Les crucifiés du futile

Texte d'Yves Tenret publié en 2004 dans Lee 3 Tau Ceti Central Armory Show, catalogue de la Villa Arson

Les crucifiés du futile.

60 textes d’une demi-heure chacun et tous dédiés à la mémoire de Robert Malaval.

Cris amoncelés d’accablantes misères, mêlez à nos arts des rires en murmure.
James Joyce

LE MAXIME DU JOUR

Ce que l’on ne peut pas dire, il faut le dire. L’art comme attitude a donné le coup de grâce aux produits de la sublimation et a ouvert la porte au règne sans partage du subliminal. Pour refonder le lien social, l’art doit terroriser le quotidien. Nous sommes enfermés dans un cadre des plus rigides, fait de milliards de petites normes implicites et de désirs régressifs : être conforme, aimé des autorités. Mouvement dialectique, la désacralisation de l’art consécutive à Dada a lentement amené à une sacralisation de tout (le 7e art par exemple) et de n’importe quoi (le 8e art, le 9e art, la chanson, les tatouages, les timbres-postes…)

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L’EVENEMENT

Nous sommes tous secrètement excités et titillés. C’est vrai que les dialogues sont mauvais, comme dans un million de films et de holos avec lesquels nous avons joué à nous faire peur, mais à présent nous faisons partie du spectacle. Dan Simmons, Hypérion.

LEE 3 TAU CETI² CENTRAL est un élément dans un jeu plus vaste, résidus d’autres activismes, inventaire d’une situation déconstruite, invite à la disponibilité illimitée, plage de pure oisiveté, manifestation de série Z avec ses gags énormes (la bande-son !), sa bonne humeur, ses transgressions bon enfant. Seules les classes moyennes ont encore les moyens d’être révolutionnaires alors autant que les autres se la coulent douces… Débranché et désenchanté, le commissaire [[Invité par Laurence Gateau, Stéphane Magnin a réalisé « Lee 3 Tau Ceti Central Armory Show » en étroite collaboration avec elle et son équipe, Julien Bouillon, Maxime Matray, Christelle Alin et Patrick Aubouin.]] vogue sans aucun programme, ailleurs, en dehors du trafic. Au gré des occasions et des rencontres, il recycle tout ce qui manifeste encore un peu de vie.
Quant à son troubadour, il se demande : comment être doux sans être mièvre, fort sans être bête, souple et ironique sans être complaisant ? Leurs modesties et leurs chaos se confondent.
Bref, soit, cet événement vous laisse perplexe et il a accompli son destin, soit, il vous indiffère et alors, quelle grandeur ! Etre inutile n’est-il pas le seul luxe qui nous reste ?

ETAT DES LIEUX

« Il y a des temps où la disgrâce est une manière de feu qui purifie toutes les mauvaises qualités et qui illumine toutes les bonnes. » Cardinal de Retz

Quoi de plus libre que le dessin ? Quoi de moins libre qu’un artiste ? Fume, c’est du belge ! Cette exposition a été conçue comme un bloc de banquise dérivant au hasard, bloc prêt à aller fondre où le vent le pousse, vieille époque retournant dans son vieux lit. Sans moi ! La marée blanche du dessin peut-elle vaincre la marée noire de tous nos cauchemars ? Il n’appartient sans doute pas à l’art d’occuper la place du crucifié. Trop facile… Chacun fait ces petites saletés et une bande de maso exaltés se prend pour le rédempteur. Ça arrangerait bien trop de monde. Ce n’est pas cela la douleur, le courage et la patience du négatif !

HISTOIRE

Chaconne pour une infante défunte… Le discours sur l’art est souvent pollué par un historicisme mou. Pourquoi s’en priver ? Allons nous y enfouir, disparaître et renaître – pur, violent et naïf à nouveau. L’histoire se répète. Nous sommes dans la version farce – ce tragique alangui. Un modèle, comme l’écrivit en son temps Heinrich Wölfflin l’Admirable, chasse l’autre. On se lasse. Au renouveau de la Renaissance succède le relâchement, l’arbitraire, la décadence, le Baroque ! Les grandes peintures des années 80 sont remplacées par des petits dessins, les cibachromes par des diapositives noir et blanc, les installations par des grottes, les environnements par des roulottes, les tapis de prière par un cabinet de lecture, le déceptif par de l’affirmatif, l’abstrait par du narratif, le net par du flou.

L’EXPOSITION

On voit que pour Harald Szeeman exposer, ça veut dire quelque chose, remuer les gens, les faire rêver, provoquer. Enrico Castelnuovo [[P.-A. Schatzmann, Y. Tenret, Une vie d’artiste – canton de Vaud – 1967-1978, Revue 48-88, n° 4/5, 1979.]]

L’exposition est l’art central de notre société. Son développement se réalise dans un mouvement continu d’intégration de nouvelles formes de représentation. Elle est, non seulement en tant qu’expression anecdotique ou formelle, mais aussi dans son infrastructure matérielle, la meilleure représentation d’une époque d’inventions anarchiques juxtaposées, non articulées, simplement additionnées. L’exposition se présente comme un substitut passif de l’activité artistique qui est maintenant impossible pour les non-spécialistes. Elle apporte des pouvoirs inédits à la force usée du spectacle sans participation.

LE YOGI ET LE COMMISSAIRE

Poor lonesome commissaire ! Brouillon, taiseux et solitaire, il a connu des enlisements stupéfiants, survécu à tous les ridicules et rêve d’accomplir encore deux-trois erreurs monumentales. Il flâne…

Le commissaire veut refonder l’art de l’exposition sur d’autres bases, en finir avec la Renaissance, l’Occident, les avant-gardes, l’Armory Show, sortir du maniérisme, passer au baroque, ne pas changer de fétiches mais d’environnement, être entouré d’autres objets et vivre dans de nouvelles architectures. Il envisage deux usages distincts de l’exposition : d’abord son emploi comme forme de propagande ; ensuite son emploi direct comme élément constitutif d’une situation réalisée. L’exposition est pour lui comparable à l’architecture par son importance actuelle dans la vie de tous et par les limitations qui la prive de renouvellement. Le commissaire n’applique pas un programme, ne suit pas un tracé linéaire. Il s’oublie, se perd et traite les conflits comme ils viennent, les uns après les autres. Tout comme son troubadour, il lutte contre la victimisation, la passivité récriminatrice et l’autosatisfaction. Et c’est rien de le dire !

DADA

Pour parvenir à un style qui reproduirait la dureté frappante et crue, l’inhumanité de mes objets, j’étudiais les manifestations brutes de l’instinct artistique. J’allais dans les urinoirs pour recopier les dessins folkloriques, qui m’apparaissaient comme l’expression la plus immédiate et la traduction la plus directe de sentiments forts. Les dessins d’enfant m’attiraient aussi, par la limpidité de leur signification. Ainsi arrivais-je peu à peu à ce style de dessin dur comme de l’acier, qui me permettait d’exprimer les observations dictées par ma haine absolue pour les êtres humains. George Grosz, 1924.

PSYCHO-GEOGRAPHIE DU DESSIN

Maîtriser des techniques ou ses pulsions amène à méditer. Il est des crobars plaisants et des croquis pensifs, des gribouillis poseurs et des tableautins réfléchis. Le dessin peut aider à accomplir un geste, à animer une histoire, à attirer l’attention ou l’inconnu, à fixer le temps, à chercher un raccourci vers son inconscient, à creuser en soi, à écouter ce qui ne s’entend pas. Ses fonctions décoratives vont de soi mais il peut aussi déranger durablement et ébranler les certitudes les mieux acquises. Economise tes forces ! Il sert à écrire tout autant qu’à expérimenter ou à finir d’un coup de marqueur un genre tout entier. Il peut hurler des slogans comme sa douleur, imaginer des villes vierges de toute présence humaine comme ironiser sur son impuissance.

A POIL !

