Le poireau

Texte d'Yves Tenret tiré à 250 exemplaires en septembre 1994 pour les Editions du Quai à Mulhouse.

Le poireau et son addendum.

1. Le poireau, dont nous parlerons ici, n’est pas
autre chose qu’un légume tout simple, c’est-à-
dire, un poireau.

2. On voit beaucoup le petit pois avec la carotte
mais jamais ce poireau avec un oignon. Petit pois
et carotte restent ce qu’ils sont. Le poireau, non !

3. De ce poireau, on ne peut rien ajouter ni
retrancher. Il n’a ni étendue, ni figure, pas de parties
ou de divisibilité possible. Tout en lui est
nécessaire. Un jour, brillant, le lendemain, mat.

4. Avec ou sans raison, ce glandeur n’aime rien
tant qu’une bonne trique. Rare… Ce n’est pas un
poireau dissolu même si certains matins il se
sent immortel. Ô végétales illusions…

5. Cessons de nous émouvoir ! C’est sa règle. Et
c’est pourquoi, il vous sera raconté ici les vertiges,
l’appariement, les greffes, la peur de manquer
et les délicieux mélanges contre nature.

6. Lorsque le poireau ne fait rien, il rêvasse.
Dans ces moments-là, les larmes lui viennent
facilement aux yeux. Il s’imagine faisant scandale
à l’enterrement du brocoli ou pourchassé par
cent mille endives.

7. Gémir n’est mûrir. Le poireau a toujours su
s’arracher. Pas de rites, pas de simagrées, du
charme. Pas de passions, des caprices. Qui lève
l’implicite est tellement grossier…

8. Va-t-il renouer avec l’asperge, surmonter son
aversion pour le choux de Bruxelles ou donner
dans la courge ? La vie sexuelle du poireau…
Des révélations inédites ! Comment dégorger ?
Il médite. La main dans sa poche trouée, il se
tâte. Toujours vivant… Il se souvient de la veilleuse
rougeâtre qui éclairait les chiottes de son
enfance.

9. Notre poireau n’a pas rencontré sa jumelle car
il n’y a jamais dans la nature deux êtres qui
soient parfaitement l’un comme l’autre et entre
lesquels il ne soit possible de trouver une différence
interne.

10. Je prends aussi pour accorder que le poireau
est sujet au changement, en une vie il en a vécu
dix, et que même à l’instant – ô ma monade ! -,
il prémédite une nouvelle plaisanterie.

11. Il s’ensuit de ce que vous venons de dire que
les changements naturels du poireau viennent
d’un principe interne, puisque ce végétal s’est
défait, fibre après fibre, lui-même.

12. Mais il n’y a pas que le changement, il y a ses
répercussions sur les mœurs, sur les attitudes.
Ou, pour l’exprimer autrement : astiquons, nettoyons,
clarifions.

13. Ce détail doit envelopper une multitude
dans l’unité ou dans le simple car tout changement
naturel se faisant par degré, quelque chose
change et quelque chose reste. Par conséquent,
il faut que dans le poireau il y ait une pluralité
d’affections et de rapports quoiqu’il n’y ait
point en lui de parties.

14. Tuer les vieux et contenir les jeunes, voilà
donc sa fonction à ce poireau entre deux âges. Il
avait trop de vitalité pour faire un bon artiste.
Et l’impertinence. L’appétit ! La bougeotte…

15. Sommes-nous nés sourds ? Fumer clope sur
clope, boire et mettre la musique à fond. Pourquoi
avons-nous toujours eu des rapports aussi
violents ? Je te déchire, tu me déchires, on se
déchire… C’est ça la force de ce monde : nous
diviser. On y prend goût… Etre un peu sale en
devient un idéal.

16. Poireau que fais-tu ? Enlève tes lorgnons,
jette tes livres et baise, baise, baise… Mords
dans ce piment, goûte à cette aubergine, séduis
cette courgette. De ton insouciance, fais-toi un
étendard. Devant toi, vieille peau de vache, il
n’y a plus personne. Laisse-toi aller à tes penchants
autoritaires, n’aie plus honte de ta générosité
native, prêche, enseigne, éduque, dévoie,
débauche! Epate…

17. Ah, comme il est sage le monogame ! Poireau
ne pénètre que sa biquette. Il frétille, est sans
élégance et ne sait pas garder ses secrets. Il va
vite, effleure, vole et à peine apparu, disparaît…

18. Il ne veut finir ni séché, ni congelé, ni braisé,
même au beurre et à l’étouffé. Parfois, il se prend
pour l’un de ces radis qui vont leur chemin sans
se soucier ni de ce qu’il y a à gauche ni de ce
qu’il y a à droite. Mais ce n’est pas ce qu’il est.

19. Sauvez-vous ! C’est aux lisières, aux portes
des villes, aux bords des fleuves et dans les
livres que se prennent les risques les plus
irréversibles. Tout peut basculer. Il faut défaire ce
qui fut si patiemment bâti. Joie ! Allégresse ! On
se calme… Qui a défoncé, se défoncera. Et qui
s’est abstenu, s’abstiendra. Le poireau désire
cesser de fumer, mais il craint d’être constipé.

