît-il… Love streams est un film nu, vide, rapide, éclair et imprécis, très imprécis.

PASCAL ORY : L’ANARCHISME DE DROITE OU LE MÉPRIS CONSIDÉRÉ COMME UNE MORALE, LE TOUT ASSORTI DE RÉFLEXIONS PLUS GÉNÉRALES (… DE CÉLINE A CLINT EASTWOOD)

Le titre est aussi laid que la chose elle-même. Ce livre est malheureusement un ouvrage bâclé. Il traite principalement de la récrimination dans le cinéma français. Il traite aussi passablement de Céline qu’Ory, incontestablement poursuit d’une rancune sociale-démocrate et bon enfant.
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Le sujet est difficile. Un vrai sérieux à la Pierre Bourdieu (sociologue français) aurait permis de mieux l’aborder. Parce qu’il aurait supposé comme préalable indispensable un inventaire efficace, une conceptualisation crédible et pour finir, une dénotation laborieuse des références, toutes démarches manquant complètement à l’ouvrage ci-incriminé. Même un amateur éclairé, spécialisé, hobbyste, snob comme Saül Poulet aurait eu de la peine à le traiter. Attaquer sans méthode et sans être doué d’une forme de bêtise n’est pas à la portée du premier fat venu.
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Ory dédie son livre aux anarchistes de gauche. C’est dire que la nostalgie qu’il va attaquer sur sa droite est pourtant partie intégrée de sa par trop simple personnalité. Il dénonce Jean Gabin ou Alain Delon en tant que poseurs. On croit rêver. José Giovanni, Georges Lautner et Henri Verneuil lui paraissent être des fascistes parce que lui, oblige sans doute ses enfants – s’il en a – à se promener nus le dimanche après-midi dans son appartement. La spontanéité et la rigidité sont des concepts bien courts pour traiter de 1 ‘ habitus politique du pays de la Révolution. Alain Delon impassible dans Le Samouraï n’est pas l’Alain Delon excité comme une puce et vantant Le Pen dans les pages de Paris-Match. L’art roman est hiératique donc, pour Ory, d’extrême-droite. En identifiant Michel Audiard à Charles Bronson, l’auteur se comporte comme le gogo qu’il prétend défendre. Le style complaisant est en train d’envahir les essais. Cela nous évitera d’avoir à en lire.
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Ce livre est écrit par un voleur qui se contente d’enfiler de vagues certitudes molles sur un fil de débilités niaises. Exemple : Le Sceptre d’Ottokar d’Hergé est qualifié de «traité en douceur du paternalisme catholique».
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Aucune démonstration, aucune analyse. Ça va de soi ! Ces petits-bourgeois finiront par nous faire regretter la démocratisation de l’enseignement supérieur. Dire que Flic et voyou, le plus gros succès à ce jour de la carrière de Jean-Paul Belmondo, est un éloge aimable de la justice expéditive et une critique aimable du laxisme pénitentiaire, et reprocher cela à ceux qui l’ont fait est insensé. Car, enfin ! Il est évident que ce n’est pas le cinéaste qui a fait le succès de ce film mais bien le public. Donc si quelqu’un doit être insulté, c’est le public et lui seul. Rien n’oblige celui-ci à adhérer à Flic et voyou. ADG ou Anouilh se revendiquent de droite et même d’extrême-droite. Que leur art le soit reste à démontrer. De même, les anars de gauche d’Ory, San Antonio, Cavanna ou Mocky ne font pas automatiquement un art de gauche en admettant que cela puisse exister… Vive la France d’Audiard est peut-être un «petit traité de mépris restreint et généralisé» mais ce film ne s’est jamais présenté comme une fiction, ni comme une œuvre d’art. Il s’agit d’un film de propagande au service des idées de son auteur. Cela n’a rien à voir avec l’art, genre ambigu par définition.