Beaucoup de dessins ressemblent étrangement à leurs auteurs – comme tant de maîtres à leurs chiens. Mais tout tracé n’est-il pas avant tout un puissant capteur de choses volatiles et de sentiments diffus ? On peut soigneusement dessiner des taches , des Mickey lubriques et défoncés, de doux concepts (Hein Robert !), des spirales, des doigts tâtant des tétons… Une ébauche peut permettre de présenter un projet, de raconter ses rêves, ses frustrations, de rendre hommage à Hassan I Sabbah, à Horace de Saussure ou à Alan Turing, de fantasmer (armes/nus/nature vierge) et même de s’oublier enfin…

Une projection, un relevé peuvent décrire les murs mentaux et physiques dans lesquels nous nous cognons tels des oiseaux encagés et ivres de liberté. Une esquisse peut sans doute nous délivrer tout autant qu’une axonométrie peut nous rappeler l’arbitraire qui fonde pratiquement tous les pouvoirs et donc notre servitude.

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ECOLE D’ART

Dans les années soixante, les art schools étaient l’endroit où l’on envoyait les bons à rien tel que Keith Richard, John Lenon, Pete Townsend et tant d’autres. On sait ce que cela a donné. Kiki, Lulu, Olivia, Loulou et les autres se sont rencontrés en 1974 dans un atelier des Beaux-Arts de Paris, endroit qu’ils ont allègrement squatté pendant plusieurs années. Spot a persuadé, Gili, leur prof, de créer une UV cuisine ! Le rock anglais des années 60 est issu des écoles des Beaux-Arts, les punks français ont reconnu en Bazooka une caution intellectuelle et aujourd’hui ? A quel degré de sclérose une telle institution doit-elle atteindre pour que puissent se dégager en son sein des espaces féconds ? Collègue, ça stimule ! A quand la suite ? Une pépinière de no futur cinéastes multipliant les non films, une résidence de net-surfeurs tellement enragés qu’on sera forcé de les abattre ? Un nouveau terreau pour cyber chamans fraîchement dépollués ? Viva Zapata !

Faut pas trop fumer… Skydog ! Maumau ! Ours brun ! Un wall-drawing onirique déroule devant mes yeux myopes les arabesques et les délinéations d’une armée de tendres et féroces rebelles.

HARENG SAUR

En 1877, à l’Académie de Bruxelles, dite boîte à myopes, ou repaire d’iconoclastes, je subis la loi des pondérations. Celles de l’ordre et de la mesure. Patiemment, très proprement, je dessine les antiques, j’y gagne un prix. A dix-sept ans j’estime charmantes les formes de mes rêves. « Rêvasseries d’inculte » bavent mes professeurs distraits et renfrognés. Terrorisé, je me surmène, je peins le matin, je compose l’après-midi. Je dessine le soir et la nuit je géographie mes rêves : Tours rigides bleues ou d’ivoire, villes étranges, grosses femmes ironiques et lunatiques, masques singuliers, oiseaux persifleurs du pays de narquoisie à l’œil narquois, au bec d’azur. James Ensor

SALON

Cette exposition est-elle disco ou funk ? La question est fondamentale. Car il y a kitsch et kitsch. Sans parler de tous les artistes des années 60-70 qui ont sombré dans l’auto parodie. Le temps du néo-jansénisme iconoclaste, de l’activité subversive et même du cynisme a disparu. La distance critique est portée disparue. Toute mon estime à qui la retrouvera ! Le pittoresque règne sans partage. Des marchands appellent une exposition de papier-peint : A bas la société spéculaire marchande. Et ta sœur, Daeninckx, qu’est-ce qu’elle dénonce ? Remixons gaiement un temps sans sujet, un sujet sans durée, une durée sans espace, un espace sans conscience. Stimulations réciproques, aux effets de relance, aux rencontres volontaires et involontaires – refus obstiné de tout geste héroïque, d’une génération alternative, montante. Rien de formaliste – tout est figure. Y compris des restes d’abstraction, géométriques ou non, mis au service d’images scratchées. Quelles formes ? Aucune et toutes à la fois. Pas d’invention, ô non ! Pas de risque de démangeaison de ce côté-là ! Du réemploi. Tout ce qui a été médiatisé sera remédiatisé. Il y a eu, par rapport aux avant-gardes historiques, un puissant retournement. A présent, c’est d’avoir été déjà utilisé dans un film, un feuilleton, une b.d., un jeu vidéo, un talk-show, une campagne de publicité, un dancing, une cuisine, et même surutilisé que les formes sont anoblies.

WELTANSCHAUUNG

« Les artistes poussent à l’extrême cette propension à se laisser aller, à ne plus résister à l’avancée du désert, à se laisser happer par cette vague déferlante qui brouille toute piste, toute limite. Non pas qu’ils aient décidé d’éteindre la télévision, d’arrêter de fumer et de se concentrer sur les vraies valeurs de notre société. Non, ils regardent le Loft en buvant des bières, font la grasse matinée et lisent les journaux de boulevards. Mais plutôt que de subir cet état de fait et de se révolter chaque premier de l’An en se disant « cette année je change », ils plongent au cœur de cette mise en glisse, tel des parasites adoptant le mode de fonctionnement de leurs hôtes. » Marc-Olivier Wahler, Extra, 2003.
Que dire de plus ?

DERIVE

Vive l’art mince ! Relativement pauvre, ténu, fragile mais sans jamais relever d’une esthétique du peu ou du besogneux – le dessin conserve plus de la vie qu’il n’acquière de l’art. Le dessin a fondamentalement un caractère humble. Il n’a rien de grandiloquent en soi. Il se prête bien à une douce ironie décalée – aux paysages – à la rêverie, à la scansion, au rythme, à la compulsion, au récit personnel. Le dessin a un net avantage sur toutes les autres formes d’expression artistique : il ne sera jamais pour nous une chose du passé. Il méprise les honneurs, les avantages, la fortune, la gloire – il veut l’aventure. Walter Benjamin voyait la peinture, verticale, coupe longitudinale, représentation, chose, matière et le dessin, horizontal, coupe transversale, symboles, signes…. La ligne est déterminée par son opposition à la surface. Le dessin a une fonction indéniablement architectonique mais un dessin qui couvrirait totalement son fond cesserait d’être un dessin. Le dessin ne représente pas : il pense !

BONZAI !

Il y a un dessin de Glen Baxter qui m’a particulièrement plu. On voit au dessus du texte: « Monsieur Martin a beaucoup déçu lors de la dernière réunion du Club des Amis du Bonsaï » – un type qui porte un arbre dans un pot…

A.B. C. DE LA CRITIQUE

Le dur traitement qu’endurent ici un grand nombre d’écrivains méritoires n’est pas sans objet. Il provient de cette conviction ferme que le seul moyen de garder en circulation la meilleure littérature, ou de « rendre populaire la meilleure poésie », est de séparer de manière draconienne ce qui est bon de cette énorme masse d’écrits considérés comme valables, qui a surchargé l’enseignement, et qui est condamnable pour avoir répandu cette très pernicieuse idée qu’un bon livre doit être obligatoirement un livre assommant.
Un classique n’est pas un classique parce qu’il est conforme à certaines lois de structure, ni parce qu’il répond à certaines définitions ( dont l’auteur classique n’a sans doute jamais entendu parler). Ce qui en fait un classique c’est une certaine fraîcheur éternelle et irrépressible.
E. Pound

L’ARTISTE

Six catégories :

1. L’artiste moyen

2. L’artiste supérieur

3. L’artiste inférieur – non-critique & critique

4. L’artiste inventif

5. L’artiste famille

6. La machine

1. Dans moyen, il ne faut entendre ni médiocre, ni petit-bourgeois. Le temps de ce genre de jugement est passé. Il faut comprendre à la croisée des chemins. L’artiste moyen mesure 1, 75m pour 78 kg. Cet homme blanc de 34 ans est le Roi du Truisme – Médaille d’Or de la Foire d’Annecy en 1994, 1995 & 1997. C’est un pro qui ne s’ennuie pas au boulot et qui est conscient qu’il a de la chance d’exposer et que ce qu’il fait est un petit rouage dans le grand tout. Ni surhomme ni pitre, il est souvent une jeune femme de bonne foi c’est-à-dire le comble, dans ce milieu, de la naïveté ! Tous les artistes qui travaillent en couple sont des artistes moyens car le couple de toutes les institutions existantes est, et de loin, la plus aliéné et la plus aliénante de toute. Un groupe peut être composé de caractériels irréductibles mais un couple jamais ! Ceci dit l’art des couples a quelque chose de réjouissant en ce qu’il transporte les revendications des amateurs (tous privés d’expression artistique par la spécialisation des tâches) dans les milieux professionnels. L’artiste moyen, majoritaire par définition, ni chaud, ni froid, n’est pas seulement exposé à la malédiction biblique, il est aussi condamné à tourner éternellement autour de l’objet de son désir – les lieux et les gens qui accordent de la reconnaissance. L’artiste moyen veut faire de l’art et être comme les autres mais il ne veut pas que les autres fassent de l’art. Il a l’air perplexe alors que les airs graves ne sont pas de saison. Il prend des cours de chant et des cours de danse. Sa chance, c’est que moyen n’est pas son essence et qu’il peut changer de catégorie quand il veut, sortir de sa condition, renouer avec la part la plus authentique de sa culture ou mieux encore, se dépasser ! L’artiste moyen a du corps ! L’artiste moyen s’amuse d’un rien et cache ses angoisses existentielles derrière un masque de bonne humeur conformiste. L’absence de goût fait l’artiste moyen. Il apprécie toutes les œuvres de qualité.