20. Car nous expérimentons en nous-mêmes un
état où nous ne nous souvenons de rien et
n’avons aucune perception distincte comme
lorsque nous tombons en défaillance ou quand
nous sommes accablés d’un profond sommeil
sans aucun songe. Seul nous en reste ensuite un
sentiment d’inexplicable euphorie. Ne faire
qu’un avec le cosmos, passer des nuits entières
vautrés devant la télé et peut-être enfin trouver
la sérénité…

21. La patate materne. C’est étouffant. Cette
bosseuse plaintive a un drôle d’accent. Elle stagne
dans une flaque d’eau sale/ flaque dont elle
n’hésite pas à vanter les multiples avantages.
Avec elle, il n’y a pas d’aventure possible. Ouille,
ouille, dit-elle quand on varie le menu.

22. L’exil fait de la femelle la maison du passant.
On progresse par à-coup. L’artichaut est
sentimentale mais comprend que l’on soit cynique.
Elle ne s’accroche pas.

23. Avec la haricot, c’est pour la vie. Ni déesse,
ni maîtresse ! Pédéraste égalité… Sérieuse, labo-
rieuse, et horriblement patiente, elle tente de
réformer l’égaré. Il en perd toute joie. Belle, elle
n’en a cure. Ce sera sa défaite. Elle veut et ne
veut que jouir. C’est emmerdant. Coincée,
conne et autoritaire, elle subit presque tout.

24. L’épinard est légunomane et peu fraternelle.
Oui, le facteur aussi. Etrange potager… Avec
ses gros ceci et ses grosses cela, elle est
remarquablement bien équipée mais ceci admis,
on ne la regrette pas du tout, du tout, du tout…

25. Comme elle avale bien la cressonne ! Des
fontaines… Sacrée frangine, que ne t’es-tu pas
distillée dans les feuilles et dans la tige… Bon,
d’accord, tu as les pieds plats et pas d’estomac,
mais cela justifie-t-il le conformisme de tes
excès ? Et vice-versa…

26. Effilée et tremblante, la salsifis est bandante.
Il la traîne derrière lui, refuse d’aller avec elle
dans la prairie sous le prétexte qu’il y a un clair
de lune, la couche, fait ce qu’il a à faire et puis
se sent bizarre. On s’en fout de l’enveloppe, du
papier qui emballe et même s’il est cadeau.
Ça doit brûler. Elle, elle est si light qu’aucun n’a
jamais tenté de la mordre, de la déchirer ou
même juste de la chiffonner.

27. L’ail a changé la vie du poireau. Court mais
bon. Cette servante de Bacchus était une reine,
une impératrice. Elle vibrait jours et nuits ! Pour
mieux se mélanger à elle, il a dû s’abandonner,
être ivre, laisser tomber son « quant à soi ».
Qu’elle en soit éternellement louée…

28. Les légumes agissent comme des bêtes, en
tant que les conséquences de leurs perceptions
ne se font que par le principe de la mémoire.
Par exemple, quand on s’attend à ce qu’il y aura
femelle demain, on agit en empirique, parce que
cela s’est toujours passé ainsi jusqu’ici. La laitue
était sans histoire/ bien proportionnée au poireau
et nantie d’un profond sourire qu’on ne lui
a jamais revu depuis. Elle prouve que le poireau
ne veut pas toujours ce qu’il n’a pas.

29. Il avait encore la chair de courge après
chaque mélange et la piment fut un étonnant
crac crac. En route pour la gloire ! Obsession
dévorante. .. Ce fut une rencontre au sommet mais
la commère ne voulait pas d’un destin qui passait
par de nombrables frustrations…

30. Pas de panique. Mal assise ou bien pensante,
c’est chacune son tour. Et quoi de plus stimulant
qu’une vieille fille? La pissenlit veut toujours
boire avant/ élever ça au rang d’une messe,
s’y délester de tout quotidien. Elle s’accroupit
sur lui ou se met à quatre pattes…

31. L’oseille est nase, folle, out. Minuscule/ elle a
ses phantasmes. C’est marrant. Le problème,
c’est qu’à part ça… Elle chevauche, délire,
viole… Plutôt bien… Dans le noir…

32. La crosne, potiche endurcie, obéit. Que c’est
désagréable ! Elle vient de bien plus loin que
l’Essonne. Quelle place trouver pour elle, si ce
n’est d’avoir parfois réussi à lui faire mal?
Quand la sotte se marre, ça fout le cafard…

33. La flageolet m’a été offerte. Je croyais à un
cadeau, il s’agissait d’un stage… Son proprio
voulait la rôder. Il m’est arrivé de dormir sur
elle, bottes aux pieds. Cool, non ? Elle avait un
rocking-chair et élevait la soumission au rang
de l’un des beaux-arts. Parfois l’on s’en veut en
se remémorant tout ce que l’on a manqué lors-
qu’on était, et cela vérifie qu’on l’a été, encore
vaguement jeune.

34. Il est un moment pour chaque chose,
moment où l’on peut encore se faire entretenir
et moment où l’on ne peut plus. Eh oui, on a ses
humeurs…

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35. Corsée la blette. Et pas démerde. Simple,
reposante. La tête farcie d’un pas grand’chose
plus homogène que n’importe quelle purée en
boîte. Galère… Sans avenir… Zonarde… En
attente… Pas nuisible… Capable de se faire une
fête de tout. Gentille… Stop! Il ne s’agit pas
d’un pin’s, d’une paire de nu-pieds ou d’une
nouvelle coupe de cheveux. 0 mes sœurs, soyez
hardies, multipliez les initiatives !

