JE HAIS LES BLONDES & Précis (Roman)

Textes d'Yves Tenret parus en 1987 dans Ecriture, n°28 et en 1981 dans Nie, n°4 à Lausanne.

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JE HAIS LES BLONDES – (BANDE-SON)

A proprement parler, je ne glande pas. Brave garçon débordant de bonne volonté, à peine la monographie Jaques Pajak terminée, je me suis dit : — Maintenant, retournons à l’Art, créons une œuvre personnelle, affrontons notre destin. Belge, ayant longtemps vécu en Suisse, je vais importer les tueurs du Brabant et leurs meurtrières attaques à main armée sur la côte lémanique. Ne voulant pas me lamenter, je ris consciencieusement pendant un quart d’heure tous les matins. Solitaire et obsédé, j’ai même imaginé que j’allais rêver, me laisser caresser, lire, ne rien faire. J’aboie dans la nuit. Ma fiction, Les Tueurs du Brabant, doit me permettre de me défouler, de réaliser ma rage, de me venger de la médiocrité dans laquelle je croupis. D’une page sur le narcissisme, il ressort que je ne suis qu’anxiété et que mon cadavre est photogénique. Ne devrais-je pas remonter le temps pour dénouer les anciennes fatalités? J’habite Paris et mon seul revenu actuel est de mille francs par mois. Cet argent m’est versé par le mensuel romand Voir pour lequel je couvre l’actualité cinématographique en tant que pigiste. J’ai en projet deux scénarios commerciaux. L’un à écrire avec Françoise Bridel, sur la vie d’une rock-star. L’autre, continuation de notre travail en commun avec Katia Nusslé, sur la mort de l’art. Je veux m’explorer. Pour cela, je suis prêt à m’enfermer et, avec une patience d’enfer, à baigner dans mon Jus. Dorénavant, je veux avoir l’élégance de me faire comprendre. Je rédige laborieusement un article sur Hans Helmut Klaus Schœnherr, auteur de pensums expérimentaux. Le scénario avec Katia s’axe sur la bêtise masculine et celui que j’envisage avec Françoise démarque la légende de Stéphane Eicher. Dominique, la fille qui me prête la chambre, m’accuse :

– Tout ce que tu veux c’est être reconnu en tant qu artiste !