2. Par supérieur, il faut comprendre – se considérant ainsi. Adorable bambin boudeur, enfant gâté à la moue blasée aimant dans l’art le côté élitiste, fermé, sectaire, cool. C’est la distance qui fait le si bon goût de l’artiste supérieur. Il ne s’amuse pas. C’est trop vulgaire pour lui. American psycho de B. E. Ellis décrit très bien toute la caste [[Rien ne parvenait à m’apaiser. Très vite, tout me paraissait ennuyeux : le soleil qui se levait, la vie des héros, l’amour, la guerre, les découvertes que l’on fait les uns des autres. La seule chose qui ne m’ennuyât pas, bien évidemment, c’était combien d’argent gagnait Tim, et même, au-delà de cet intérêt évident, cela m’ennuyait quand même. Il n’y avait pas en moi une seule émotion précise, identifiable, si ce n’est la cupidité et, peut-être, un dégoût absolu. Je possédais tous les attributs d’un être humain – la chair, le sang, la peau, les cheveux -, mais ma dépersonnalisation était si profonde, avait été menée si loin, que ma capacité normale à ressentir de la compassion avait été annihilé, lentement, consciemment effacée. Je n’étais qu’une imitation, la grossière contrefaçon d’un être humain. Seul un recoin obscur de mon cerveau fonctionnait encore. Quelque chose d’horrible était en train d’arriver, et je ne pouvais déterminer quoi, je ne pouvais arriver à poser le doigt dessus. La seule chose qui m’apaisait, c’était le son rassérénant des glaçons qui tombent dans un verre de J&B. Je finis par noyer le chow-chow ; Evelyn ne s’aperçut même pas de sa disparition, pas même quand je l’eus jeté dans la chambre froide, enveloppé dans un de ses pull-overs de chez Bergdorf Goodman. B. E. Ellis]], les artistes n’en étant qu’un sous-groupe mineur mais pas rasé, mais pas parasite, pa-pa-pa-parfait car ils esthétisent le monde des traders. Apparaître ! Vibromasseur, godemiché, cuir. Plutôt pervers que libéré, Pinocchio [[Peu après on vit sortir de l’écurie un beau carrosse couleur du temps, tout rembourré de plumes de canaris et doublé à l’intérieur de crème fouettée et de compote aux biscuits.
Le carrosse était tiré par cent couples de souris blanches et le Chien, assis sur son siège, faisait claquer son fouet à droite et à gauche, tel un cocher qui a peur d’être en retard.
C. Collodi Les Aventures de Pinocchio]]
– la découverte de soi, de la sexualité, le rapport à une autorité de type féodal : honneur et fidélité… Quel vent revigorant fait souffler la haine prodigieuse que les artistes se portent mutuellement. Benvenuto Cellini… Cette haine est l’indice d’une émulation intense. Quant elle est absente, il y a parfois de l’art mais jamais d’artiste.

3. Par inférieur, il faut entendre populaire, non réconcilié, revendiquant une place pour ses goûts au sein du monde légitimiste et sacralisant des institutions.

Le non-critique : c’est le plus récupéré de tous. Ce militant de la culture pop croit qu’il critique la culture savante par le biais de la culture populaire mais, en fait, il adhère tout en aboyant. Il a des humeurs. Il incarne le passage du working-class hero ou middle-class-zero. Caméléon, il se plaint de ne pas être détaché du paysage. Il est infantile et s’en fait gloire. Il affiche volontiers le côté grimaçant et pesant de l’immaturité. Il est habile, peut dessiner avec des punaises ou à peu près avec n’importe quoi… Il est souvent enfoncé dans le communautarisme et baigne dans le fétichisme, le seconde main, le vintage. Récupérateur lui-même, il est le médiateur par excellence. Niche écologique, il attire les prédateurs. Abusé souvent, il est prêt à tout pour entretenir et nourrir ses passions qu’il imagine toutes plus délirantes les unes que les autres alors que leur principale caractéristique est d’être commune au plus grand nombre. Son anticonformisme est retors. C’est toujours au moment où les choses et les sentiments sont en train de disparaître qu’on les affiche avec complaisance. Greil Marcus est le critique archétypique de cette tendance. Ses références sont majoritairement dans les années 60, les années paillettes, celles de l’architecture utopique, du flipper, des platform boots, de l’exhibitionnisme, de la fureur de vivre, des séries télé , et dans les années 70 celles qui commencent avec le funk et finissent avec le punk gothique de la wallonne Siouxie. L’amusement, l’artiste inférieur est tombé dedans quand il était petit ; c’est un redondant englué dans le culte du principe de plaisir. C’est parfois le plus ennuyeux de tous… Il ne comprend pas que c’est au nom et au moyen des valeurs qu’il défend qu’à lieu actuellement la répression.

Le critique : pas de pose – tout est éclaté, ras le bitume, revendicatif de soi-même, comme un tag sur un mur, braillard, décalé… Il s’intéresse à tout sans se spécialiser en rien. C’est un adepte des affichages sauvages au contenu étrange. Here I am sur du papier de camouflage. On n’est pas dans la rue mais… Customisé l’art doit terroriser le quotidien, lui rappeler son abjection, aspirer à l’héroïsme. Nick Tosches pourrait être l’historien de cette tendance et Tronchet, dans sa série Raymond Calbuth, en être le conteur – le héros y est à la fois bon enfant et violent. On y voit deux plans, l’un d’une cuisine, l’autre de la Terre. Le premier est titré : Monde conquis. Le second : Monde à conquérir… Ta sub-culture n’est pas nécessairement la mienne, mon pote ! L’artiste inférieur critique est un décompositeur. Et ici, comment ne pas louer la merveilleuse bande-son pour son très mauvais goût si lourdement appuyé ! Ah ! Les extrêmes, l’ascèse et toutes les perditions. Ce marlou, distant, ironique, pudique, grogne :

– Je fais ça, ok. Je ne sais rien faire d’autre que ce que je fais là mais je n’en suis pas si dupe que ça…

Mais non, hypocrite lecteur, mon frère, ce n’est pas toi, cet artiste parfait… Regarde-toi !

4. L’artiste inventif est un autodidacte. Il est mal vu de l’ensemble du champ. Il ne maîtrise pas les codes. C’est l’Homme à la Tête de Chou. On le remarque et on l’ignore. Ses revendications sont discrètes. Il a l’air de s’amuser. Bref, il agace ! Pour lui rien ne va de soi… Il peut être plutôt brut ou plutôt sur équipé mentalement genre Maths Sup ou Science Po.

5. L’institution est une grande famille. Certains en font partie, d’autre pas…

6. Hector – la décrire entièrement – référence Satie Musique d’ameublement. Très émouvant. C’est la machine qui retrouve le tracé tremblant et hésitant de l’homme. L’humain s’étant complètement numérisé, il paraît logique que par un mécanisme de vase communicant, la machine se digitalise.