36. Pourquoi elle, ni sordide ni exaltante, ce
persil dont jamais je n’avais ressenti la nécessité ?
A peine l’avais-je rencontrée que déjà j’avais fait
une tentative de suicide. Ce sont les gendarmes
qui m’ont ramené, nu, violet, enveloppé dans
une couverture. Peut-être croyais-je qu’en buvant
beaucoup, je serais capable de supporter ce
don qu’elle me faisait d’elle-même? Durer…
Parti d’un tel pied, nous ne pouvions
qu’attendre que ça passe. C’est passé…

37. Le poireau est frappadingue. Qui ne lui a pas
résisté, ne l’a pas aimé. Elle se prend pour une
morille mais n’est qu’une pleurote, se prétend
de la montagne mais est de la plaine, se croit
une lady mais n’est qu’une fumiste. Quand la
nonne est sévère, il n’y a plus un souffle d’air…

38. L’asperge, abstraction faite de ses longues
mains, de sa mince bouche, de ses contes
enchanteurs et de son infinie complaisance, a
toutes les qualités et les travers d’une spécialiste.
Cette morbidité, ça va un moment… Que de
souvenirs !

39. Pourquoi tu ne m’embrasses jamais, ne me
caresses jamais, ne me touches jamais les titis lui
demande sa Samuel biquette? Bonne question. ..
Mais que cela ne t’empêche pas de brouiller
l’image et de baisser le son. Ok ? Allons-y !

40. Passionnons-nous maintenant pour un
caprice : la citrouille transformable non seulement
en… mais aussi en… Quel rêveur ! Espiègle
poireau, te reste-t-il autre chose que tes songes
si beaux ? N’oublions quand même pas que les
coups, les bons y compris, ne sont pas le tout de
la vie. N’y a-t-il pas aussi l’argent/ la musique et…
heu… heu… heu…?

41. Genoux, mollet, coude, quelles sont, vous
demandez-vous, les zones érogènes de cette
citrouille ? Que vous répondre ? Soyez économique.
Plus qu’en toutes autres affaires ici l’ironie
est nécessaire. S’il vous faut ramper, rampez.
S’il s’avère que c’est noble qu’il faut- être, eh
bien, restez digne.

42. Le whisky a ses partisans, la cocaïne, ses fans,
l’huître, ses habitués, le gingembre, ses fanatiques,
la noix de muscade ou le haschich, ses
accros. Et l’inconscient ? Si vous désirez vraiment
passer de l’autre côté, connaître enfin la priapisme,
n’hésitez pas : tentez la citrouille. A ceux
qui gardent le sens de l’humour, une érection
transcendantale de temps en temps ne peut pas
faire de mal.

43. J’ai une libido paradoxale, à la fois paresseuse
et harcelante. Avec elle, je ruse. Cela ne me
rend pas plus subtil pour autant, car elle me
force à être pénétrant ou baillant aux olives. Eh
oui, le gland qui végète en. moi est un fervent
amateur d’histoires citronnes. L’autre, par contre,
tire si rapidement que… Quand on n’est pas
sensuel, on fait avec ce qu’on a, non ?

44. Esprit es-tu là ? La mauvaise réputation de la
citrouille me l’a tout de suite rendue chère. On
la chuchotait nympho. Bien ! Elle n’a pas un
gramme de mauvaise graisse et est toujours
prête à donner, lorsqu’il est dans le besoin, un
coup de main au poireau. Elle touche et elle est
si pudique !

45. Et dire qu’il y a des moments où on a envie
de fourrer tout ce qui bouge. Purée, le satyriasis,
j’en ai ma claque.., Je suis la peau et la farce.
Mais, à part finir dans le confort, qu’ai-je à
craindre ?

46. Même moi, je n’ai pas encore tout expérimenté.
Si, si, je vous le jure. Jamais je n’ai attaché
la citrouille et jamais non plus je n’ai entendu le
claquement sec que doit émettre la lanière lors-
qu’elle rencontre la chair. Ce n’est pas drôle et
les airs graves ne m’allant pas…

47. La douleur rend amer. Fulgurations ! Jamais
le poireau n’a voté, mais bien souvent il a chanté.
Vous vous en souvenez à peine, mais c’est
bien lui qu’une nuit vous avez entendu fredonner.
Vous étiez au lit et lui braillait dans la rue
et vous avez eu un pincement au foie en vous
demandant : ai-je réellement vécu ?

48. Frissons… Hypocalorique et hypocoristique,
le poireau a connu sa mère accompagnée d’un
jeune mâle, contemporain de son unique rejeton.
De la gérontophilie à la nécrophilie, le chemin
est-il vraiment aussi long que se l’imaginent
ceux qui n’ont aucune expérience dans ce
domaine ?

49. Fracasse ton verre, crie la courgette de la table
voisine en intervenant ainsi dans la discussion
sur la terminaison des verbes en -er et en -re à la
première personne de l’impératif. Seule la lubricité
pouvait fendiller le temps opaque du poireau,
temps de narcisse et temps d’abandon,
temps d’oubli et temps de gavage. Sans elle, il
serait encore ce qu’il ne voulait pas être.