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Cette accusation me tracasse. Carole, ma moitié: se moque de moi. Elle affirme que si je n’arrive pas à écrire c’est parce que je suis incapable de générosité, que je ne veux rien donner. Pour le moment, j’hésite entre ne parler que de moi et ne pas parler de moi du tout. Avant de commencer ma saga de tueurs brabançons, je veux lire Weber et Boltansky. Eric Ambler sera mon modèle sauf pour la fin qui sera dans le style de La Horde sauvage de Sam Peckinpah. La taille des chapitres sera calculée en fonction du nombre d’habitants dans les divers endroits, une ligne équivalant à mille habitants. Je vais au centre culturel belge pour consulter la presse. Ils n’ont plus de bibliothèque. Au centre culturel suisse la bibliothèque n’est ouverte que le matin. Je trace un plan de l’ensemble. Je tiens à ce que cela soit des soldats valaisans qui mitraillent mes casseurs à la fin du récit. Pour le reste, je vais profiter de l’occasion pour décrire les rapports de pouvoir que mes amis ont entre eux. Hergé, dans L’Affaire Tournesol, a déjà repère une partie du terrain. J’écris : «Et si je devais sortir du polar pour trouver ce que je cherche ? Si je devais inventer une autre forme ? L idée de co-écrire des scénarios est bonne. Pas de tourments : c’est impoli. Je n’ai jamais rien inventé. Est-ce la réputation des autres qui me domine ? Je vais essayer d’attaquer ce polar aigre. Apres, on verra… L’aigreur est mauvaise. Je tourne en rond. Patience! Ne suis-je pas ridicule? Pourquoi essayer de faire ce que je semble ne pas savoir faire – raconter une histoire?» J’en écris les trois premières pages. Le narrateur est l’un des gangsters. Leur première planque est un appartement genevois. La vulgarité de cette phrase rend bien la tonalité de l’aventure: «On en avait tous plein le cul». Mon recrutement est moderne car si les trois quarts d’entre eux viennent du milieu, le dernier quart est composé de politiques recyclés. Le propos est récriminatif. J’arrête Ne ferais-je pas mieux d’aller travailler ? Un livre mélangeant la vie du peintre alsacien et la mienne, un livre décrivant la mort de l’art vécue de l’intérieur serait-il captivant? Le récit de ma courte existence? Je voudrais me laisser aller, délirer, éviter les inventaires, suivre des associations d’idées. Je ne veux pas rester dans le commentaire de l’œuvre des autres. J’encolonne une liste de mots choisis arbitrairement pour mon nouveau projet, un Curriculum Vitae géant. D’emblée, cela sonne faux et m’ennuie. Dois-je exporter ma misère, partir à New York ? J’ai un doute sur l’écriture. Puis-je m’exprimer autrement ? En super-8 ? Je n’ai rien à dire, je ne ressens rien, je ne me souviens de rien. Je ne pense jamais, je ressasse. Vais-je finir journaliste ? Le 13 décembre, j’écris: «Je cherche un oreiller pour ma paresse, le truc sociable, un peu de thunes, pas de tourment. Mes idées, lorsqu’elles sortent de ma tête, sont périmées. Comment être d’une joyeuse arrogance ? En faisant du cinéma ? Le Curriculum Vitae tient sur ma prose poétique. Il permettrait de soutenir un siège dans la piaule. Les tueurs du Brabant ont la réalité pour eux. Je ne me résigne pas. En parler ? Une fiction sur la révolte ? Le C V pourrait contenir cette rage». J’inventorie mes moments de révolte et mes invariants de révoltés. Accroupie sur moi, Carole rappelle Grâce Kelly jeune. Admettons que je n’ai rien su bâtir et ne saurais jamais le faire, il reste le choc de ma présence… Je commence mon C V par le mot «Amitié». Cette relation n’est pas mon fort. Avec le mot «Amour», c’est encore pire. «Angoisse» m’est plus familier. Dans «Appétit» j’essaye d’évoquer Dada. Ce temps anémique, le nôtre, doit mourir. «Armée» réchauffe sa platée d’anecdotes graisseuses. «Art» est comparé à une bronchite chronique. Je tremble, je vibre, je frissonne. «Alcool» c’est le quotidien. «Cinéma» renvoie à «Critique» et ce n’est pas drôle. Le 20 décembre, grève-surprise dans le métro, très bonne ambiance au sol. Mieux vaut se tendre que se détendre. Je risque un «Carole» dans lequel je lui demande de se libérer de son ancien grégarisme dans l’espoir que cela la rende encore plus sexy. Je vais fonder la littérature européenne. Nous allons quatre jours à Bruxelles. En rentrant, le super-8 s’impose à moi. En partant de Frazer, j’espère devenir le meilleur ethnologue de Paris. Je vais filmer mariages, enterrements, collectes des ordures, saisons, épouses, habitats, migrations et grilles de Loto. Relire Granet, être un Chinois. L’enquête, la collation de données sont des passions. Ne s’intéresser qu’à soi abrutit. Pour la bande-son, je pense à mes journaux intimes parisiens, 1979-1985. Avant de m’endormir, Je rêve souvent d’ascétisme. Masque de ma paresse… Je voudrais tant arrêter de me saouler. Pour le scénario avec Karia, je reprends 5 Mil, l’opéra misogyne qu’à la fin de sa vie feu son époux essayait furieusement de monter. Cette misogynie désespérée m’intéresse. Le 30 décembre, j’ai l’idée d’une circulaire dans laquelle je proposerais un plan de financement de dix films de vingt minutes en seize millimètres à mes connaissances. Mon argument : si je ne réalise pas ces films personne ne les réalisera à ma place. Je ne me sens lié à aucune école, aucun mouvement, aucun groupe existant. Tout me semble figé. Je veux aller vite, être libre, pouvoir improviser. Pour cette circulaire, je prends dix pages de notes. D’un côté les OUI (ce que je veux), de l’autre les NON (ce que je ne veux pas). L’ensemble reste très abstrait. Mes piges de décembre sont consacrées aux frères Lumière. Le 3 Janvier, je m’exhorte solennellement à terminer cette circulaire. J’en écris effectivement deux pages qui commencent par : «Mon insatisfaction est totale et touche tous les domaines de la vie». Ces pages attaquent l’idéalisme et sont un appel adressé aux ennemis du cinéma. Je vais à Lausanne assister au vernissage Jacques Pajak, C’est un triomphe et notre monographie est très appréciée car «elle se lit comme un roman». Rentré à Paris, je reprends mon C V en y introduisant de nouvelles entrées telles que : «Samuel Beckett», «Manger», «Baiser», «Bavardage», «Bluff», «Naïveté», «Arrivisme», «Paternalisme», «Pognon», «Prétention», «Pureté», «Sommeil», «Baratin», «Intensité», «Jouir», «Bistrot», «Brutalité», etc. Je développe «Affection» et «Agressivité». La légèreté et l’insouciance ne peuvent s’obtenir que par la guerre. Dois-je continuer à ne parler que de moi quitte à devenir plus explicite ? Vais-je à nouveau retourner mon agressivité conne et ma révolte nue contre moi-même? Ce monde demande à être repensé. Je ne possède rien et pourtant je me sens menacé. Le 10 janvier, j’apprends qu’Albera, intellectuel genevois vivant à Paris, a un plan pour moi. Guy Hennebelle, directeur de la revue CinemAction, veut m’engager pour coordonner un numéro de sa revue sur la presse française cinématographique. Albera lui a parlé de mon long article de 1977 sur les débuts des Cahiers du Cinéma, Le 15, je vais chez Albera. L’affaire s’annonce juteuse. Je pressens qu’avec Françoise notre scénario va foirer par manque de motivations. Pour mon C V, Je suis bloqué à «Art brut» : «Les ménagères découpent des patrons dans les magasins féminins». Si ça marche avec Hennebelle, je vais tout arrêter et me concentrer sur ce boulot. Je donne des titres à mes dix futurs films : La scène de ménage, Le centième anniversaire de la naissance de Raoul Hausmann, Le déménagement, Les tueurs du Brabant, Le Curriculum Vitae, Le bavardage, Le hasard, La sexualité « libre», Eloge de la lâcheté, Yoyotte à la plage. Je dessine pour Katia un plan de 3 Mil. J’ai une intuition : Jean-Michel Yoyotte est un grand acteur burlesque. Grâce à lui, je vais connaître la gloire. Je me rends chez Hennebelle qui d’emblée m’annonce que tous les collaborateurs de sa revue sont des bénévoles. Je serre les dents, blanchi. Mon indignation rentrée est telle que je manque de m’évanouir. Yoyotte acteur paraît plaisant à tous ceux à qui je m’en ouvre. J’envoie une lettre à Frédérik Pajak dans laquelle je lui propose de publier notre correspondance, 1975-1985, dans L ‘Eternité, sa future revue d’art. J’aligne les titres de mes dix Yoyotte : Yoyotte à la plage, Yoyotte danse, Yoyotte en ménage, etc. Pour 3 Mil, je veux décrire des passions que j’ai expérimentées: la haine de la mère, la jalousie, l’attente, la honte, la peur du ridicule, l’indisponibilité systématique… Je ne suis pas le genre «vie douce» et tout va très bien. Pourtant j’erre à ne savoir que faire de mes membres. Alors que je devrais m’émietter dans le cosmos, je reste là sur ma chaise, tout bloqué. Nous n’usons d’aucune familiarité entre nous. Cela donne à Carole le charme d’une inconnue. Attendre ! Ah ça oui… J’aurai attendu. Avec Katia, nous abandonnons le ressassement sur la misogynie du dernier peintre. Le comique est un défi. Nous allons fabuler sur les cinq hommes qu’au soir de sa vie, elle évoque avec tendresse. Je lui suggère, pour aller plus vite, de se réunir quatre jours par semaine. Elle accepte. Tous les gens qui au détour d’une nuit me parlent, ont en commun le désir insatisfait de passer à l’acte. Le 29 janvier, Loïc Connanski m’appelle. Il a emprunté une vidéo professionnelle. Nous allons pouvoir tourner demain. Hennebelle m’ayant offert dix numéros de sa revue, je consacre mes piges aux quatre numéros de 1985. Les petites fiches me donnent la nausée. Je compte profiter de la vidéo pour accentuer mon effort pédagogique sur Loïc et vaincre ma propre inertie. Il a acheté De la guerre. N’arrivant pas à le lire, il me l’a prêté. Je vais lui imposer une bande sur les Dupont lisent De la guerre. Il vient sans la vidéo. Chez lui, l’échec est une habitude… Katia minaude, m’ennuie. Lire CinémAction est une punition. J’écris à Rolf Kesseiring : «— Veux-tu éditer en recueil une cinquantaine de mes articles ?» Pour Katia, notre scénario est une occupation ergothérapeurique. Penser lui semble être une perte de temps. La jugeant dans l’impossibilité de changer d’existence, je n’ai pas le courage de le lui dire. Je boude et m’enfonce dans cette bouderie. Nous alignons des platitudes sur son vécu. C’est un hobby. Ça me déprime. Le 31, je craque. Je lui explique l’intérêt que nous aurions à être humbles et modestes, d’apprendre et d’expérimenter avant de songer à réaliser. Pas d’écho. Elle rêve d’Hollywood. Je laisse tomber. Je ferai mon film tout seul et il débutera par un gros plan de mon nombril. Je vais révéler de nouveaux sentiments, d’autres manières d’être au monde. Ce que j’écris n’a aucun intérêt: me voilà forcé d’agir. Je mise tout sur la désinvolture. Ne suis-je pas par excellence celui qui a toujours ses bobines sous le bras ? Mon film s’intitulera Thé Brave New World. Partant de mon nombril, se développant en spirale, il devrait m’amener à explorer toute la planète. Je fouillerais la bouche et l’anus. J’ouvrirais le cadre petit à petit. J’ai déjà des visions de catastrophes à la Tex Avery. Un super-8 dans un tiroir est débectant. Et si j’écrivais un livre titré Film et empli de méditations baudelairiennes sur l’art et la vie? Hanté par Rembrandt, je me considère comme étant sa dernière incarnation. Je pourrais profiter du film pour vivre ma sexualité : une paire de cuisses entrouvertes toutes les cinq minutes. Au bistrot, je ne détaillerais que pieds, mains, coudes et genoux. Cela montrerait toutes mes craintes. Faisons valser le monde. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je suis poursuivi par l’ironie. Le 7 février, j’écris: «Carole a pleuré cette nuit. Je suis sans doute trop compressé. Alain Martin, peintre abstrait, ne joue pas le jeu. Il y a une invisible barrière entre nous. Il n’a que le mot «artiste» à la bouche et là ce mot est enfermé, sans vie. Avant-hier une cuite démente avec Mousse. L’alcool pue. Quel merdier! Je n’ai pas d’affinités avec la beauté comme terreur. Mes vingt ans de gamme ne servent à rien». Vielfaure m’apporte sa caméra super-8. «Tu as une vie douce», me répète Carole. Puisque je ne suis bon qu’à causer, elle pourrait m’interviewer. Cela aboutirait à un film contre moi, une purge, la description d’un type mauvais en tout, socialement, sexuellement, intellectuellement, affectivement, etc. La bande – son pourrait reprendre tous les 9 février de mon journal intime. Je compulse. Le résultat est désastreux : nihilisme à la petite semaine. Je me sens de plus en plus résolument anti-quotidienniste et sourd-réaliste. Le 11 février, j’opte pour trois films d’une demi-heure : De la guerre, film sur la violence sociale, Brave New World, film sur les théories qui en proposent l’utilisation, De l’amour, film contre l’idéalisme. Avec Loïc, nous allons voir quatre films de Moullet. Ça me fait gerber. Moullet, c’est la claustro molle, la survie poétique, l’horreur. Il ne suffit pas d’être pauvre, il faut le savoir. Ma joie se doit d’être féroce. Le jour du carnaval, au Fitzcaraldo, deux de gauche énervés par ma non-participation à leurs réjouissances me proposent la baston. Je décline leur offre mais je sens qu’il y a un blocage et qu’il est dans l’enfance. J’écris quinze pages sur mes premières années. Sur le moment, ça m’euphorise. Par ailleurs, je lutte contre la dramatisation de tout et de rien ainsi que contre des images de vieillesse sinistre, de disparition dans la médiocrité. Le découragement et l’abattement rôdent autour de mon sommeil. Je ne me suis jamais dépassé. Ça se sent. En me contemplant, je voudrais me défaire pour arriver à me refaire. Penché sur mes souvenirs, j’ai le cafard parce qu’aucun visage d’interne n’est resté dans ma mémoire. Seules la famille et de vieilles rancunes remontent à la surface. Le 16 février nous tournons les deux premières bobines. Je relis Les Mots et Si le grain ne meurt. Les deux m’écœurent. Quant à moi, j’ai l’impression de raconter des histoires apprises par cœur. J’attends la richesse. Carole remarque mon incapacité à peindre mes moments de bonheur. Partant de ce que je savais déjà de ces années, vais-je creuser plus profond ? Yoyotte est rentré d’Egypte. Il veut bien jouer dans mes films si on les écrit avant. Se prendre au sérieux est trop en contradiction avec mes intentions. Je laisse tomber. Pour mes piges, j’assiste à la projection de quarante courts-métrages. Seul le Strangulation Blues de Léo Carax m’impressionne. Mon film va se nommer Avortements. La bande-son en sera l’énumération de mes projets depuis le début de décembre. Dans le cahier sur mon enfance, Carole a noté en marge: «Tu n’as sélectionné que le pittoresque. Essaie aussi de te souvenir de tout ce qui faisait de ta vie, une vie d’enfant normal». Le 23 février, j’écris: «Dur. Je pourrais en chialer. Je suis speed et impuissant. Ce super-8 accentue ce qu’il y a de dérisoire dans mon existence. Puis-je compenser par la rigueur ? Ce marin je ne suis pas arrivé à tourner. Je me méfie de tout. La solution est dans les reins et dans la lumière. Je dois éliminer l’introspection. L’idée sans la détermination n’est rien. Il faut continuer encore, et encore. Ne pas écraser. Chercher !» Je m’essaie dans le franc délire: «Pendant que les bandits violent la jeune femme dans la cuisine, les gangsters continuent leur partie de poker. Notre héros se branle sous sa robe de premier communiant. Sa mère est une salope. Une moitié de dent vaut mieux que pas de dent du tout. Christian est méchant. Plus tard, il sera puni. Roger ne peut pas jouer au football. Il n’a pas de jambes. Sa maman lui dit: «Si tu crois que ça te rend intéressant… » A peine en marche, ce délire me paraît déjà d’un faible intérêt. Les travailleurs du négatif ont saboté des lignes de métro. Qu’est devenue L’Agence pour l’auto-suppression du prolétariat ? Je me lance dans une fable utopiste. Je tire à boulets rouges sur l’art. Cela aboutit à un recueil de lieux communs sur l’état, la violence, le masochisme du prolétariat artistique la came, l’alcool, les sondages, le pape, les médias, la publicité et les mécanismes de sélection en général. Pauvre Tenret, c est vraiment en théoricien que tu es le plus niais. Quand tu parles, ça passe. Mais par écrit! Carole est tellement consternée lorsque je lui lis ma prose moralisante que je la jette. Fin février, je commence Je hais les blondes. Je relis mes cahiers et j’en extrais ce qui me paraissait intéressant Je me demande si je ne devrais pas passer un doctorat en histoire de l’art. Michel Thévoz, directeur du Musée de l’Art brut, accepterait sûrement d’être mon directeur de thèse. Carole me trouve «très chou». J’apprends que quelqu’un a touché de l’argent en présentant l’un de mes scénarios à une commission officielle. Je n’en savais rien.