LES TRUCIDES DU SUBTIL

N’y aurait-il pas un assez fort courant régressif dans l’art et en particulier dans la pratique du dessin dans un show comme celui-ci ? Haloufa, la Reine du Désert, vêtue d’un short à faire damner tous les rabbins du quartier, pousse devant elle la brouette à barbecue, un chat lèche un sexe, une femme vêtue de colifichets fétichistes marche à quatre pattes, des trous sont creusés au ras du sol dans des murs couverts au préalable de fresques exécutées avec patience et dextérité par de véloces assistants, les formes phalliques abondent, les jeux de mots les plus calamiteux foisonnent, la bande-son d’un film pornographique sourd d’un haut-parleur rehaussé d’un tag tribal, chacun est content de soi et ô combien est seul le brillant jeune homme qui a utilisé le traditionnel crayon pour en graphiter un mur – si habile détournement himalayen ! L’un éclabousse – on voit ce que cela veut dire ! – et en plus en balançant des capotes anglaises remplie de peinture – gicle, tagette l’œuvre d’un autre, œuvre d’une propreté et d’un hiératisme calvino-helvétique, l’autre creuse des grottes de la même façon et dans le même type de peinture murale. Les uns dessinent par terre et les autres collent du tissu au plafond, la plupart décalquent et les autres impriment. L’un fait sur lui et l’autre fait sous lui. Mon Dieu, et la main que devient-elle dans tout cela ?! L’une fait une spirale en pâte à modeler, l’autre un portrait avec de l’henné, terre rouge de tous les dangers. L’une utilise du ketchup pour rendre hommage à une princesse disparue (dans un tunnel… comme Alice aux pays des merveilles…), l’autre honore le souvenir de Ned Ludd et des ouvriers anglais qui au début de la Révolution industrielle brisèrent les premiers métiers à tisser – croit-il donc ce fou que l’avenir appartient aux briseurs de machines, aux luddites ?

BIERE

Les mythes australiens sont d’une grande simplicité. Pour un lecteur occidental, ils sont monotones, ennuyeux, insipides. Un Héros ancestral sort du sein de la terre et part dans une certaine direction. Il marche, il marche, et de temps à autre il rencontre d’autres personnages Ces héros mythiques se déplacent continuellement, voyagent en tous sens…
Et soudainement je me rappelle que c’est ainsi que se passent les choses dans l’Ulysse de James Joyce. Bloom, Stephen Dedalus ne font que marcher, s’arrêter par-ci, par-là, dialoguer, se souvenir, satisfaire leurs besoins physiques – mais rien de grandiose ni de dramatique n’arrive. Chaque détail acquiert signification et « poids ». James Joyce retourne à la monotonie chargée de significations religieuses des flâneries des Héros australiens. Nous sommes émerveillés et nous admirons, tout comme les Australiens, que Léopold Bloom s’arrête dans un bistrot et commande une bière.
Mircea Eliade

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JUSTICE !

Voilà ce que demande le petit personnel. Il n’y a qu’une guerre : celle des goûts. La politique, ce sont les mœurs. Ce n’est pas une foire aux dessins ; il y a eu une sélection, des critères. Une poignée des artistes présents est géniale et il y en a suffisamment pour que votre poignée ne soit pas la même que la mienne. Tant mieux ! Ô nourrisson de Zeus ! Le dessin n’est pas une promesse…

INJUSTICE…

Andy Warhol est un crétin mais c’est lui qui a sérigraphié les icônes de son époque et inventé le papier peint d’artiste . Jean-Luc Godard [[Sa dernière : Il n’y a pas de droits d’auteur, rien que des devoirs !]]est un phraseur, un plat moralisateur mais c’est lui qui a violé le cinéma de son époque. Et comment ! Stanley Kubrick est un cinéaste pompier mais il a réalisé une poignée de films tout autant irréductible au cinéma commercial qu’au cinéma d’auteur ! Philip K. Dick et Pierpaolo Pasolini étaient contre l’avortement mais quels artistes !
Denis Diderot le ruiniste, c’est déjà de la s-f. Anticipons ! Anticipons ! François Boucher était une pute mais quel dessinateur ! Et les leurres d’Hubert Robert ! Et Jean Honoré Fragonard, quel virtuose ! Et Francesco Guardi devenu si hardi en ces vieux jours !

IMPRESSIONS, SOLEIL LEVANT…

Con-con le qui : premier age. Le travail, l’échange, la jungle. Bien-bien ! Guillaume Pinarol et Géraldine Pastor Loret ont chacun à leur manière beaucoup de tenue. Ça vaut ce que ça vaut mais ça n’indique en rien que cela les prive d’humour, de légèreté et de bizarreries caractérielles.

CABINET EROTIQUE

Mon métier d’artiste, c’est de faire et de montrer des images. P.-A. Gette

Cabinet – ils n’ont que ce mot la à la bouche. Que le Grand Rétributeur le leur pardonne ! Et tout ça braille, hurle pour attirer l’attention sur soi, amplifie le bruit visuel qui règne sous tant de formes dans notre monde sur illuminé en toutes ces parties. Vaseux ! Hédonisme paroxystique, ego hypertrophié, totems et pas de tabous. Le design, la mode, l’industrie du divertissement et des résidus d’art se marient en une noce éphémère, en une danse à la Saturday Night Fever, dernier grand feu d’une énergie lasse d’elle-même. Struggle for life !
Quand les artistes vont-ils comprendre qu’il faut qu’ils arrêtent de parler de sexe pendant une décennie ou deux ? Qu’il faut aussi qu’ils arrêtent de grouiller dans des arts morts, tel que la b.d., la photographie ou le cinéma ? Qu’une cure d’ascétisme leur est absolument nécessaire ! Ne vous exprimez plus ! Ecoutez, observez, respirez… Le bourgeois désire que l’art soit voluptueux et la vie ascétique ; le contraire serait préférable, écrivait déjà en son temps le vénérable Théodore Adorno. Il ne s’agit pas de faire le puritain mais de délimiter un territoire libéré de l’idéologie consensuelle, du jeunisme, du consumérisme. Ceci dit, détourner l’industrie du divertissement ne serait pas la chose la plus stupide que pourrait faire un artiste aujourd’hui. Ce n’est pas la sexualité qui en jeu mais son approche ainsi qu’en fit si magiquement la démonstration César Monteiro dans Souvenirs de la maison jaune et dans La Comédie de Dieu.

L’ARTISTE PARFAIT

Spenser Reynolds était d’une taille plutôt petite comparée à la moyenne du Retz, mais c’était un bel homme, aux cheveux bouclés coupés court, à la peau apparemment bronzée par un soleil généreux, mais légèrement dorée, en réalité, à la peinture corporelle. Ses vêtements et ses attributs ARNistes étaient d’un luxe voyant sans être tapageur, et son attitude dénotait une confiance sereine que beaucoup rêvaient d’afficher et que peu parvenaient à atteindre. Sa vivacité intellectuelle était visible de prime abord, son intérêt pour les autres sincère et son sens de l’humour légendaire. Je détestais aussitôt cet enfant de putain.

– Tout est une forme d’art, messieurs, nous dit-il en souriant. Tout est appelé à en devenir une, en tout cas. [[Dan Simmons, La Chute d’Hypérion. 1/139]]

LE TROUBADOUR

Il crayonne, divague, il monologue, se souvient. Vif, fin, inquiet, doutant toujours de lui-même, insatisfait chronique, souhaitant avec acharnement des perfections contradictoires, différant la jouissance, créant la difficulté, craignant tout autant les courts et astucieux chemins que les longs labeurs, paisible et féroce, vibrant dans le vent, il trace des signes avec de la cendre, il fredonne, chantonne, gémit – il danse habillé de peaux et d’os humains. Il lève bien haut les genoux. On le voit à peine, il se confond avec la nuit, avec l’illusion, avec l’espoir. Ses yeux sont de braise. C’est Ed Gein, notre chaman !

BROCANTE

Fourre-tout ! Il y a tant d’énergie et de désespoir dans l’obscénité. Dans le placard près de l’entrée, l’épée d’Ajax, dans la salle du fond, l’un des douze travaux d’Hercule – le carrelage d’une salle de bain et au sous-sol le Cabinet d’Apesanteur entièrement contenu dans un long rayon de soleil. Partout des mots (Massacra, Démoncrazy, etc.), enseignes ludiques clignotant au-dessus de fresques à l’humour grinçant, tel que des chats trashs et cuir faisant du hors-bord ou une rockeuse se livrant à des travaux d’aiguille…

INTROSPECTIVE

Vive Maître Eckhart ! Une nouvelle ère s’annonce. Puissions-nous en être les glorieux prophètes ! Ni suspicion, ni adhésion, ni soupçons, ni connivence. Illustrator tape fort. Un constat d’insignifiance et une sévère cure de modestie ? Non ! La nature a horreur du vide… Portons le crayon où ça fait mal. Mort de rire ! Le dessin peut-il être à l’art ce que le virus est à l’informatique ?