50. Même une pétulance aussi fraîche que la
sienne peut finir par tourner au radotage. C’est
là que l’onanisme est condamnable. Sinistre est
l’activité solitaire. A deux, à sept, ou à 99, quel
délice !

51. Fils de roi, travesti d’une lourde cotte de
mailles et seul en scène dans cette robe, j’ai joui.
Maintenant, à l’inverse, c’est de passer le jour
entier chez moi, courbé à ma table, amusé d’un
rien et étonné de tout, que je retire les plus
grandes satisfactions. Ouais, ouais, toi non plus,
tu n’as pas changé…

52. Une gourgandine qui soupire peut me
rendre dingue et une fille qui boude faire de
moi un tueur. J’ai été parfois ascétique pendant
des mois et même alors, y compris dans mes
rêves les plus hallucinés, cela ne m’a pas effleuré.
Ce vice, cette transgression par excellence,
doivent malgré tout dépendre de la maman que
l’on a, non?

53. La vie a toujours été bonne avec moi. Je lui
fais donc confiance. Attention, ne frimons pas
sans savoir. Ah, la zoophilie…

54. Il paraît que certains légumes le font même
avec des êtres humains. J’en doute. Il sont si
lourds, si froids. Enfin, peut-être que si un jour,
je me retrouve forcé de l’admettre, j’arriverai
aussi à en rire.

55. Excité par la conquête, ennuyé par la possession,
je n’ai jamais, au grand jamais, abusé d’un
pouvoir ou d’un quelconque prestige. Encore
qu’en y repensant… Mettez-vous à ma place:
comment, alors qu’elle vous tombe toute rôtie
dans la bouche, ne pas se saisir de la charmante
cornichonne ?

56. Bénédiction de la ménagère, le frotteur de
bon matin déjà vaque à son hobby. Crache, retiens,
colle et décolle. Irresponsable, pragmatique,
joyeux et désespéré, il répète à qui accepte
de l’écouter : c’est chacun son truc… C’est ridicule,
non, cette division des tâches ?

57. Si une ville regardée de différents côtés paraît
autre et comme multipliée perspectivement que
narrer d’une jambe gainée, d’une cheville lacée
serrée et de toutes ces infimes parties en lesquelles
on peut découper mentalement l’alléchant corps
de Dame Citrouille ?

58. Mater… Bienheureuse stupeur… Emboutir!
Jeux des plus étrangers, désintéressement absolu…
Fascination géométrique… Quoi de plus
magnifique que la complicité ?

59. Il est doux le flasheur. Il se pelote à peine…
II rosit… Il a fait le pas, franchit sa propre perplexité.
Il engendre le malaise tout en sachant
qu’il développe chez la mateuse un sentiment
confus de supériorité. Il est humble et ça lui va
plutôt bien…

60. Cesser exaspère. Le poireau dévore tout le
panier touristique, les quatre boîtes de sardines
(piment, provençale, citron, muscadet) et veut
en plus se taper la pastèque. Il bave, écume,
rote. Dieu bénisse la betterave !

61. Il vertige, zèbre, s’étoile. La pompe va-t-elle
le lâcher? Il sait qu’il doit se châtier. Remonte le
pire : la Hyène qui le tient et le Docteur Pavlov
qui le frappe. A nouveau caner ? Pour pouvoir
pépier comme au premier jour… Il a depuis
longtemps épuisé ses sept vies, son petit capital
de départ. Mais quand donc apprendra-t-il à se
calmer ?

62. Parfois, le poireau est triste. Il ne se passe
pas grand’chose, le son d’une télé dans le loin-
tain et ses pas qui le mènent toujours au même
endroit. C’est la nuit, un cartable noir au bout
de son bras, il n’a ni envie de rentrer ni envie de
sortir. La rue est déserte…

63. Le poireau a toujours vécu sur son énergie
propre. Il est au bout de ce voyage… Au
moindre laisser-aller, face à la plus insignifiante
des fatigues, il se retrouve trop cuit, irrémédiablement
faible, définitivement lâche, invraisemblablement
mou, tige veule et radicelles asthmatiques.
Cela le tourmente, le heurte, l’humilie, l’offense…
Il n’en dort plus et chaque matin renaît de ses cendres…

64. Ce qu’on peut se sentir crétin des fois… S’il y
a un plaisir propre à tous les excès, que va-t-il
découvrir aujourd’hui dans le manque qui, en
cet instant, l’accable ? Lui, le désinvolte qui veut
et ne veut pas être pris pour un quelconque
liliacée. Il a, ce rimeur, une haute estime de lui-
même mais ce qui le sauve ce sont les détails
charmants, les trouvailles et les facilités dont il
abuse. Toujours la loi du moindre effort !
Provocation ? Nous sommes bien plus malicieux
que cela…

65. Allium Porum I a mangé son pain blanc.
Désormais, toute familiarité lui sera interdite.
Ses clins d’œil seront rentrés et ses poignées de
mains distantes. Cela sera son banc de pénitence.
Chicon galeux, miséreux, lie de l’humanité, âme
sans force, cœur contrit, renonce à tes turpitudes !
Félicités privées comme vanité publique…

66. Mixed média. L’harmonie est suspecte mais
aucun système ne peut prétendre occuper la
place de l’antique inspiration. Chaos, transe,
illumination… Des mots. Elle gueule, lui attribue
et son ulcère à l’estomac et son taux d’acidité.
C’est une comptine, une ronde. Gamine !