Je suis effondré. Plus enculé que moi, tu meurs! Tout le monde m’exploite. Je n’ai plus de dents et je n’aurai jamais assez d argent pour m’acheter un mixer. Je pourrais reprendre Les tueurs du Brabant mais d’une autre façon. Ce serait une bande de jeunes loosers mythomanes se faisant passer pour les tueurs du Brabant. Ma photo figure dans le programme du mois de mars de la cinémathèque suisse. Elle projette Précis, film de Véronique Goël dans lequel je suis guest star. A peine invité dans ma vie et dans mon œuvre, je le traverse sur la pointe des pieds. Carole et moi, nous nous interrogeons sans fin : «— Comment est-il possible qu’en ne branlant rien j’aie produit tant de choses ? » et les jours impairs : «— Comment est-il possible qu’un type comme moi en soit où il en est ?» Le 4 mars j’écris : «Le flying dutchman est englue dans du sperme tiède. Rien ne bouge. Carole aime les orages. Elle m’impressionne énormément. Les deux bobines sont revenues. C’est une catastrophe. Le petit homme pleure, la Callas console». Le meurtre de Mademoiselle Michèle Petit, directrice d’un foyer d’accueil par l’un de ses anciens pensionnaires, m’émeut. Pascal Blanc a vingt-deux ans lorsqu’il tue son ancienne directrice. Après il se masturbe sur elle. Il y a là quelques sentiments épars de ma propre enfance. C’est flou mais je peux difficilement me laisser ignorer que toujours et partout j’ai eu le même comportement : renoncer…

