Nos yeux se sont ouverts

Film sur la parole de Jean-Marie Straub par Sol Suffern-Quirno et Rudolf di Stefano, 2010

54 minutes

Dans une salle de cinéma, toutes les semaines, on y projette des films qu’une femme et un homme ont faits. L’homme, Jean-Marie Straub, est là à presque toutes les séances. Nous aussi, nous sommes là. Ce qui nous réunit lui et nous dans ce lieu, ce qui fait qu’on soit ensemble, ce sont les films que l’homme et la femme ont fabriqués.

À chaque fois c’est la même chose, les lumières s’éteignent et la projection commence. Il y a des regards, des écoutes, il y a un film, il y a un public.
Là, dans une salle obscure, Nos yeux se sont ouverts.

La projection terminée, les lumières s’allument, l’homme seul se lève et se place devant l’écran, là où le film avait été projeté. Ça commence toujours comme ça, chaque semaine de la même manière. Une fois l’homme debout, il peut y avoir un long silence. Il attend qu’on lui dise quelque chose, ou alors il parle tout de suite. Il peut parler beaucoup, il n’y a pas de règle. Dès fois, il a envie, dès fois pas. Puis arrivent nos questions, et parfois en retour des réponses, pas toujours adéquates à la question, jamais adéquates. Il y a même une bataille. Une bataille pour éviter de tomber dans les opinions toutes faites, les idées reçues. Puis, ça s’apaise. Cet échange peut durer une heure, quelquefois moins, parfois plus. Il faut savoir être à la hauteur du film.
À ce moment-là, il peut y avoir aussi une rencontre, une rencontre d’un autre ordre que celle d’avec le film, d’une autre nature, comme d’un autre pays, d’une autre langue, une rencontre entre une parole rare, ni technique ni cinéphilique, et une attente. Pour l’homme, il y a urgence. Même seul, il donne l’impression de devoir aller jusqu’au bout, comme si tout devait sortir de lui. Pour nous, c’est l’espoir que dans le champ du cinématographe une parole singulière peut encore exister.

Nos yeux se sont ouverts s’inscrit à la suite de deux autres films sur la pratique cinématographique de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Après Où gît votre sourire enfoui ? de Pedro Costa sur le travail de montage et Se gira ! de Jean-Charles Fitoussi sur le tournage, Nos yeux se sont ouverts veut révéler une dimension inaperçue de l’œuvre de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub : le moment de la projection des films et la rencontre avec le public. Nos yeux se sont ouverts révèle que loin d’être une situation convenue, la rencontre avec le public a été pour ces cinéastes le lieu d’un réel travail, un moment essentiel de la vie d’un film. Offrir le film au public et ensuite échanger avec lui a été toute leur vie, une exigence dans leur démarche cinématographique. Dans l’entrechoc des questions du public et des réponses des cinéastes, une parole simple et précise, révèle une pensée singulière du cinéma.

Aujourd’hui Jean-Marie Straub est seul, il continue, usant de ses dernières forces, d’accompagner ses films dans les salles de cinéma pour rencontrer le public. C’est ce qu’il a fait du 13 novembre 2007 au 11 mars 2008, où toutes les semaines, vingt-deux de leurs films ont été projetés dans un cinéma parisien et où un public régulier s’y est rendu pour découvrir, ou redécouvrir des films trop peu visibles autrement.

Nos yeux se sont ouverts problématise le rapport complexe qui existe entre les films eux-mêmes et une parole possible sur eux. La question se résume par ces mots : est-ce possible de parler des films sans trahir l’événement qui a eu lieu pour le public, lors de la réception des images et des sons ? Cette question Jean-Marie Straub se l’est posée chaque soir. Le film enregistre cette difficulté, la questionne par son montage, et tente d’y répondre par la constitution d’une scène, d’un drame qui s’est joué durant toute cette période. Nos yeux se sont ouverts est, malgré le caractère documentaire de la situation, un film qui raconte l’histoire d’une double rencontre, deux moments qui restent irréductibles l’un à l’autre et qui pourtant ont existé dans un même lieu : la rencontre d’un regard avec des films et celle d’un public avec une parole.

Biographie réalisateurs

Nés en France, elle en 1971, lui en 1970, ils vivent et travaillent à Montreuil depuis 14 ans. En 2001, ils créent avec d’autres, l’AAPM, unité de production et le DOJO CINÉMA unité de réalisation cinématographique, qu’ils développent et animent pendant plusieurs années. Dans ce cadre, ils coréalisent collectivement une vingtaine de films courts, moyens et longs. En 2006, une rétrospective de leurs films est organisée au Ciné 104 de Pantin à l’occasion du Festival Côté Court. Parallèlement, ils publient aux éditions Paris-Expérimental un ouvrage qui a pour titre Enoncer un public.
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Depuis 2009 Sol Suffern-Quirno et Rudolf di Stefano continuent ensemble le travail cinématographique, Nos yeux se sont ouverts fut le premier film de cette nouvelle étape. Entre 2010 et 2014, ils réalisent plusieurs films dont Vies parallèles.
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Par ailleurs, durant l’année 2008-2009, Rudolf di Stefano anime un atelier d’investigation cinématographique à la Maison du Film Court, qui a pour objectif de dégager du cinéma ce qui est son invention propre : sa singularité, au travers de trois cinéastes que sont Robert Bresson, Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, ce travail sera publié sous la forme d’un livre aux Éditions Al dante, fin 2014
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Aujourd’hui Rudolf di Stefano anime avec le compositeur François Nicolas des séances trimestrielles Qui-vive au Ciné 104 de Pantin. Ces séances se veulent un lieu d’élaboration d’une nouvelle forme d’entrelacement entre cinéma, poésie, musique, politique, mathématiques,.…

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