67. Celui qui chante sous la douche, ce n’est pas
moi, c’est le speedé, l’enfoiré qui finira avec sa
saleté de juvénilité intarie par me faire la peau.
L’arrogant, le démagogue, l’insultant, celui qui
est dans la possessivité et la convoitise, celui que
la pauvreté rend amer, qui rêve de gloire et
d’agitation qui serait-ce, si ce n’est l’autre ?

68. Moi, je suis mouvement immobile et mon
humeur toujours égale est bien connue du peu
de gens que je fréquente. Le respect s’en va… Il
reviendra ! Je suis prêt à jouer à quitte ou double
ma splendide et médiocre existence là-dessus.
Et je raconterai et l’on m’écoutera…

69. Il semble que le poireau a une nette tendance
à se mordre la queue. Enfin, vous connaissez tous
aussi bien que moi sa légère lourdeur et surtout
sa fameuse lourdeur légère… Et maintenant, il s’est à
nouveau mis en tête d’arrêter ceci, de commencer cela,
d’aller à fond par ici et de ne plus jamais
se risquer par là. Un produit toxique chasse
l’autre. Il ricane et murmure : j’ai survécu…

ADDENDUM.

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1. Un réveil sonne. Des ronds se forment. C’est une
Suisse idiote de fromage en boîte et de gars qui soufflent
dans les grandes trompes. Elle disait : désert,
Sibérie, porridge, eau, pluie, courge. Lui, fixait le ciel
et attendait en vain. Il disait : Suisse, navet, eau
gazeuse et aussi courge. Courge disait : je suis la
douceur de vivre. Journal, (1972, inédit).

2. En ces temps-là, la vie était douce. Nous avions
vingt ans. Jamais de blues, de spleen, de cafard. Ce
n’est pas vraiment douce que je veux dire. Non, c’est
plutôt joyeuse. Même un peu optimisme forcé. Il fallait
éviter la tristesse toujours perchée sur nos squelettiques
épaules. Quand même, lorsqu’on, se frottait
les joues contre les colonnes de ciment ou que l’on
bandait simplement parce qu’il y avait du soleil,
c’était bien. Bien sûr aucun de nous n’aurait osé s’as-
seoir seul et fumer une cigarette sans penser à rien.
Fallait parler tout le temps. Journal, (1972, inédit).

3. Un bobo un tatou bath deux horizontales dans le
sens des joues et deux courtes et nettes vers les
tempes. D’après le garçon depuis la fin de la guerre,
il n’y en a plus. Les Samo se contentent de quatre
par jour… Comment va votre dame ? Molle comme
une chique. Je l’ai lu sur le journal. Sâo ! Sâo ! La
mort arrive. Les Ebriés sont un peu apathiques.
Les Bêtes sont têtus. On s’approche. On se renifle Je
suis follement inquiet. Journal, 1972, inédit)

4. Et les boîtes continuent à avancer vers lui. Certaines
différentes. La plupart semblables. Il frôle les murs.
Constamment, inlassablement la main gauche lorsqu’
il marche à droite, la main droite lorsqu’il marche à
gauche passe les cartes. Certaines boîtes ne nécessitent
aucune attention. Il prend la carte et la pousse par son
milieu dans la boîte. Elle y disparaît. Un été. (La Pensée
Universelle, Paris, 1973).

5. Si vous aimez les femmes à la fois attrayantes et
instinctives, see you soon, sur une face blême, transition
difficile mais le sérieux et la patience du négatif
nécessaires. Mûr, mais pas blet, croissance circonflexe
frémissement insupportable, épuisement par
parole a éviter. Pervers polymorphes, fascinés parla
bêtise du système, donnez-nous des gages. Soyons
plus bois, moins métal. Seul, serein, paisible. Le peuple
lui-même ?
(Nous n’avons rien à perdre n°2
Lausanne 1976).

6. Long voyage immobile. Dressés dès l’enfance à
tous les crimes, pourquoi avons-nous commis si peu
d’attentats contre la morale? Nous avons vécu par
procuration, surinformés de choses qui ne nous
arrivaient jamais. Que d’émeutes nous avons manquées !
Et de méditations… Bras d’honneur, (Simone jours
de colère, n °5, Lausanne, 1977).

7. Nous en sommes là. Dans ses fins de choses. Ses
fins finissantes. Plus de douleur et encore des mots
pour la dire. Plus de complaisance. Plus de dupe.
Saoul encore, de temps à autre, des liqueurs de la
fente. Au bout d’un monde et de ses anecdotes Les
derniers bourgeois raffinés ont disparu depuis long-
temps. Deux, trois provocateurs trament encore par
là. La banalité est devenue l’originalité absolue
Allegro, (48-88, n°2, Lausanne, 1978).

8. Je ne veux pas. Couché. Levé. Accueil glacial. Je ne
suis rien. Bon ! Pétillements. Trop d’indiscrétion.
Intolérablement proche. Incroyablement là. Sternutation.
Grand cri. Coup sec du pied droit. Bond grotesque.
Satisfaction. Autosatisfaction. Tremblement
de la rétine. Vibration des cordes vocales. Articulation
sèche. Je ne suis rien. Je. Rien. Un autre été, (film de
Véronique Goël, Genève, 1979).