LE CONFORT OU LA MORT !

Le kitsch est surajouté au fonctionnalisme pour provoquer un plaisir fugitif. Il est le dernier résidu humain dans l’univers impitoyable du productivisme. Il est permanent comme le péché et lié à l’art d’une façon aussi indissoluble que l’authentique à l’inauthentique. Le kitsch c’est la copie avec variations (valeur éternelle + valeur ajoutée) : néo-gothique, néo-roman, néo-classique. C’est aussi le romantisme mâtiné de confort ou le rococo dans la nature… C’est le continent du consommateur-roi, le foisonnement, le remplissage, l’entassement, les gadgets, une tension entre l’exotique et le terroir, le traditionnel et la science-fiction, une activité émotive qui donne sa plénitude à la vie. C’est la spontanéité dans le plaisir, le cinéma, l’art total, une coupe de glace dans un Hippopotamus, un passage, une éternelle adolescence. Le kitsch c’est la domestication par monsieur tout le monde de la subversion – la dose qu’il peut en supporter.

SPAMS !

Grands formats, recours à la culture populaire des Etats-Unis, si imaginative, si vivace et si totalement industrielle. L’art n’est pas un moyen de réformer en douce la société, ni un avatar actuel de la Forme idéale, c’est juste une scène sillonnée en tous sens par les réseaux de l’activisme le plus inhumain, une scène bourrée jusqu’à la gueule de symboles, de pouvoir, de coups bas et d’argent. L’art est aussi moche et beau que le plus palpitant des feuilletons télévisuels ! La Haute couture c’est fini. Place à la confection ! Superman et Batman sont les Raphaël et les Michel-Ange de nos junk artistes.

LES ENFANTS DE SATURNE

Giotto était usurier. Il louait des métiers à tisser. Jacob Ruisdael était chirurgien barbier. Plutôt qu’avec sa femme, Paolo Uccello préférait passer la nuit avec la perspective. Léonard de Vinci disséqua trente corps humains. Rubens était ambassadeur. Michel-Ange et Andy Warhol moururent vierges et Filippo Lippi qui était moine s’enfuit avec une religieuse… Benvenuto Cellini et le Caravage tuèrent plusieurs personnes.

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RATURES

Dans la pièce du fond, des fantômes jouent au football. Un tracé, des graffitis, une perspective peuvent produire passablement d’endomorphines. Au-delà des tortures du premier degré et des prétentions du second, de pauvres petits ex-voto sont adressés à nos grands disparus : Kippenberger, Klossowski, Fillioud. Il n’y a pas que les avions qui sont devenus furtifs. La société n’est plus un texte qu’on peut tranquillement lire, relire, réécrire, interpréter mais un espace sous vide dans lequel chacun doit choisir sa réalité, celle qui l’isolera des autres.

STURM UND DRANG

Naïveté violente et violence naïve. Souffrez en silence, gardez la face, sauvez l’apparence, surfez sur votre nostalgie du début de l’été. L’ère du simulacre ne fait que commencer. Surabondance de vie = appauvrissement de la vie = ivresse, convulsions, anesthésie. Pas de solution, des effets ! Il n’y a pas de formule. Oui, à la chair, à la magie, à la discontinuité, au zapping, oui au sang, non, à la résignation. Paix sur la terre aux tripes de bonne volonté !

CABINET DE LA GUERRE

Il n’est pas indifférent qu’il faille franchir un buisson de ronces élancées pour parvenir aux Cabinet de la Guerre et au Cabinet érotique. Mais le dessin dans tout ça ? Et l’ART ? Ailleurs, caché dans un désir océanique d’histoires, de récits, d’aventures – être emporté, envoûté, hors soi ! A quand le dessin comme Azincourt, comme El-Alamein, comme Midway, comme Valmy, comme Austerlitz ou Waterloo ? Comme dans le roman posthume de George Orwell, la servitude est la liberté, ou comme sur le visage buriné d’un aborigène australien – tout ce qui se donne à voir reste impénétrable. La tête des Romantiques était farcie de légendes et d’histoires bariolées. Qui s’en soucie encore ?

UN BANC DE PIRANAHS

La grande majorité des participants de cette sauterie est née dans les années 70 du siècle passé. Travailleurs et talentueux, ces jeunes plasticiens sont peu portés au terrorisme intellectuel. C’est toujours pour leur énergie que leurs manifestations tout comme leurs personnes sont louées. Pratiquants de sports extrêmes, l’ironie ne leur est néanmoins pas tout à fait étrangère. Armés de cynisme, les meilleurs d’entre eux cherchent à mettre à nu les mécanismes de ce qui les domine, les excite, les déprime, la grandeur et les limites de leurs rêves : les implacables lois du marché. Ils sont associatifs et capables de monter de nouveaux réseaux. Enclin au nomadisme, parasitant diverses institutions, ils campent en général sur les terres dévastées du POP art. Discrets et efficaces, ils ont rompu avec le pathos qui caractérisaient leurs aînés. Ce sont des as du bricolage – mettre la main à la pâte ne leur fait pas peur. Leur désespoir est sans phrase. Ils parlent assez peu d’eux-mêmes et peuvent être très drôles lorsqu’ils désintègrent d’une remarque bien placée les prétentions d’une rivale ou d’un concurrent. Vifs, actifs, frais, ils semblent prêts à dévorer tous ceux qui passent à portée de leurs petites dents pointues. Couine ! Couine ! Ils n’ont pratiquement plus aucun des préjugés courants (la couleur, l’origine, le sexe, l’âge, le revenu, etc.) et pourtant l’apparence et la vitalité sont les seuls trésors qu’ils possèdent. Vont-ils designer le monde ?!

CLASSE ADULTE

J’ai longtemps cru que l’art était une promesse de bonheur. Stendhal était mon prince. Devant lui seul je mettais genoux en terre. Je ne le crois plus. Qui cherche le bonheur trouve le confort… Et les soirs de grande fatigue, qui n’a pas envie de se travestir ? Ô enfin pouvoir faire des manières, porter une perruque et une gaine Lejaby ! Et tous ces films américains avec des schizophrènes ( Psychose, Fight Club, le 6e sens, Un homme d’exception, etc.) comme ça fait envie aussi. Avoir une âme sœur ! Mais qui a été assemblé pour ce genre de fonctions ? Nos circuits fonctionnent avec des contradictions irrésolues, des tensions limites, des bords de bug – une aspiration à la maturité… Que faire ? Etre gardien de phare dans la nuit des grandes métropoles occidentales, chien perdu dans des vals de travers, capteur d’énergie orgasmique ?

BLONDE ARE MORE FUN

La culture dominée va-t-elle devenir la culture dominante ? La blonde qui écrase un cornet de glace entre ses deux seins est-elle la Vierge de nos mails ? Et celle qui pelote le cactus ? Et celle qui par pure gentillesse nous montre sa poitrine ? Et celle qui se roule dans la confiture ? Et celle qui se penche en avant ?

Observer, c’est imaginer ce qu’on va voir. Ailleurs, l’un des couples de l’exposition a représenté le Christ faisant du oulahoup avec un cerceau couvert d’épines. C’est virtuose, inquiétant et prouve surtout qu’on est loin d’en avoir fini avec la religion.

FREE STYLE

Hybridation, créolisation, métissage – pensez au blues, pensez au jazz – n’est-ce pas de là que vont surgir la longue plainte déchirante et l’affirmation souveraine de la vie ?
Est-ce l’aboutissement des revendications de leurs mères qui font que ces jeunes gens travaillent en couple ? Ou est-ce un patient début de reconstruction de l’ensemble du tissu social ? Ou un solipsisme, une peur, un besoin d’être constamment rassuré, un horizon de confort, une petite ou moyenne entreprise ? Je sais bien que toi, ma sœur, hypocrite lectrice, tu t’imagines que tout est un peu ceci et un peu cela. Désolé, ma vieille ! Je n’ai pas les moyens de rester couché…

MEMORABILIA

Divers exhibitionnistes. Une discussion sur Aristophane. Smaradygm ! Une machine fragile. Un été caniculaire. Le butting – j’adore ! La mononucléose… Cacahuètes, bonbons, chocolats glacés ! La douloureuse modernisation de l’industrie française du divertissement. La pureté de l’aliénation : l’auteur du tube universel de l’été, Chihuahua, DJ Bobo, est un artisan boulanger helvète…

LE REEL

Mais de là à extraire une personnalité de sa réalité sim pour la transporter dans le temps ralenti… C’était le terme que les cyberpunks employaient depuis une éternité pour désigner – pardonnez-moi l’expression – le monde réel.