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Ory crache sur Jacques Mesrine, Albert Spaggiari et sur les sympathisants d’Action directe d’un point de vue de bureaucrate. Ce point de vue est de ceux qui rendent la jeunesse terroriste car ce n’est pas parce que, pour Ory, traverser le boulevard Saint-Germain est une aventure, que les jeunes vont se résigner à naître vieux comme il le fit lui-même en 1948. Ory envoie des incantations en espérant que cela protégera sa société d’éventuels anges exterminateurs. Ces incantations ont l’effet inverse, elles suscitent des vocations.
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Il insiste sur la division des tâches entre Bourvil et Gabin dans La Traversée de Paris. Cette insistance se veut dénonciation d’une vision non rousseauiste des rapports sociaux. Je rêve ou quoi ? L’adhésion des spectateurs vient d’une reconnaissance d’un vécu élémentaire. Celui qui a du caractère dans une relation malgré tout fraternelle domine. Autant-Lara n’insinue pas que les humains sont des fourmis ou des abeilles, il raconte une histoire… Max Gallo, Georges Conchon ou Régis Debray, au niveau superficiel où reste Ory, auraient pu figurer dans son livre sans problèmes aucuns. Nietzche n’a pas eu de descendance. Son concept, «le ressentiment», est bien plus éclairant que la survivance archaïque à l’intérieur des salariés des couches bien payés et des couches culottes, d’une division dans l’espace de l’Assemblée nationale ou internationale. Netchaïev, mon frère !
On imagine Ory se caressant la barbe d’une main et fumant la pipe de l’autre. Comment un type comme ça, un type qui a du jus de navet dans les veines, du bide et une calvitie définitive peut-il croire qu’il va être à la hauteur face à un Céline ou même à un Marcel Aymé ?
A la niche ! Il dénigre Jean Yanne mais celui-ci ne ferait même pas une bouchée de celui-là. Un petit intellectuel dit du mal de grands acteurs donc de la vie à l’exception de celle que l’on voit dans les films de Sautet.
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Et mentionner, comme ça en passant, qu’Albert Simonin a peut-être travaillé dans une feuille antisémite pendant la guerre est franchement répugnant. Soit il l’a fait et chacun choisit son camp, soit il ne l’a pas fait et c’est un appel au lynchage.
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Pollution intégrale, plomb dans l’essence, pickpocket ! A la page 54 de son opuscule, Ory pense moucharder Céline en l’accusant de ne vénérer que la tripe. En avoir ou pas ! Bref, les babas reviennent pour nous dire que Sardou ou Lauzier sont méchants. Si au moins ! Un Sardou est bien plus discutable par la qualité de ses chansons, leur côté ringard-bavard-prétentieux qu’il ne le sera jamais par ses idées politiques. Et comme le fait dire Lelouch : «Un homme doit avoir des idées d’homme ; pas des idées politiques».
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De toutes les nostalgies, l’anarchie est certainement l’une des plus râleuses et l’une des plus morbide, quand elle n’est pas flicarde et intolérante. Ory avec sa division gauche-droite n’y a rien compris. A bon entendeur…