9. L’histoire devenue spectacle, dépourvue de son
amertume, attendrit. Le trou creusé par la souris
Mickey dans le gruyère de Karl Gustav Jung devient
fondrière. Je pointe là le passage à l’arrondi, de la
violence à la poétisation du décor quotidien de
l’antiromantisme systématique du Pop américain à
la magnification de l’objet. Vue pertinente dont
l’irrespect se perdra. Adami est un bavard. Et conciliant
comme le sont souvent les bavards. Valério
Adami
, (Centre Gérard Philippe, Brétigny, 1980)

10. Oui, je sais. Oui, je m’en excuse. Oui, nos modesties
se confondent. Oui, je tâtonne. Oui, je m’évertue
Oui, a l’empoignade ! Oui, oui et oui. Qui dira ma
faim de créer ? Bram Van Velde, (Centre Gérard-
Philippe, Brétigny, 1981).

11. Ne pas parler le matin. Trop nu psychiquement
Ça m’écorche. Faux problème. Il n’y a personne. Elle
n’est pas là. Evident. Chaque jour, couper une stère
ou deux d’univers mental. Je souffle comme un phoque.
Pas de déclaration d’intention. Y aller. Conserver
la braise. Allons-y. Retour de ce tas pourri. Le
dos, en bas, à gauche. Un point. Respiration coupée.
La main, comme si de rien n’était, dans les cheveux
en brosse. Ni café, ni tabac, ni alcool. Pas de lait.
Précis/ (Roman), (Nie, n°4, Lausanne, 1981).

12. Frivole : Bagatelle. Fanfreluche. Bulle d’air.
Farfelu. Ornement léger. Espiègle. Vif, malicieux,
sans méchanceté. Désamorce le commentaire. Grande
travailleuse à de petites besognes. Enjeu dans le futile.
Transition, passage, dissolution plutôt que lien.
Désireux de plaire. Immatériel. Lisse. Translucide.
Fragile, fugace, précaire. Tchine Yu-Yeung, (Galerie
Au Fond de la Cour, Paris, 1983).

13. Possession, mises en situation, indifférence.
Etreindre le chétif, un corridor à arpenter, grande
fatigue, douce nonchalance. Euphorique, le vrai nihiliste
aime. Qui se déchire ? Présent, perfection anéantissante.
Celui qui ne veut plus se dresser ne demande
pas à être pénétré. Nuages, air et même temps
qu’il fait. Du discours amoureux pour, je contre. Trop
dense. Qui s’obstine ? Dedans… dehors… Propositions
(II)
, (Centre Gérard-Philippe, Brétigny, 1983).

14. Comment se fait-il qu’Hausmann, qui a inventé
de formidables moyens de propagande, ait toujours
été incapable de les utiliser pour défendre sa propre
cause ? Qu’est-ce qui faisait gémir ce colossal
danseur ? D’où lui venait son inénarrable gravité,
son esprit de sérieux, sa niaise positivité veinée de
ressentiments ? Pourquoi était-il si essentiellement
moral ? Pourquoi, étant parti avec un projet de grande
lessive, – l’art conventionnel, ensuite l’Art, puis tous
les rapports sociaux – en est-il arrivé à laver ses
chaussettes à la main dans un lavabo fêlé ?
Hausmann, Baader and Co, (Centre culturel de
Brétigny, 1984).

15. Je hais les haleteurs d’enthousiasme et d’indignation.
Notes, ébauches, sensations, rencontres. Pas d’à
suivre. Je ne développerai pas. Je me dois le respect.
Je suis paresse. Je suis sud, été, chaleur, noir, amer,
brûlé. Je suis cœur. Je suis langue, parole. Je suis
vivant. Je suis pure joie. Je suis fête. Je suis caressant,
paisible, souverain. Précis (Morale dialectique),
(Station-Gaieté, n°5, Lausanne, 1985).

16. Pieds nus. Sa petite pute de bouche édentée suce
sa langue. Rien à cirer, du pain, un rire amer, un
mot. Il essuie avec le drap son front dégoulinant.
C’est mal parti. Il ferme les yeux. T’occupe ! Il a
le vertige dans les paumes moites de questions
flicardes. Le geste saccadé mais large. Déconnecté !
Des gerçures à la raie. Où aller ? Chair, le biscuit sur
talons hauts, la jupe, les jambes ouvertes, le slip
ourlé, enfoncé dans la fente, les poils. Belle bourge.
Paumes moites. Série noire, (Le petit robinet illustré,
n°3, Paris, 1984).

Rome.jpg

17. Est-ce l’orgueil qui permet de vivre ? Je pose la
question. Est-ce qu’un père lui aurait appris qu’éjaculer
n’affecte pas la vue et qu’il ne lui était donc
pas nécessaire de ne manger le soir qu’une soupe
(maigre) ou des fruits, de se tremper dans de l’eau
froide, de se serrer le sexe avec des éponges imbibées
de vinaigre, de considérer les rêves comme des
interventions du Malin, de pratiquer des exercices
aberrants ? Que disent les pères ? Les mères cajolent-
elles leurs enfants ? Pour en finir avec la rumeur –
Amiel adolescent
, (Voir, n°45, Lausanne, 1987).