Ce texte est paru dans le n°28 de la revue Ecriture en mars 1987.

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Précis (Roman).

I.

ne pas parler le matin, trop nu psychiquement. ça m’écorche. faux problème. il n’y a personne, elle n’est pas là. évident, chaque jour, couper une stère ou deux d’univers mental, je souffle comme un phoque, pas de déclaration d’intention, y aller, conserver la braise.

allons-y.

retour de ce tas pourri, le dos, en bas, à gauche, un point, respiration coupée, la main, comme si de rien n’était, dans les cheveux en brosse, ni café, ni tabac, ni alcool, pas de lait.

avec abdhul à la kermesse.

hubert la trouva ravissante et ne s’étonna plus d’être resté trois semaines avec elle; ce qui constituait, dans sa vie amoureuse, une sorte de record.

juin. longues journées, hier soir, quand elle est rentrée, je venais à peine d’éteindre, cent quatrième retard, ils finiront par la convoquer.

demain, nicole. il ferme les yeux. elle rougit vivement.

irrité, la dernière fois, en ville, à nouveau parlé et beaucoup, comme toujours. ça ne sert à rien. tout lu. tout vu. le vice. me reprend à chaque fois.

voyou, qu’est-ce que t’en sais, vieux con ? énervé, mais de quoi ? s’est pas regardé.

je siffle de plus en plus.

avide de gloire, il a exprimé à plusieurs reprises… détails, sa vie extérieure.
entre la sécheresse du chiffre algébrique, stimulant, et le délire.

attitude mégalomane, attitude, originalité, un isolé, particulièrement courant, le silence, existence anodine, secrets, il ne se confie à personne, on dit qu’il sort la nuit.

me tirer, une chambre, un pick-up d’occasion, un chevalet et loin ! départ, l’autre me fout la paix. d’autant plus qu’il n’est pas là. ...et que tu me remplaces auprès de maman… y charrie ? c’est assez son genre.

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je devrais écrire un polar, c’est ce qui rapporte le plus. ou le conte de la marmaille, suce, suce. tu verras, c’est bon. uniforme. et maintenant, petits enfants (I jean 28). tête d’œuf lève les punitions ou il t’en cuira, les chemises bleues, plu à en foutre dieu, dire des nouvelles nouvelles, tout commença un jour. il marchait à grand pas.

c’est du poumon que vous êtes malade.

tout commença, il faisait chaud, pardon ? oui, à grands pas. ce que j’entends ? c’est simple, des pas de quatre-vingts centimètres, vous dites que… bon, il marchait, ça se répète, une trompe en os.