La Renaissance voulait conquérir le visible et les avant-gardes du XXe, l’invisible… Ces artistes transcendantaux ont disparu en même temps que les utopies qui les inspiraient – dévoiler des territoires vierges, des zones nouvelles, des plates-formes à occuper, expérimenter jusqu’à la folie – ne sont plus d’époque. Reste une angoisse : retrouver le réel. C’est court, haché, répétitif. Ça manque de souffle. Cela n’en est pas pour autant désincarné. O non ! C’est en tout en surface, publicitaire de soi-même, en guerre contre tous plutôt que dans une tension avec soi-même. Et pourtant, infiltration, réseaux, glisse, mobilité constante – le réel est devenu un lieu de transit – le mouvement pour le mouvement dont rêvaient les avants-gardes historiques est notre norme. Ça gave, ça saoule.

COUPER/COLLER

Do You Really Want To Hurt Me? En 1976 Boy George va vivre dans un squat d’étudiants en art… Jesus Loves You. On peut dater de ce moment le début de l’intense cousinage entre la mode, sur fond de sinosités d’infra-bass, de potentiomètres, de diodes lumineuses, et de la club culture y compris dans ses dernières réincarnations techno : les flyers et les magazines, les codes tribaux qui ont, imposé une iconographie abstraite appliquée, jolie, banale, décorative, sans affectation, sans démesure –– la disparition de l’angle droit au profit de l’arrondi, les propositions basiques des logiciels de composition graphique : Xpress, Illustrator, etc.

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POMPIER A TOUS LES ETAGES

Il a pris aussi le temps de m’apprendre beaucoup de choses sur le maniement de la caméra, sur les objectifs, en particulier le 18, qu’il préférait à tout pour ce film parce qu’il déformait nos visages et nous rendait si laids, mais valorisait les meubles. Shelley Duvall

Etrange jeu de rôles. A la fin de Spartacus , lorsque l’officier romain demande qui parmis eux est Spartacus l’amicalement votre Antoninus crie :

Moi ! Je suis Spartacus !

Ensuite tous les esclaves révoltés hurlent : Moi ! Moi !

Là, sous les assauts de cette sentimentalité crypto stalinienne , qui n’a pas pleuré ? Le plan suivant nous achève : tous les esclaves sont crucifiés…

Kubrick est au-delà des genres, il les fait littéralement éclater. Il en fonde d’autres ! Quelle postérité pour 2001 ! Comme le dit la Bible, c’est à ses fruits qu’on juge l’arbre. N’empêche que la description que fait Jack Nicholson de Kubrick est celle d’un peintre néo-classique : Stanley est fort sur le son. Stanley est fort sur la couleur du micro. Stanley est fort sur le vendeur auquel il a acheté le micro. Stanley est fort sur la fille du vendeur qui a besoin de soins dentaires. Stanley est fort.

Mais la maîtrise artisanale est derrière nous, loin derrière nous, avant la Révolution industrielle. Tout se délite, se défait, se contamine. Ce qui nous importe est d’un autre ordre.

COEUR DE CIBLE.

Dans la peinture d’Alexandre Cabanel, de William Bouguereau et de Jean-Louis Ernst Meissonier l’accent est délibérément mis sur la sensualité. Couleurs artificielles – tonalités strictes, logiques et accessibles au bon sens, et répugnants à toute audace. Evocation voluptueuse. Composition éclectique. Les milieux officiels couvraient ces artistes d’honneurs et de récompenses ; les couches aisées de la société en absorbaient la production ; le grand public, même, se bousculait aux portes des expositions, avide d’admirer les œuvres…
De toute évidence, la disgrâce dans laquelle sont tombées leurs œuvres relève de motifs d’ordre esthétique, puisque l’idéologie qui les a produites leur a manifestement survécu. L’idéologie n’ayant pas changé, il est normal que l’on revienne à ces formes ! Notre trash quotidienneté – les référents des styles de vie ludiques, du tout jeu, du tout plaisir, les signaux qu’échangent les teen-agers, les grands refoulés, l’infantilisme et la scatologie, la déréliction extrême – talk-show, télé réalité gore, rap, skate-board, tag – vaut largement la leur.

SURFACE DE REPARATION

Il va de soi que ce n’est pas la figure qui fait le pompier et qu’il n’y a pas plus académique que 90% des peintres abstraits. Le pompiérisme a survécu sous d’autres modes et d’autres formes et des générations d’artistes s’y sont confortablement logées. Et vice-versa car Daumier, Gavarni et Degas avaient tout autant de recul par rapport à ce qu’ils produisaient que Jeff Wall ou Barry Flanagan, par exemple, en ont aujourd’hui.

LES PETITES HORDES

Pour Charles Fourier (1772-1837) éduquer, c’était développer des séries passionnées (la cabaliste & la papillonne & la composite), exploiter les rivalités cabalistiques entre les Petites Hordes et les Petites Bandes, employer les penchants naturels comme le goût à la saleté, l’orgueil, l’impudence et l’insubordination à des fins nobles ; les Petites Bandes[[Les petites bandes ont l’aptitude à établir des scissions sur les nuances de goût, classer les finesses de l’art et opérer ainsi la compacité des séries, par le raffinement des fantaisies et la graduation d’échelle. Cette propriété règne bien moins chez les petites hordes, excepté en gastronomie.
Ainsi l’éducation harmonienne puise ses moyens d’équilibre dans les deux goûts opposés, celui de la saleté et celui de l’élégance raffinée ; penchants condamnés tous deux par nos sophistes en éducation. Les petites hordes opèrent en sens négatif autant que les petites bandes en sens positifs ; les unes font disparaître l’obstacle qui s’opposerait à l’harmonie, elles détruisent l’esprit de caste qui naîtrait des travaux répugnants ; les autres créent le germe des séries par leur aptitude à organiser les échelles de goûts, les scissions nuancées entre divers groupes ; de là il est évident que :
Les petites hordes vont au beau par la route du bon, par l’immondicité spéculative ;
Les petites bandes vont au bon par la route du beau, par les parures et les efforts studieux.
Cette action contrastée est la loi universelle de la nature…
C. Fourier, Le nouveau monde industriel et sociétaire, 1829.]]
étant yin et conservatrice du charme social, les Petites Hordes étant yang et voué aux travaux immondes.

PATERN !

Plus, il y a de banques de données, moins il y a de forme pensent certains. C’est faux. Bavarder, c’est gai, dit-on à Bruxelles. Le retournement des lieux-communs est l’une des techniques de l’art – l’infini de ses ressources même. Pensez à Kafka ou à Beckett. Et en mineur, le détournement n’est pas sans attrait non plus.

LES PENSEES DE DON YOYO

Don Yoyo est mon autre. Ni opposé, ni complémentaire, juste mon autre… Il pense que l’art est par essence élitaire, anachorétique, ni supérieur, ni inférieur mais à côté et que son extrémisme consiste à repousser le quotidien, à ne pas perdre son temps en résistances acrimonieuses. Il n’est pas obsédé par la fonction de l’artiste. Il ne collabore pas, il ne résiste pas. Il s’en fout. Les artistes contemporains ont choisit le ludisme, pense-t-il, parce que le blanchotisme leur faisait mal à la tête. Leur ludisme n’est pas drôle. Il est volontariste, pas naturel ; il est peureux, il a peur du qu’en dira-t-on. Les artistes sont devenus craintifs ; agressivité et provocations sont gestes de séduction timide. Il s’agit pour eux de se justifier et non d’affirmer. Plus de structuralisme marxiste léniniste sado-maso qui fait les gros yeux, mais la terreur règne quand même : de s’attarder à quelque chose de personnel. C’est toujours le règne du devoir. Devoir d’opportunisme (de mobilité pardon), de sens pratique (sois positif mon gros), de vécu, de moi-je, de : occupons l’espace qui nous est alloué, vite, vite. Il n’y a pas que l’effet de l’inlassable propagande et la réaction contre la manie contestataire des aînés. Il y a beaucoup de difficulté à s’exprimer et donc aucun plaisir à le faire. Le résultat amusant c’est que les jeunes gens sont beaucoup plus iconoclastes que leurs aînés. Le maigre derrière des vieux était assis sur l’amour immodéré des anxieux emmerdeurs du passé. La contestation était une vieille tradition lettrée sophistiquée et patiemment travaillée. Nos moussaillons sont naturellement bien plus habiles à ironiser. Ils sont mobiles mais comme des ludions. L’art (pardon, « les arts plastiques ») est pure propagande. On avait remarqué. Mais ce qui devient clair, c’est qu’on ne sait pas de quoi. L’art s’est enfin dissout dans la culture. Enfin, c’est fait. Il est propagande réalisée. Il n’est plus distinct (il se confond, non avec la vie en général – ce qui serait l’option situationniste – mais avec la vie sociale comme institution – ce qui est tout à fait autre chose que l’académisme, même si il emprunte en partie son style au vieux discours d’état de l’âge de l’art officiel).