L’homosexualité à l’écran. A seule fin de se justifier ?

Tout le monde il est beau, tout le monde il est homo… Litanie que pourrait répéter sans fin Bertrand Philbert, auteur de cet ouvrage.

Ce livre est très bien écrit. Il se lit facilement. L’auteur arrive à nous convaincre, par son style môme, que l’homosexualité est un sujet intéressant. Le sexe hante le monde. Y compris dans les pays protestants. Certaines dénonciations sont militantes donc mutilantes. Mais le critère de base reste le goût… Donc la paire goût/dégoût.

Avant les années 1960

Le premier film consacré à l’homosexualité est de 1919 : Anders als die Anderen (Oswald). La fin en est tragique. Après, il y en a eu d’autres. En prison, à la caserne et un peu partout pour Laurel et Hardy.
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« Stan : — Sais-tu ce qui nous manque pour être heureux?
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Ollie : – Quoi ?
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Stan : — Un bébé dans la maison.
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Ollie : — Je ne saisis par le rapport.
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Stan : — Mais si ! De cette façon, l’esprit de ta femme sera occupé! Et tu pourras sortir avec moi le soir, ça lui sera complètement égal !…»
Leur attitude est toute de révolte. Leur oppresseur : le matriarcat américain. Leurs relations sont sado-maso. Stan Laurel se travestit dans la plupart de leurs films. Et pas comme d’habitude, par exemple Certains l’aiment chaud (Wilder), avec l’accent mis sur le grotesque qui désexualise.
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Les vrais hommes sont forts, silencieux et jamais, jamais sentimentaux. Ils agissent vite et efficacement. Ils pensent peu. Charlie Chaplin va les prendre à revers. Il ira même jusqu’à la bisexualité dans Mademoiselle Charlot (1915). Film pour lequel il a exceptionnellement, en tant que Charlot, abandonné sa moustache. «Dès ses premiers films, on observe chez Chaplin une tendance marquée à harceler des personnages gros, laids, d’une masculinité caricaturale. Le petit homme au chapeau melon ne rate pas une occasion de les ridiculiser grâce aux coups de pied au cul et autres tartes à la crème, après les avoir souvent quasiment allumés. Et il y a chez lui une féminité pleine de grâce….»
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Pour les autres films, ceux qui ne font pas rire, le cliché est : soyez pédé si vous ne pouvez pas faire autrement mais on vous aura prévenu, seulement la solitude et la mort vous attendent comme fidèles compagnes.
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L’auteur se plaint de ce que les révolutionnaires ne s’intéressent pas à l’amour. Ridicule ! C’est le thème de l’excellent Baiser de la Femme-Araignée (Babenco, 1985). La pulsion révolutionnaire est le contraire d’un don…
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A propos des Damnés (Visconti) ou des Désarrois de L’élève Torless, il affirme que c’est la répression qui engendre des déviations pathologiques. Mais qu’est-ce qu’il a contre les déviations ? Et je dirais même contre le récit ! Il en veut à Rossellini à cause de la lesbienne fasciste de Rome, vile ouverte («…au sortir des années terribles des Triangles roses»).

L’ombre de Freud…

Pourquoi est-ce qu’une lesbienne ne serait pas fasciste ? Il y en a bien qui sont démocrates… Pour Freud, d’après Philbert, l’homosexualité n’est qu’une déviance adolescente qui doit disparaître chez l’adulte. Freud pensait aussi que : les amitiés particulières naissent des circonstances et de l’influence du milieu ambiant. Ce qui agace Philbert pour qui l’homosexualité doit être partout et se brandir socialement.
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Ainsi, alors qu’il dénonce le freudisme, traitant même Freud de «dictateur», Philbert accepte le concept de refoulement. Ce concept ne suppose d’ailleurs pas que le passage à l’acte soit une guérison. Eisenstein disait que l’homosexualité «conduit à une impasse, à la mort de l’inspiration créatrice». Bavardage ! L’art est certainement, si ce n’est plus épanouissant que la sexualité et chaque grand artiste est sa propre théorie et sa propre pratique. Et la créativité des homosexuels, dans les bars gays ou ailleurs, n’est pas du tout ce qui saute aux yeux. Soyons clair : les hétéros ne valent pas mieux. Ça ne se joue pas là. Léonard de Vinci concluait que « la passion intellectuelle exclut la sensualité». Ça c’est vrai ! Les passions ont tendance à s’exclure mutuellement. Que la meilleure gagne ! Et que Charles Fourier devienne notre maître à tous… J. Genêt déclare que son soutien au FLN vient de ce qu’il a fait l’amour avec de jeunes Algériens. C’est intéressant parce que c’est un grand artiste. Que Zéro de Conduite de Vigo (1933) figure dans ce livre est déplaisant. Zéro de Conduite n’appartient ni aux homos, ni aux hétéros. Zéro de Conduite appartient à l’enfance, à l’art, à Wam.
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A propos des Enfants du Paradis, Carné déclare : «C’est très net, et historique. que Lacenaire est homosexuel et qu’il couche avec Avril — la dévotion d’Avril, avec sa rose à l’oreille ! » Eh oui… c’est dur la vie, mec! Mais pourquoi «coucher»? Et en quoi cela nous regarde-t-il ?
Soudain l’Eté dernier (Mankiewicz) a fait scandale en 1959 parce que son propos était inventif. Sébastian Venable se servait de sa mère et de sa cousine pour attirer ses proies… «En 1959, dans La Dolce Vita (Fellini), des travestis, au sortir d’une nuit de fête, prédisaient qu’en l’an 2000 tout le monde serait homosexuel. L’aube, la fatigue et l’excitation leur feront par-donner leur optimisme démesuré.»