étudier, les aveugles, les rêves, les sourds et muets, une feuille blanche de format courant, je la touche, je la bouge, exiger plus. être le meilleur guerrier. terrible, j’entre au milieu de l’assemblée, je parle, debout, encore vierge.

s’époumoner.

taisez-vous ! j’écoute, qui a fermé la radio ? tu vois, on avait installé des trucs, tu sais, des machins, attends, tu vas comprendre, tu vois, on avait des glaces, cesse de te regarder, s’il te plaît, ça m’hérisse, c’est comme ça qu’on a vu deux bonnes femmes, on était sept mille.
caractère, personnalité. ils l’affirment, monique, christiane. je vendrai des dessins, me tirer, attendre ? attendre quoi ? elle veut me faire émanciper. deux ans ! vivre la nuit. sans argent, qu’ils se gardent les corvées qu’ils me laissent. j’ai payé d’avance, seize ans que je paye. à eux maintenant, je ne m’écraserai plus. des filles, alors ? j’en ai dégoûté une violemment la semaine dernière. pourquoi ? en fait, pas intéressant, je m’en fous. besoin de personne. caïd, pas mouton, un scandale.

je continue, c’est comme ça que nous avons vu les deux bonnes femmes. ça te plaît ? pastellistes, eaux-fortes, odin ! quels seins ! tu entends le silence ? torticolis, raconter une histoire, une vraie, celle du toit, le fil d’antenne à la main. je le ferai, et d’autres, imaginer serait encore mieux, en tout cas, écrire un série noire, huit mille francs ! avec ça je pourrai me tirer, faire un plan de travail, remplir dix pages par jour. au moins, beaucoup et vite. une machine à écrire, des pots de gouache.

tu comprends ? nous on louait l’étage au-dessus, un jeu de glaces, trois rendez-vous à la fois. chou, j’ai mes règles, minet, je peux prendre une soupe ? poulette, tu veux un enfant ?

je m’en sortirai, la baraka, mais c’est long. en plus, je vais me planter à cause de la deuxième langue, je serai pas employé de bureau, peindre, peindre. avoir du temps, lire. lire tout. une année de cours d’art dramatique, ça marchera peut-être ?

déculottage moral, chouette physique, tu piges ? si je pouvais comprendre. oui. non. oui et non. bon. pas bon. qui respire bien… sûr que l’on peut comprendre, suffit de trouver la bonne méthode, pas trop de ceci, pas trop de cela. à voir. plus ça parle tout seul, meilleur c’est.

elle est malade. je vais vous raconter une histoire. oscar avant. les paroles qu’il prononçait ne pouvaient être que celle d’un voleur de haches. attitudes, comportements. très inopinément, en remuant la terre. trucs ! trucs ? trucs.

alarme ! il arrive, il est arrivé, qui ? le fantasmagorant, le coupe-ficelles, le croque-vivants. on se nettoie les ongles en public ? oui, mon colon. le désossé. ça continue comme ça. je l’apprends.

hier soir, je leur en ai mis plein la tronche, marcel et son «leur morale n’est pas la nôtre», plaisantin ! leur morale est la nôtre, eux la diffusent, nous l’utilisons. j’étais épatant. il paraît que des fois j’exagère, c’est parce qu’ils ne saisissent pas. tout au même niveau, incroyable ce que je suis rapide, la principale faiblesse d’un mec en douze secondes, la gueule, grande, mais je l’ai. c’est bon de briller comme ça. les autres, quels gags ? c’est vague.

ces derniers temps, je n’ai pratiquement fait que lire, lire et encore lire.

ils s’emmerdent autant que nous. c’est leur seule excuse, bossaert, son chocolat, une école, un stade de football, vos cahiers sont gratuits, ce n’est pas une raison pour ne pas les soigner, gris bâtiments gris. élèves maussades, cours mornes, mixte pour rien. du moins pour moi. roger nous montre ses capotes. je ne me sens pas dans le coup. à l’internat, abdhul était le seul à ne pas se branler, il m’avait prêté, sans rire, sa petite brochure catho. litanie de maladies. il avait l’air convaincu. roger a la même tête lorsqu’il ouvre son porte-feuille. sur nicole, je ne les ai jamais affranchis, ils me feraient tourner en bourrique, ils sont sûrs que je vais me faire jeter, on ne s’intéresse pas. des brutes. le preux roland, en haut d’un arbre, tremblant de peur, bombarde les sarrazins des derniers morceaux de son armure, un dix. il est sensible à la farce.

l’argent, s’il le faut, je travaillerai.

que la migraine ne revienne pas. tant d’aspirines, ko. la sinusite. saith our god.

aux orteils bleus, cet orteil bleu. il est fou. évoquer l’orteil, ça me repose. stockhausen aussi repose, gagner à la loterie, me tirer, ne m’a-t-il pas semblé ouïr une vulgarité dans mon langage ? ça me fait les pieds, me déshabiller, fait chaud ici. avant y en avaient qui… ça y est. «yves, on ne dit pas y en avaient qui, on dit : certains faisaient ou d’autres choses du même genre». n’engueulez pas la patronne, le patron s’en charge. tu parles.

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à la mer, l’institutrice, le ciné, les seins, puis je la guettais, j’y croyais dur comme fer. les vieux, qu’est-ce qu’ils y ont vu ? j’étais tout le temps assis par terre à côté d’elle, je la couvais des yeux. brocardent-ils là-dessus ? lui, avec tous ses proverbes et ses plaisanteries sales quand il est saoul, quand il était malade : «je n’ai plus de lait», sacrément coquet.

tout pourrait être le contraire.

l’arménien, la gêne éternelle, «prends, tu t’achèteras une glace à l’entracte», elle fait passer par ses mains l’argent qu’elle me donne, «papa voulait t’acheter une guitare à fréjus mais à cause de ta conduite, je n’ai pas voulu». me suppose-t-elle amnésique ? reconnaître que sous son air absent, il a toujours été correct, il doit se dire: «c’est pas mes oignons».

l’anémie coupe le souffle.