Bien sûr, il faut entendre « arts plastiques », non dans son sens ancien, mais comme ensemble de conduites syndicales, professionnelles, relationnelles, communicantes, etc.

L’art anachorétique peut retourner à ses moutons. L’artiste anachorétique est « chinois »: il serre sa robe de nuage sur ses genoux cagneux. Il a, comme il se doit, raté tous les examens de mandarin. « Prince de Liang et roi de Wu / l’ont rejeté comme tige que l’on casse / De tout cela il ne subsiste que son récit / Un bain d’or le conserve au sommet du mont Tai » (Li He).

L’art anachorétique opposerait son dos. Une belle réplique dans Le Dama d’Ambara de Jean Rouch : le vieux Dogon, à qui il est demandé pour qui est la connaissance des masques, répond : elle est pour ceux qui demandent.

Ô LES FILLES ! Ô LES FILLES !

L’une travaille sur le travail et l’autre bosse sur le temps libre, l’une séduit, l’autre cogne, l’une décrit les murs comme autant de prisons, l’autre se peint en folle, l’une est pénétrante, l’autre est pénétrée, l’une désire un enfant, l’autre cherche à préserver à tout prix une part de son enfance, l’une est enceinte, l’autre prof de karaté, l’une se veut radicale, l’autre insouciante. La fille qui élève une fille cherche ce qu’était le premier dessin du monde. Etait-ce une spirale ?

LE TABLEAU…

Les cinq vaisseaux d’ensemencement du roi Billy le Triste spiralent comme des pissenlits dorés sur le fond lapis d’un ciel qui ne nous est que trop familier. Nous nous posons comme des conquistadors à la parade. Plus de deux mille créateurs des arts visuels, écrivains, sculpteurs, poètes, ARNistes, vidéo et holoréalisateurs, compositeurs et décompositeurs – j’en passe, et des meilleurs -, entourés de cinq fois leur nombre d’administrateurs, techniciens, écologistes, superviseurs, chambellans et autres lèche-cul professionnels, sans mentionner la famille des culs royaux en chair et en os, entourée à son tour de dix fois son nombre d’androïdes prêts à retourner la terre, à pelleter le charbon dans les réacteurs, à édifier des cités, à coltiner un fardeau ou un autre… Vous voyez le tableau, quoi.

LA CRITIQUE

Comme le spectre de la Villa, le troubadour pense que le critique ne doit pas édicter de norme mais être un sismographe. Donc être prêt à changer de manière et de terrain sans cesse.
Ce n’est pas la franche hostilité mais il n’y a pas non plus de connivence. La guerre des goûts et des dégoûts est éludée parce que les enjeux ne sont pas clairs. Il n’y a que des mouvements d’humeur. L’éclectisme est toujours l’expression d’un compromis moral. Les sources et le style du réalisme bourgeois demandent à être inlassablement critiqués. Tout plutôt que le positivisme, le culte des morts, le réalisme qu’il soit pseudo objectif ou subjectif, les légendes médiévales en tenue de soirée, l’esthétique vitaliste et le plaisir des sens…

FU MANCHU – THE LEADER OF THE BAND

Cette exposition couve un mégalomane. Pour refonder le monde le commissaire fait confiance à son imaginaire, à une réserve de rêves et de cauchemars qu’il nourrit au petit-lait de la science-fiction. Mais les Muses ne parlent pas entre elles – elles dansent ! Dan Simmons (1948) voulait refonder le genre qu’il pratique et pour se faire, il s’est interrogé sur les récits des origines et en particulier sur les contes. Il se voulait aussi premier pour le s-f que le fut Chaucer en 1387 pour la langue littéraire anglaise. Et la trilogie du bonheur de Pierpaolo Pasolini pour l’art de la grimace . Son space opéra, Hypérion , livre qui rompt avec les livres noirs, sinistres, cyniques, originaux, plein d’énergie de la vague cyberpunk, ramène la science-fiction au grand jour, à la lumière du soleil, au milieu du courant. Cette saga mégalo revisite et clôt les genres, adieu l’espionnage de Graham Greene, de Eric Ambler et de John Le Carré, adieu la théologie de Teilhard de Chardin [[Formé à la casuistique jésuite, trempé au bain glacé de la science, je n’en comprenais pas moins, en cette seconde, les anciennes obsessions des religieux de toutes les époques pour d’autres formes de peur spirituelle : les affres de l’exorcisme, la danse folle des derviches, le rituel des figurines du Tarot, l’abandon presque érotique des séances spirites, l’usage des langues sacrées ou la transe du gnosticisme zen. Je compris, en cet instant, à quel point l’affirmation de l’existence des démons ou l’invocation satanique peuvent renforcer la réalité de leur antithèse mystique, le Dieu d’Abraham.
Ce n’étaient pas des réflexions en paroles que je me faisais là, mais je sentais néanmoins ces choses au plus profond de moi-même tandis que j’attendais l’étreinte du gritche avec le frémissement imperceptible d’une jeune vierge au soir de ses noces. Hypérion]]
, adieu le roman policier de Dashiell Hammett, de Raymond Chandler et Jim Thompson, adieu la stratégie de Sun Tzu, de Carl von Clausewitz et les jeux de guerre de Guy Debord, place à l’astrophysicien Stephen Hawkins, place aux portails « distrans »[[Il fit un signe à un technicien du service des transports de la Force, et un portail monopasse se matérialisa devant nous. Je savais que l’engin était réglé sur nos signatures ADN individuelles et ne laisserait passer personne d’autre. Hunt pris une profonde inspiration et passa le premier. Je vis miroiter la surface de la porte comme un plan d’eau troublé par la brise. Puis je lui emboîtais le pas. on disait que les premières portes distrans ne provoquaient aucune sensation chez leurs utilisateurs, et que les IA et les humains qui les avaient conçues avaient ajouté plus tard ce vague fourmillement et cette odeur d’ozone qui donnaient l’impression de s’être déplacé. La chute d’Hypérion.]], aux champs anthropiques, à la maladie de Merlin[[ Dans Hypérion, Rachel Weintraub soufre de la maladie de Merlin. Chaque seconde qui passe, elle rajeunit !]] et aux bâtisseurs de labyrinthes. Seule la poésie survit – John Keats, mort à 26 ans, est éternel !
Le saint patron de l’épopée de Dan Simmons , Ezra Pound pensait que le génie n’était pas un inventeur mais celui qui fait une synthèse des inventions éparses de son époque. James Joyce en étant l’exemple par excellence. Disons que Dan Simmons ne synthétise pas mais juxtapose. Pas d’ombre chez lui, pas de mystère mais un poster géant halluciné et hallucinant. Son vaisseau est sans capitaine…

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BONJOUR LES DEGAS !

Le dessin, c’est comme la marche. Personne ne marche pour aller quelque part.
Le dessin n’est pas lié à l’espace mais au temps – c’est une transe.
Le dessin est organique. Il pousse où et comme il veut.
Une pratique intensive du dessin produit une ivresse qui va de la langueur au délire, de l’abandon hypnotique à la fureur.

EMBRYONS SURNUMERAIRES

Imaginons qu’un quelconque quidam fonde une revue consacrée au dessin. S’il est inculte, il va se demander ce qui en est et ce qui n’en est pas. S’il est cultivé, il ira où le pousse ses lubies. Pour moi, tout ce qui est considéré par quelqu’un comme du dessin est du dessin. Je pense néanmoins que Walter Benjamin dans sa compulsion à théoriser avec sa définition « tout ce qui se lit couché sur une table est du dessin et le reste est autre chose » a mis le doigt dans le mille. Bingo !