18. L’art n’est pas un ensemble de documents historiques,
un témoignage, une vision d’une société,
l’esprit d’un peuple, un appel à l’obéissance, une
morale relativiste, un symptôme ou une pulsion, des
styles qui s’affrontent dans une lutte des castes, un
domaine autonome, la vérité, la cristallisation d’une
émotion, une rétention fanatique, un état d’âme, le
reflet d’un système, une représentation de mythes
divers, le label carte noire, des topos figuratifs, une
rhétorique, une déclaration d’amour ou de guerre, de
la nourriture en boîte pour psychologues sagaces, un
réseau de symboles et de fonctions, des indices, des
filiations ou la chasse gardée d’une brochette de
génies. L’art est la part non encore réalisée de nous-
mêmes et tout ce qui est cela en est. Aviso, (Musée
cantonaux du Valais, Sion, 1989).

19. L’effroi mais la foi, ma fois, car accoucher de la
mère prend du temps, beaucoup de temps et l’évidence
même d’une mythologie qui peut être tout, sauf
individuelle, car à qui n’appartient pas le soi, la
terre, la fécondité, les couilles et la matrice ?
L’émergence de la vie, la vie de la vie, la survie de la
Vie n’expliquent néanmoins pas pourquoi une main sur
une joue a toujours été pour moi l’image de la tendresse
dont, volontairement, nous nous privons si
cruellement. Le dormeur du val, (Bex & Art 1990).

20. Comment expliquer aux victimes de tout ce
sentionnalisme creux que la science est avant tout
déception, que la créativité s’ignore en tant que telle
et que ce qui empêche les ordinateurs de penser, c’est
qu’ils ne connaissent pas des sentiments comme la
frustration, la joie de la réussite et l’âpre saveur
de l’échec ? Une minute de silence, (Enfant
d’abord, n°142, Paris, 1990).

21. Le B.A.-ba de la glande n’est pas seulement un
alphabet élémentaire. Il est aussi une indispensable
initiation à qui veut passer ensuite à une paresse
sophistiquée, de longue haleine, une sorte de solfège
nécessaire à celui qui espère développer sa sensualité.
Si je déclare que tout autant que les frais fixes ou les
responsabilités, les menues corvées sont à éviter à
tout prix parce qu’elles prennent la tête, cela paraîtra
peut-être un peu théorique aux parasites chevronnés.
Il n’est pas sûr qu’ils aient raison. Leur habileté et
leur sens pratique ont les limites de tout pragmatisme.
Abstinence, (Culte, n°2, Paris, 1992).

22. Place Clichy, au Tabac, des chauffeurs de taxi
et des éboueurs en étaient à leurs premiers cafés
calva. Le Vieux se commanda une beurrée et un
grand crème. Cette saleté de baiseur avait faim.
Oui, il n’était qu’un baiseur maudit né pour vivre
sans amour. Maudit, maudit, maudit ! Une nuit,
(Envoi, Mulhouse, 1993).

23. La chair est triste, hélas ! et j’ai vu tous les Colombo.
Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que des présentateurs
sont ivres d’être parmi les cathodes inconnues et les
applaudissements. Rien, ni les nouvelles séries reflétées
par les yeux, ne retiendra ce cœur qui dans les clips se
trempe. O nuits ! ni la clarté déserte de mon écran sur
le vide papier que la blancheur défend, ni la jeune femme
suçant son amant. Fumisterie, (L’éternité, n°14, Lausanne,
1994).

24. Et comme ça, du jour au lendemain, tapis rouge et
mise à plat, on efface tout, on recommence ; sa mère le
reprend.. Les 7 villes de mon enfance, (inédit, 1994).
25. Mon cher Pierre, J’ai bien reçu les photos des
œuvres que tu vas exposer à Montbéliard cet été.
Cela fait des heures que je les contemple en me
demandant, vieux gamin, si tu essayes d’y relever un
défi que j’avais amicalement laissé au pas de ta
porte à la fin de mon séjour chez toi. « Tu n’es pas assez
vulgaire » t’avais-je dit. Et je le pensais ! Pierre Tual,
(Le 19, Montbéliard, 1995).

26. Je vais mieux, sauf que si je bouge trente minutes, je dois
me reposer 1h. Mais ce n’est rien, je sens que je récupère,
en tout cas, je lutte, j’ai un horaire de bébé, au lit à 8h,
épuisée, mais ça va. Aïe, aïe, l’orage éclate, je dois avouer
que c’est le seul truc qui de toute mon existence m’a foutu
le trac, sinon ni les hommes ni la vie et actuellement la
maladie ne m’effraient, mais l’orage oui, c’est bête, non ?
SS, (roman inédit, 1996).

27. Je suis accro, je suis addict, des ados qui font de l’
aérobic et des vieilles biques qui exhibent leur clit.
Bug, (Editions H. Erta, Mulhouse, 1997).
28. AA fait la roue, gonfle son jabot. Bientôt, il va sûrement
montrer sa queue… Je le déteste. Maria s’échappe des mains
de Michel qui la serrait d’un peu trop près. Dépité, ce benêt
engueule les jumeaux. Elle saisit Robert aux épaules, lui
murmure des choses dans l’oreille. Ils se gondolent tous
les deux. Bob lui raconte qu’à Bruxelles un vieux voulait
qu’il lui touche les parties. Il lui répétait : tu sens comme
elle est grosse et raide. Il lui prenait la main. Il a dû sauter
du tram en marche. Les deux pleurent de rire. Fourt !
(roman inédit, 1998).