La recherche d’une identité homosexuelle…

Philbert reproche au cinéma des années 1960 de montrer les gays «comme étant des êtres solitaires, qui se détestent eux-mêmes, qui ont peur du resté de l’humanité et le haïssent…». C’est ridicule. L’art n’est pas de la propagande. Et cette vision a son poids de réalités. Tout comme aujourd’hui la pub Eram qui montre des gays cuirs tellement grégaires qu’on ne peut plus les différencier les uns des autres. A bon entendeur… Aimer Les Amitiés particulières (Delannoy) parce qu’il dénonce la répression par l’Eglise catholique de l’homosexualité n’a pas grand sens… pour un artiste ! Philbert défend ce film: «Les relations entre Ludovic et Alexis (M. Carrière), la fascination de ce dernier pour Jacques, toute la sensualité, même naïve, qui passe dans le film, on se permettra de préférer tout cela à la spiritualité rance et répressive qui prétend tout régir.» Oh ! Vieille minette, vieux baba, où as-tu vu que la spiritualité était rance et répressive? Cette époque est d’une vulgarité incroyable ! L’auteur-militant se coince lui-même en ne pensant pas la vie comme une histoire d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards, de morts et de vivants. Il veut à tout prix qu’il existe une identité homosexuelle. Même mutilation psychique donc que celle des homophobes. A mon avis, qui n’a rien d’humble, ce type est un hétérosexuel refoulé. Et d’un sentimental ! Il se plaint que le gay vampire du Bal des Vampires de Polansky soit grotesque. Mais c’est normal puisqu’il est gai et qu’il s’agit d’une comédie !
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Octobre 1955, Peyrefitte interdit Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot (Rivette). Et Philbert dénonce la relation de domination saphique que raconte ce film comme étant un cliché. Comme si entre deux lesbiennes, il n’y avait pas de rapports de pouvoir ! Et comme si le cinéma hétéro ne montrait pas des couples qui se déchirent ! De même, il ose critiquer le personnage qu’incarne Grayson Hall dans le fabuleux La Nuit de l’Iguane de Huston. Et ainsi de suite… Relevé les personnages de lesbiennes chez Bergman sans signaler les maris cocus est de la pure démagogie militante. Le si juste Je, tu, il, elle (Akerman) aurait mérité bien plus de deux lignes.

Les années 1970

«… Quand la nudité de Bardot aura fini de choquer, on ira chercher l’inceste ou l’homosexualité. Parallèlement à cette tendance sensationnaliste, on trouve des libéraux qui, on le verra, découvriront dans les gays, employés à petites doses, un moyen de se donner bonne conscience à peu de frais.» Discours libéral : ok pour l’homosexualité mais il ne faut pas en rester là.
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Le fabuleux Reflets dans un Œil d’Or (Huston) renvoie aussi pour Philbert à des clichés. Taré ! La beauté est terreur. Le réel est inépuisable. C’est le gay soft que cherche l’auteur qui est un phantasme. Mièvre… Tout comme son idée de sexualité joyeuse (Sesso Matto, Risi) est du rousseauisme de bas étage.
«…Dans Pain et Chocolat (1974), Nino Manfredi et les autres travailleurs immigrés en Suisse se travestissent dans leur baraquement et en rient à gorge déployée jusqu’à ce que l’un d eux apparaisse, jeune homme dont la beauté n’a plus rien de caricatural : un silence de mort s’installe, le trouble ayant gagné tous ces machos latins. »
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Il reproche à Une Journée particulière (Scola) de tenter le « après tout ces gens-là sont comme tout le monde». Il crache à juste titre sur L’Escalier (Donen). Il défend Une Chose très naturelle (Larkin) que les gays radicaux USA «considèrent comme un ramassis de mièvreries». The Rocky Horror Picture Show (Sharman, 1976) est un petit bijou. Frank N. Furter fredonnant «I’m a sweet transvestite from Transsexual, Transylvania» donnait sa version boulimique, pas triste ! du métaphysique Théorème (Pasolini). «Avec son Satyricon (1969), Fellini approchait lui aussi la sexualité d’une manière peu conventionnelle et donnait, finalement, un portrait assez sympathique de l’homosexualité, déculpabilisée, détachée de ses racines tragiques. Jamais en reste d’un gag, Fellini a déclaré qu’il avait employé des acteurs anglo-saxons parce qu’il n’existerait pas d’homosexuels en Italie…» Cette idée de la sexualité «déculpabilisée», «détachée de ses racines tragiques» est une idée de club de vacances pas une idée de critique d’art. Philbert ne cherche pas à comprendre pourquoi Visconti de film en film noircit de plus en plus l’homosexualité et la présente sous les traits d’un narcissisme stérile. L’expérience vécue de ce grand artiste ne l’intéresse pas. Il le juge ! Pire encore, il fait de même avec Pasolini le décrivant comme auto répressif. Pasolini travaillait tout public, universel !
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Dans Carwash (Schultz, 1976) cette phrase magnifique dite par un gay à un gauchiste : «Je suis plus homme que tu ne le seras jamais, et plus femme que tu n’en auras jamais.»