ATTITUDES

On peut se lancer dans une épure pour sortir de soi, une étude pour suspendre ses désirs, un plan pour tester des résistances
Toute l’esthétique actuelle privilégie le parcourt par rapport au résultat. Il n’y a donc plus d’ostracisme à l’égard du dessin préparatoire, de l’esquisse, du plan, canevas, projet, design, décalque, caricature, élévation, ornement, caricature, illustration, description, pochoir, infographie, tag, portrait, collage, arborisation, méandre, strip, patron, miniature, etc. du moment que tout ça est plus intense, grand, neuf, rapide, intoxiquant !

DERNIERS BELEMENTS

Esthétique MTV, retour au culte de Ganesh et arrivée de la peinture environnementale : Ça pépie, ça s’épie, ça pétille ! Non à l’élevage d’artistes en batterie ! Non à la reproduction incestueuse des plasticiens en vivier ! Je ne suis pas plus intelligent qu’un autre mais cela ne m’empêche pas de constater que le creux de l’enfer est pavé de bonnes intentions… La seule chose qu’on puisse faire aujourd’hui avec l’Art contemporain, c’est en sortir. Prendre des forces. Et y revenir pour y dévaster les parties les moins bien protégées. Et ensuite, tenter des raids audacieux contre les centres névralgiques de cette hydre tentaculaire. Quelle belle image !

HEGEL AIMAIT HÖLDERLIN PLUS QU’UN FRERE.

J’imagine ces tableaux de Claude Lorrain que Hölderlin a vus à Cassel,
dans l’été de 1796, en compagnie de Suzette Gontard et de l’écrivain Heinse,
en des jours « vraiment heureux ».
Hypérion, avec ses amples paysages, ses
marines, ses visions de ruines grecques, de croisières et de combats, baigne
dans une lumière très proche de celle du Lorrain – et qui transfigure ce
théâtre, suspend ce monde entre réalité et rêve, le cœur entre attente et
regret, l’oeuvre entre l’élégie et l’épopée.
Hypérion ressuscite la Grèce antique
de la seule façon juste et possible à ce moment de l’histoire, comme un
éblouissement lointain, une patrie perdue dont la lumière nous parvient
encore et pourrait ensemencer l¹avenir.
Philippe Jaccottet

BLADE RUNNER

Hybridation, collage d’éléments hétérogènes, publicités pour atomiseur, top 50, frêles junkies brunes, manuels japonais de jardinage, somme de Moïse Maimonide, traité de psychologie phénoménologique, ouvrages vulgarisant la physique quantique et tant d’autres choses encore, dont un indéniable talent de paysagiste, constituent la fibre dont est tissée les petits livres secs et nerveux de Philip K. Dick. La vulgarité est une arme. Du muscle ! Pas de style ! Rien de pompier ! Et de même Lee 3 Tau Ceti Central Armory Show est un kaléidoscope au-delà du goût… La grossièreté est un horrible ressentiment et ici il n’y aucun ressentiment !

MANIFESTE

A quoi bon aboyer, si la caravane ne passe pas… Il ne s’agit pas d’aller vite et loin mais d’aller lentement et juste à côté, d’affirmer un refus radical de toute réactivité, de toute dénonciation, de toute déploration, de tout pathos. Il s’agit de parvenir à un usage passionnant de la vie. En deçà de ce désir, il n’y a rien. Il s’agit de tout repenser, de tout ramener à zéro, d’effacer le présent, de détruire ce qui nous détruit, de refonder le lien humain sur d’autres bases. Les artistes, ces travailleurs de l’esprit, ne sont pas les plus mal placé pour cela. L’art s’est laissé déposséder de ce qui lui appartenait en propre. A présent il ne lui reste plus qu’à défaire le lien social, faire hurler ce mensonge, mettre le doigt où ça fait mal. Ce ne sont plus seulement les croyances qui appellent à la résignation mais la totalité du monde, les possédants et les possédés, les affaires, le bizness, le trafic des marchandises. Et ces marchandises ont bien plus d’esprit, en leur neuve immatérialité, que l’art !

LAISSE TOMBER LA LAISSE

Mon sujet était la fin de l’humanité. [[Hypérion]]

A présent, dès qu’il y a un trou dans la conversation, il y a toujours quelqu’un pour se demander à voix haute : mais comment sera la fin de l’humanité ? C’est marrant, non ?

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FILMOGRAPHIE

-* Afronsky Darren, Pi, 1999.
-* Arrabal Fernando, J’irai comme un cheval fou, 1973.
-* Fierz Carole, Inès, ma sœur, 1996.
-* Hanson Curtis, 8 Mile, 2002.
-* Monteiro César, Souvenirs de la maison jaune, 1992.
-* Pasolini Pier-Paolo, Les Contes de Canterbury, 1974.
-* Rafelson Bob, King of the Marvin Gardens, 1972.
-* Rouch Jean, Les Maîtres fous, 1954.
-* Ruiz Raoul, L’hypothèse du tableau volé, 1977.
-* Sharman Jim, The Rocky Horror Picture Show, 1975.
-* Von Tiers Lars, Dogville, 2002.

OUVRAGES FEUILLETES

-* Benacquista Tonino, Trois carrés rouges sur fond noir, Série noire n°2216, 1992.
-* Bourgoin Stéphane, Serial killers, Grasset, 1999.
-* Carroll Lewis, Alice au pays des merveilles, 1865.
-* Celebonovie Aleksa, Peinture Kitsch ou réalisme bourgeois, Seghers, 1974.
-* Collodi C., Les Aventures de Pinocchio, 1883.
-* Ellis Bret Easton, Americanpsycho, 1991.
-* Houelbecq, Lanzarotte, 2001.
-* Lecharny Louis-Marie, Manifeste Pompier, Editions du Camelot, 1990.
-* Pound Ezra, a. b. c. de la lecture, Idées NRF, 1966.
-* Schneede Uwe, George Grosz – vie et œuvre, François Maspero, 1979.
-* Swift Jonathan, Instructions aux domestiques, 1725.
-* Szeemann Harald, Ecrire les expositions, La Lettre volée, 1996.
-* Zerzan John, Aux sources de l’aliénation, l’Insomniaque, 1999.

DISQUES ECOUTES

-* Ali Meher & Sheher, Qawwali, expression de l’essentiel désir, Buda, 1998.
-* Ayler Albert, Nuits de la Fondation Maeght 1970, Water, 2002.
-* Bacan Pedro & Bacan Ines, De Viva Voz, Auvidis, 1995.
-* Coltrane John, Stellar Regions, Impulse!, 1967.
-* Dessay Nathalie, Airs d’opéras français, EMI, 1996.
-* Funkadelic, The Complete recording 1976-81, Charly, 2000.
-* Khan Nusrat Fateh Ali, The ecstatic Qawwali, Victor, 1988.
-* Khan Nusrat Fateh Ali, Vocal Art of Sufis, Vol.1, JVC, 1994.
-* Khan Nusrat Fateh Ali, Back to Qawwali, Long-distance, 1995.
-* Kobiyals, fakirs & Bauls, Oral Traditions of Bengal, Buda Records, 1999.
-* Lee 3 O.S.T.
-* Moussorgsky Modest Petrovitch, Boris Godounov, 1874.
-* Muezzins d’Alep, Chants religieux de l’Islam, Ocora, 1982.
-* Munadjat Yulchieva & Ensemble Shavkat Mirzaev, A Haunting Voice, WDR, 1997.
-* Parliament, The Clones of Dr. Funkenstein, PolyGram, 1976.
-* Portishead, Dummy, Go-Beat, 1994.
-* Salim Abdel Gadir, Le blues de Khartoum, IMA, 1999.
-* Siouxsie & The Banshees, The Rapture, Polydoor, 1995
-* Spirit of India – Traditional & New Vibes, Wagram Music, I, 1999 & II, 2000.
-* Sufi soul, Network, 1997
-* Sun Ra, The Solar-Myth Approach, BYG, 1970.
-* Troubadoure Allahs, Sufi-Musik aus dem Industal, Wergo, 1999.

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