29. J’imagine l’acte. Je pleure de joie. Juste une pénétration.
Bof… Il est un temps pour chaque chose. Un temps
pour pénétrer et un temps pour s’en souvenir. Un temps
pour rêver, un temps pour agir. Ah lécher Aurélie…
Quels sont mes rapports avec les femmes,
(Avant Post, n°3, Paris, 1999).

30. Nous chanterons les grandes foules désoeuvrées ;
les ressacs multicolores et polyphoniques des
expulsions dans les capitales anciennes ; le silence nocturne ;
les gares désertes et fermées ; les lourdes péniches
naviguant sous la pluie. Manifeste pour une vie
molle
, (De Bingen à Koblenz, Mulhouse, 2000).

31. En gros, l’angle droit était maudit, considéré comme
une contrainte, une technique de conditionnement
réactionnaire. La courbe était parée de toutes les
vertus libertaires. Ces jeunes gens, quand ils ne
dansaient pas tout nus, portaient d’amples vêtements
lâches qui étaient censés favoriser un genre de vie
tolérant. Cela s’accompagnait d’un culte insensé
pour le phrasé mou de la guitare distordue de Jimi
Hendrix et de grandes attentes messianiques. Le
Gonflable comme expression du négatif
, (Air-Air,
Monaco, 2000).

32. A l’origine, la Thora aurait été écrite avec du feu noir
sur du feu blanc… Le monde secret de la divinité est un
monde du langage, un monde des noms divins, mondes qui
se développent selon leurs propres lois. Jusqu’à présent,
il fallait au lecteur du talent pour comprendre certains
livres, Gil Wolman, lui, exige du génie. Faites vos yeux !
Un homme qui a lu un texte cent et une fois ne
ressemble pas à celui qui ne l’a lu que cent fois…
Le souffle douleur, (Défense de mourir, Editions Allia,
2001).

33. Yves voudrait écrire, mais l’écriture n’est pour lui
qu’une autre façon d’être absent à soi-même, et Frédéric
voudrait dessiner, peindre, écrire, cuisiner pour faire
exister le monde. L’un bruyant et extraverti, se donne
à lui-même pour ne pas se donner ; l’autre, sombre et
réservé, donne tout pour ne pas s’abandonner. Si Frédéric
lit pour se découvrir, Yves lit pour s’oublier, et si
Frédéric boit pour se détendre, Yves boit pour s’excéder.
Pour l’heure, ils bavardent. Humour, (PUF, Paris, 2001).

34. James Joyce voit la création comme une matrice, pas
comme un sexe en érection. Je suis fasciné par sa
féminité si difficile à expliquer. Il veut être l’enfant
de Nora, sa femme. L’érotisme est fusion, fin de l’ego. Sa
correspondance érotique, c’est ça. Il écrit des mots obscènes
pour tenter de disparaître, de se casser le caractère. Dispute
sur Joyce
, (Le Trait, n°9, Paris, 2002).

35. Oui, je suis toqué de tes vallons, épris de ma fatigue
(l’extase !), jamais lassé de tes collines affaissées. Et dire
de ton cou altier, de ta nuque glabre, objets de tant de mes
méditations ! Petit Ballon. Grand Ballon. L’air conditionné.
La Vallée de Bonhomme. Ça défonce !
Il préfère regarder les seins de Machine plutôt que le
Paysage, dit-elle. Mais ils sont mon paysage ! Les invendus,
(D’étoiles et d’écrits, Jean Scheurer, Lausanne, 2002).

36. Il accueille chez lui des gens « vraiment pervers »
comme antidote au petit monde confortable, rationnel
et mou que lui impose son épouse. Lors de son long
séjour au centre de désintoxication X-Kakay à Vancouver,
(cette ville ou rien ne s’use, ne vieillit, ne se salit ; sinon
la police débarque et le tue), il juge que les jeux de thérapie
par l’agression révèlent plus ce que l’on redoute être que
ce que l’on est. SM = SS !, (Stéphane Magnin, capc,
Bordeaux, 2002).

37. Il n’y a pas de porche dans la rue des Archives et dans
les rues avoisinantes sous lequel Rébecca ne m’ait sucé.
Elle y mettait une telle grâce, un tel naturel… Comment
j’ai tué la Troisième Internationale situationniste
.
(Editions de la Différence, 2004).

38. Notre chaman crayonne, divague, il monologue, se
souvient. Vif, fin, inquiet, doutant toujours de lui-même,
insatisfait chronique, souhaitant avec acharnement des
perfections contradictoires, différant la jouissance, créant
la difficulté, craignant tout autant les courts et astucieux
chemins que les longs labeurs, paisible et féroce, vibrant
dans le vent, il trace des signes avec de la cendre, il
fredonne, chantonne, gémit – il danse habillé de peaux et
d’os humains. Il lève bien haut les genoux. On le voit à
peine, il se confond avec la nuit, avec l’illusion, avec
l’espoir. Ses yeux sont de braise. Les crucifiés du futile.
(LEE 3 TAU CENTRAL ARMORY SHOW, Villa Arson
Nice, 2004).

Ce texte a été tiré à 250 exemplaires en
Septembre 1994 pour les Éditions du Quai
à Mulhouse et est paru avec 6 illustrations de Charles Belle.

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