«ne marche pas sur moi, ne me fait pas chialer, ne me fous pas la déprime», le moindre cafard, un disque, je braille, ça passe.

vieux docte. «voyons yves ne dit pas chouette mais c’est bien». réflexions sur mon maintien, elle me crispe. 1884, seurat expose «les baigneurs». 1885, seurat adopte le pointillisme. 1886, naissance de permeke. je peux pas encaisser seurat. j’aime bien permeke. 1887, naissance de chagall. 1888, seurat expose aux indépendants les «poseuses» et la «parade». 1889, «la tour eiffel». je peux pas encaisser les poseuses et la tour eiffel. 1890, mort le 21 juillet de vincent van gogh. il aurait peint un orteil bleu, lui.

l’épate, des blagues tout ça. tu sors, tu tournes le coin, t’es déjà oublié. comme le vieux qui passe sur ses principes quand ça l’arrange, n’empêche qu’il ne pourra jamais blairer ma paresse, il a déjà tenté quarante-deux offensives contre la lecture, pour lui, ne rien faire, pour lui, pour eux. alors le hamac… c’est bien d’eux ça. ils prennent tout ou, kif-kif, ne donnent rien. et quand on essaie de récupérer un minimum, ça grogne, tourner autour d’un orteil me plaît. qu’est-ce qu’on saisit de la peinture à ton âge ? tu peux lire sartre, tu n’y comprendras quand même rien. je m’en fous… eux tous… la nausée. ça me botte, dans le mur, tout n’est pas transparent mais ça s’appelle le mur. petits cons. les crabes des séquestrés, sont ennuyeux à la fin. ils m’en veulent, assez !

écrire. être ce que l’on est. intime jouissance. moi-même. obligatoirement contre tous ? intuition claire, l’indépendance, ailleurs, aucune importance. demain nicole. qu’ai-je fait à part les poses, le couillon et m’enfoncer dans des rêveries amollissantes ? raconter et encore raconté. plus d’amis d’avant, aucun maintenant. et alors ? on est des aigles, toutes les femmes sont devant moi. je serai serein, je vivrai sous ma loi. j’aurai un programme, le suivre… les mains dans les poches, futile, rejeté, triste et inutile, beau ! le mec tout d’une pièce. baigner en soi. j’agis rarement, je préfère bouffonner. aide-toi et… affranchi du travail corporel, exigeant peu. accommodant, acceptant les bassesses inhérentes à cette condition, si je me tire que regretterais-je ? rien. des espoirs fous. au bout de trente ans de bourlingue, froidement effronté.

son mot de recommandation dans le veston, il vint me voir. il me trouva vaniteux et stupide et ne chercha plus à me rencontrer… je plonge, je la sauve. le père est mis au courant, un chèque… ça y est. ça me reprend, ça me reprend.

conformation particulière qui distingue l’homme de la femme en leur assignant un rôle déterminé dans la génération et en leur conférant certains caractères distinctifs. voir aussi monoïque.

ne pas se perdre.

aux douches, après le foot, on était tous tout nu, voir à enlever la crasse de partout des fois qu’elle se logerait là où elle peut pas. alors comme on était tout nu, j’ai. sensationnel, un peu aplatis, des petits poils follets bondissants dans tous les sens. charmant,
j’écrirai.

cesse de te conduire en pitre ! ça ne va pas. ça ne va pas. ça ne va plus. que fais-tu là-bas ? je compte les secondes. ils ont causé de moi. ils me laisseront passer. exaspérés. s’exaspérer, le dire. le dire. le crier, et si rien à dire ? ce n’est pas une excuse, le raconter, en inventer d’autres, parler, parler, jusqu’à plus soif, plus boire, les fasciner, ou au moins les séduire, le dire. se presser en liquide, apprendre le saxophone, que cela devienne sons. que ça sorte, coule, éclabousse, ce cocasse «aimez-moi», le contourner, l’offrir, être classique, les déporter massivement vers le sud. si tout était inondé qui s’en apercevrait ? l’indigène ? d’ailleurs tout est inondé, c’est injuste, ils n’ont pas fauté, et alors ? de quoi ! hein ? de quoi ! tout étranger de passage est menacé, le prix de leurs choses, une anecdote, étoffe vert canard, son chapeau, le type énorme, sourd, s’assied dessus, je mime. il se lève. rire général, en commun, l’accent excepté, vulgaire et matérialiste, agressif avec le reste, pas grand-chose, un prix. soustraire ce qui peut s’emprunter, dans la même collection,
ils me voudront comme guerrier, peu difficile à prédire, ni pour l’esprit ni pour l’adresse, que feront-ils de l’effronté ? m’enseigneront-ils la rancune ? l’insolent, très lâche, de toute façon, je n’obéirai plus. j’ai déjà donné, de là à être téméraire… déserter ? casser un fil. déconnecté, assez résigné pour plaire. leurs coutumes me tueront-elles ?

existence populaire et brillante, aucun chien, des portraits de philosophes. je m’intéresse à tout. littératures, styles, histoire, politique, religions, arts. sauf celui d’exister, aujourd’hui illisible, et que je veux ! connaissance immédiate. j’aurai le temps de suer sur le reste. ne m’attire que ce que nous avons fait. le désir de transparence, des causes. le noble héros ne fera qu’une bouchée du vil scélérat.

orteils. ça me rend gai. évolution. l’espèce meut ses grands orteils. les ancêtres ont raison. ils font les monts et les merveilles dans leur bonne vieille époque, ils font les cons. les doigts de pied avancent, hésitent, ça m’étonne. tout m’étonne, ma volonté ne pourra pas s’user, tout la relancera, pour le moment, je ne fais que sentir, je comprends sans pouvoir démontrer, je n’explique pas. répondre, oui. analyser, non. pas un centime de passif, je garderai mon recul, ne pas se laisser cannibaliser par le rôle. ils boulevardisent le monde, irréel, les détails ou l’ensemble ? je m’en tape. ma sagesse ira grandissant. libre, libre, libre, se regarder en ses œuvres, tout aura du goût. je ne céderai jamais au sentimental, les baiser toutes, armé de franchise, qu’ils m’oublient. nous serons deux à faire des sauts de puce. rester dans les villes. peindre, la peindre nue.