Les années 1980

«Pourtant, il faudra bien que la pourriture apparaisse : moins quand elles crachent leur rage que dans leurs accès de tendresse.» (J. Genêt, Comment jouer les Bonnes.) «Aux Etats-Unis comme en France, les grandes compagnies n’hésitaient pas à tâter le «créneau pédé» et Gaumont se lançait dans Querelle (Fassbinder, 1982) et L’Homme blessé (Chéreau, 1983), FR3 mettant audacieusement quel¬ues billes dans ce dernier.» «… La publicité introduisit discrètement (Heineken, 1981) ou moins discrètement (Eram, 1982-1983) l’homosexualité dans ses films.» Arrive la paranoïa autour du SIDA. Point culminant : tout le monde peut l’avoir ! Philbert voit de l’homosexualité dans Voyage au Bout de l’Enfer (1978) et s’étonne que Cimino le nie. Alors là aussi, c’est plutôt fort. Le journaliste explique au maître (ce qu’est Cimino) ce qu’il a voulu dire… La saleté d’Oshima le sale, Furyo, remporte les suffrages de cet adepte de la chair gaie. Bonjour-bonsoir…
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Paul Morrissey invente, à son habitude, sur le sujet un scénario extraordinaire : des gigolos essaient de vendre le cadavre d’un adolescent mort d’overdose à un micheton paranoïaque ! Et souvenez-vous de toute la tendresse qu’il avait mise dans Flesh (1968). Dustin Hoffman fait son numéro d’acteur dans Tootsie (Pollack, 1982).Cela aurait été un film sur les ours blancs, il aurait fait la même chose. «Avec Mad Max II (1981), si Miller mettait l’homosexualité du côté des méchants motards, il avait au moins le mérite de l’intégrer sans porter de jugement sur elle : un des guerriers dont le giton était tué pouvait montrer sa douleur, et décider de se venger.»
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Le film porno gay est aussi dénué d’humour et de vie que son collègue hétéro. Encore que dans certains hétéros…
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W. Burroughs réclame dans le film qui porte son nom (Brookner, 1983), la création d’un Israël gay. Ce pays vivrait-il du tourisme ? «A faire ce rapide survol de la création homosexuelle en matière de cinéma, une évidence s’impose : le talent n’est pas mieux distribué ici que parmi les hétéros.» Entre nous, l’Identité, la Femme, le Gay, le Noir, etc., c’est d’un casse-pied… Et d’un abstrait ! A moi Shakespeare ! La vie lorsqu’elle vaut la peine d’être vécue ce n’est pas ça, c’est : «… l’amour et la métaphysique les révolutions de bistrots tous les soirs la chaleur et les yeux éteints…» ainsi que l’écrit J. Pajak dans P. P. Et vive les poussins !

L’Homosexualité à l’Ecran, Bertrand Philbert. Editions Henri Veyrier.

DELIRIUM TRÈS MINCE

LE BAISER DE LA FEMME ARAIGNÉE (Babenco).

Bien vu ! Prix d’interprétation cannois 1985 à William Hurt. Un peu claustro…

ESCALIER C (Tacchella).

Guimauve en barre. Le chef scout y a pleuré. Moins ça vit, plus ça pleure… au cinéma. Contient un pédé répugnant. Le reste itou.

LA FORÊT D’ÉMERAUDE (Boorman).

Très beaux plans d’animaux. A voir sur grand écran.

DRÔLE DE SAMEDI (Okan).

Suisse… Pince-sans-rire, sans rire du tout. Reposant, rend bien la gentillesse des petites placettes de Suisse romande.

GETAWAY (Peckinpah).

Bandant. Cinéma-cinéma. Mac Queen superbe. Le scénario joyeux et violent.

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