plein de taches. dormir le jour. être de nuit.

pas de plaintes, ça ne se justifie pas. c’est comme la colère, on s’y met. plutôt la douleur que le malheur, ne pas les rouler pour autant. s’apparaître devrait suffire, cache-cache et comblement, être ahuri. sortir des facilités, ne pas ressasser. de l’avant ! ne pas demander, attendre, sortir du plan sur plan. exécution ! mollo avec les exploits, ne pas lire sans cesse, écouter, me contrôler. débauche d’insultes, en sortir, être précis, ne pas toujours briller aux dépends des autres, repenser la gifle de mon homonyme, fils de médecin colonial. être modeste, un blâme à inscrire, toute la bigoterie à détourner, vérifier. fuir les vieux, ils ne se la sont pas coulée douce. ne pas me bercer dans des crises de masochisme, me construire une morale, l’enfreindre, oublier d’où je viens, juste un soutien platonique à la réduction horaire, cesser de rêver éveillé, ça me laisse débile, ne pas désirer brigitte bardot, être sincère avec ses amis. en avoir. être divers, multiple, contrôler la moquerie, ne jamais abdiquer sur l’essentiel, n’être très hypocrite qu’avec les femmes maternelles, les femmes… je les préfère cent fois aux hommes, j’en ai tant vu. s’armer contre la déprime, ne jamais regretter l’acte, en tout, il y a du bon. c’est pas pour tout de suite, aller jusqu’au bout du spleen, avant de devenir adulte, exploiter toutes les autres possibilités, ne pas parler pendant huit jours, tout effleurer, ne jamais être satisfait de soi. rester simple, comme tout le monde, ne pas se montrer exceptionnel, à chaque jour le boulot personnel du jour. pas de faux-fuyants vaseux, être attentif, trop poli pour être honnête, baisser la tête. pleurer. un moment, mieux rire. visibilité nulle, abus dangereux, l’idée de l’idée, ni bon ni mauvais sens. ça doit être normal, se perdre dans la musique. soigné. danse rituelle, équilibrer le déséquilibré, ne détruire qu’à contrecœur, partager sortir des nœuds, spéculer, beaucoup, rendre la corde lisse. possibles. ne pas laisser voir où je suis. bouger, changer le son. degré d’inclinaison, ne donner que les couplets, rien du refrain, éviter la litanie au profit d’invocation variées.

ses romans historiques, elle en est encore au feuilleton, ce qui est valable ne se raconte plus. ou juste un voyage autour d’une cafetière, les mots font des mots. réfléchir sur ce comment, pas trop. laisser venir, s’exercer à décrire. tout sur partition, exister, au bout des nerfs, s’abandonner dans le peu. médiocre épargne, se dépenser, ne se cacher aucune motivation, tout rendre limpide, aimer même les blondes, ne jamais sacrifier à l’intimité, seul. tout miser sur la patience, ne pas retourner au ventre, aller, et droit, vers la terre ! sortir de la caricature, haïr leur aigreur, contempler jusqu’à ce que ça parle. tout enregistrer, noter de quoi remplir, toutes les tribus, être inlassable.

j ai chaud, je suis fiévreux, je vais devoir manger, puis me branler devant la télé. la prochaine, je lui demande, elle me montrera sûrement, de toute façon, ça ne peut aller que vers le mieux. la nuit est bonne, mauvaise pour les asthmatiques, la nuit est hachée pour les bronchiteux. nuit gluante du catarrheux. ils manquent d’air ? quinte de toux, poitrine déchirée, quinte de toux. la goutte au bout du nez. les mouchoirs humides, le papier journal même. le matin, cils croûteux. ils étouffent. oppressés, le moindre effort, fin de souffle, les haltères au volley achevé avant de commencer, l’important, aller-retour, voiture, monique on s’entend, au tyrol, elle m’a défendu, pyjama ridicule, des centaines de kilomètres de pelotage. les seins de marion. la même goulache pendant quinze jours. 1’inviter a une représentation, mieux que l’arménien, il était gris pendant le michaux. après la proclamation, il m’a susurré, moqueur: «tu rames, tu rames ?» pas chaud pour l’exhibition, tandis que monique me supporte, jeunesses musicales, ça coule encore, j’en ai partout, poison, bouche ouverte ne pas me fixer là-dessus, pas les tempes ! pas les tempes, pitié, si possible ce que je peux brailler, deux notes, j’accompagne, je fonce, comme avec les profs, faut que je crie ce qui me tourne dans la tête. en général, ils se lassent je les roule. avec les corbeaux, j’arrêtais pas de blasphémer, immoralement systématique, faut que ça passe ou que ça casse, aucune préciosité, le vieux et ses dissertations édifiantes est un curé à l’envers.

ils ont tout essayé, me banaliser, manger le gras du jambon, que tout le monde ait sa chance, tous les mêmes, section de cuivre, qu’as-tu que tu aies reçu ? ça donne le cuir épais, des réserves d’insouciance, prendre un maximum au passage, admettre leur sens de la communauté, insincère, moi ? d’abord sortir de la présente captivité, pour ça : l’objectif, me cacher de la routine sauvage menu quotidien, brusque, brusque, les mâchoires, s’exposer dans des endroits moins couverts, ni sermons ni conseils, éventuellement le raconter après, aller pisser, le soir tombe, tartine et thermos, elle a ajouté ça sur une nouvelle, pourquoi ? elle me trouve vulgaire ? griffonner me sort de moi. je me mouche, qu’est ce qu’elle veut avec son thermos ? j’insiste trop sur moi ? faudra que je l’interroge, même si elle rit. insister, elle s’impose peu. j’ai blotti la tête sous sa robe. je ne voulais pas du tout me blottir, je voulais voir. je n’ai rien vu. en scène, je déclame, en face, trou noir.

sa jupe se trouvait remontée jusqu’à la taille et mahmoud, sans souci de la résistance qui lui était opposée, essayait de faire glisser le slip de soie blanche qui représentait le dernier bastion…

écrire beaucoup, sans harmonie, en le devenant, sage. objet, hors de moi. je me réciterai, lui enlever sa culotte, mets un pied sur le tabouret, tourne ! penche-toi ! non… faut pas rêver, après plus envie, la faire asseoir… non !
ça se répète, tam-tam de mon sang. là-bas, ils sont en rébellion.

parler, leur montrer, briller, tenir un raisonnement de part en part. je le fais souvent, pas assez loin. m’instruire, bizarre d’être le premier étonné par ce que l’on raconte, comme si comprendre et ne pas comprendre en même temps, je pourrais me faire tuer pour une idée. parfois. ils m’ont formé à la viril, le reconnaître, je dois sortir de l’imaginaire, c’est ma fatigue, il m’épuise, me ronge, ne vaut pas le coup.

il se passera sans cesse des choses, tellement de choses, et les voyages ! insouciance, ils m’espèrent ambassadeur, et quoi encore ? roi, pendant qu’ils y sont. pour eux, c’est école-école, nous y sommes encore tous. notre dernière année obligatoire, chiné, moins salissant, nous ressemblons-nous ? bled humide, sombre, me tape sur les sinus, je prends conscience, reprends ? être correct.

raffiner le subtil.

je pars. je m’embarque trop intensément, n’importe quel bouquin, film pour m’endormir, tout imprimé, comique, je suis contrariant, elle le répète à tout venant, ce n’est pas vrai. elle voudrait que je dise oui, oui à toutes ses conneries. ça c’est vrai. enfin, pour ce qu’on s’aperçoit, pas de quoi en faire un drame.

né athée , chanceux, question de volonté, sentir ce qui est nécessaire, ne plus la voir serait déjà un grand bonheur, rester intuitif, je ne bricolerai jamais, jusqu’à présent, je n’ai pas pu être moi-même, me dégrossir, cesser de me curer le nez.

toute cette violence, à quoi l’employer ? on ne chahute même plus. les redoublants. renvoyé au moins six fois. les examens arrachés à leur charité. l’année prochaine, on ira quasi tous bosser, quelle équipe, deux, trois, encore et de la curiosité, on s’essaye par la bande, je finirai en autodidacte fou. pour ça, elle est impeccable, elle me laisse lire ce que je veux. tout. sauf les livres enfermés dans le bas de l’armoire du salon, elle a dit aux vieux: «ou il comprend et il est mûr pour le lire ou il ne comprend pas et ça ne peut pas lui faire de tort», ça a dû écœurer le vieux, il m’avait confisqué suétone à cause des empereurs pédés. que sont nos grands hommes devenus ? pour eux, on ne fait qu’exprès.

rien ne bouge.

si je ne suis pas intelligent, je suis au moins malin, qui sait où cela m’amènera ? loin, j’espère, je m’égare déjà. je vois trop peu. dix ans qu’ils vivent ensemble, dix ans qu’il lui offre des marguerites, dix ans qu’elle le remercie affectueusement, vingt ans qu’elle a ces fleurs de pauvres en horreur, et c’est elle qui me brise les papillotes avec le caractère, il faut en avoir, l’essentiel d’après elle. trop facile, je n’en aurai pas. pas de colère froide, pas de mœurs, pas de rires gras.

jusqu’à présent tout s’est répété contre moi. maintenant, cela va-t-il se répéter pour moi ? des tôles, je n’en connais plus un seul. sont en maison de correction, au bord du travail, ivres morts, chacun sa route, révolté hystérique ? que tout le monde s’entende bien. le héros de quoi ? en masse, par la parole.

formidable, criai-je, que c’est amusant !

il se mit à lui caresser la nuque, puis son autre main glissa sur ses formes généreuses, elle ne bougeait pas. il l’embrassa dans le cou, derrière l’oreille, sans cesser de lui parler. il remarqua soudain qu’elle retenait son souffle, puis sa main atteignit son genou soyeux, remonta sous le mince tissu de sa robe…

le cafard, y arriverai-je ? bien sûr ! question idiote, ça va de soi. et en chantant, tout va changer dans peu de temps, impossible que ça dure comme ça. je l’ai déjà pilé. tu l’as dit, bouffie ! marche ou crève, ne jamais se prendre au sérieux, je les aurai au rire. ça n’a jamais manqué, pas de raison pour que ça change, «t’auras pas de métier», ils me le serinent sans arrêt, et alors ? heureusement ! je ne veux pas m’encroûter comme eux. cinquante ans dans la même maison, en plus, ils défendent le patron, sont cirés.

petites mains, petits pieds, en balade, calme, jeans, paire de clarks, veste de daim, sac léger, quatre cinq gros bouquins et bonsoir la compagnie… pour ce qu’on fout dans la chocolaterie, c’est pas ça qui va me manquer, voir du pays. rencontrer des gens. des tas. des tas, des tas. dormir beaucoup, être la pierre qui roule, pencher, qu’elle reste droite si elle veut, qu’elle passe deux heures tous les matins à s’enchignonner, à se peindre, qu’elle arrête même de respirer en fonction de l’étiquette, je me laisserai aller pour deux, pour quatre. je me laverai une fois par mois. sur la route again. faut absolument que je me mette aux gammes, ça converse, sans craindre d’abîmer ses loques.

hurler quand nécessaire.

à la découverte de… animé par… présenté par… utilisation pratique d’une technique traditionnelle, on peut tout déformer et ne rien réformer. archiver sans queue ni tête. la force du non agir. être creux, passif, rempli. massé, se déborder sur les autres, faire circuler en prélevant un minimum au passage, se poser au coin d’une place, le soir tombe repris par un chœur interrogatif.

souple, bienveillant.

décrire, mesurer, colorier, utiliser la vue. généraliser, expérimenter. beurré sans boire, contre l’elliptique, l’œil trop superficiel, le plus superficiel des sens. volontairement rustre et ignorant, en face, on préjuge, elle dirait : «une fois de plus, tout à fait à côté de la question», choses charmantes, sans faille.

Précis (Roman), Nie, n°4, Lausanne, juin 1981.

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