« Happy end » de Marcel Schupbach. Marie-Luce Felber en parle…

Textes de Yves Tenret, Voir n°44 et 46, novembre 1987 & février 1988

MARCEL SCHUPBACH – ON THE ROAD AGAIN.

SEPT HEURES DU MATIN, BUFFET DE LA GARE, PREMIÈRE CLASSE. SCHUPBACH MURMURE. J’ÉCOUTE. AU-DELÀ DE SA FATIGUE, IL SEMBLE JOYEUX. IL EST REMARQUABLEMENT BIEN CALIBRÉ À SES ASPIRATIONS. JUGEZ-EN ! SON STYLE ? DOUX ET FERME EN MÊME TEMPS…

♦ Que représente ton nouveau film Happy end par rapport à tes films précédents ?

Avant, j’ai fait une série de films qui avaient une certaine unité, qui allaient vers quelque chose. L’allégement, mon premier long métrage, est l’aboutissement d’une démarche assez rigoureuse au niveau de la forme et de l’exploration d’un paysage. Tous mes films se situaient dans une région pas très grande, autour de la vallée de la Brévine et du Jura neuchâtelois. Une fois L’allégement terminé, je n’entrevoyais pas la possibilité de poursuivre puisque, pour moi, c’était un aboutissement. C’est clair que pour les spectateurs, c’était le début de quelque chose puisqu’ils ne connaissaient évidemment pas mes courts métrages. J’ai accompagné L’allégement dans les salles pendant six mois. C’est la première occasion que j’avais de rencontrer un public normal. Ça m’a changé. Intérieurement et extérieurement. J’ai eu envie de parler autrement des choses.

♦ Un peintre me disait qu’ici les peintres se noient dans le blanc.

Rétrospectivement, la critique que je me fais par rapport à L’allégement, c’est de n’avoir pas tenu suffisamment compte des comédiens en tant qu’individus, de les avoir intégrés à un système formel assez rigide qui ne leur permettait pas de s’exprimer, qui les restreignait dans leurs mouvements, leurs déplacements. Je regrette ça. Il aurait été meilleur si les comédiens avaient pu être plus à fleur du film. Happy end essaie de prendre le contre-pied de L’allégement, tout en le poursuivant au niveau de la thématique. Au niveau de la forme, il y a un changement assez violent, je pense. J’ai mis l’accent principalement sur les acteurs. J’ai voulu faire un film avec et pour deux comédiens d’abord

♦ Carlo Brandt et Marie-Luce Felber ?

Voilà. Autant L’allégement était préparé, story-boardé, autant, ici, j’ai voulu me laisser libre. On a toujours répété l’action avec les comédiens et ensuite, fait la mise en scène. Elle se résume très souvent à sui¬vre les acteurs avec une caméra portée.

♦ Avant d’en arriver à l’improvisation, la rigueur ne fut-elle pas nécessaire ?

Je pense que pour improviser, il fallait une base, une certaine sérénité, peut-être pour se permettre de ne plus être sûr. Tu vois ce que je veux dire ?

♦ Tout à fait.

Entre L’allégement et ce film-là, j’ai travaillé un peu à la télévision. J’ai fait des reportages pour Temps présent, Tell quel. Ça m’a appris un certain nombre de choses. Il y a du positif à prendre là-dedans. Et puis, tu tournes. Ce que je trouve ici le plus difficile, c’est, qu’en fait, les cinéastes ne tournent pas. On est cinéaste, puis on fait un film tous les quatre ou cinq ans. Quand tu fais un film, ça a une telle importance, pour toi bien sûr, pour le public c’est autre chose, que tu serres les boulons.

♦ Par moment, ça tourne à la constipation.

Complètement. Je crois qu’on peut dire ça.

♦ Chaque film, ici, est un quitte ou double ?

Oui, là, on a tout risqué plus un petit quelque chose. Tout, parce que c’est normal. On risque tout, à chaque fois. Mon idée était aussi de tourner le film dans l’ordre pour pouvoir intervenir sur l’histoire, en cours de tournage. Ça a été finalement possible dans une mesure moindre parce qu’on n’a pas pu tourner dans l’ordre, à cause des dates pour les comédiens. Autrement, le projet, c’était ça : voyager avec une équipe réduite.

♦ Un road movie.

Non, c’était absolument pas ça. C’est pas parce qu’il y a du voyage qu’on peut appeler ça un road movie. C’est une histoire entre deux personnes. Il se trouve qu’elles voyagent mais le film n’est pas du tout le compte rendu de ce voyage. C’est le compte rendu de leurs rapports.

♦ Il y a une cassure, un départ, un voyage. C’est le classique…

Mais dans tous les films, c’est comme ça ! C’est vrai ! Il y a une situation de départ qui se modifie, un personnage qui change. En général, s’il n’y a jamais personne qui change, tu t’emmerdes au cinéma. C’est mon point de vue. Il faut que tu t’attaches à un personnage qui, à un certain point de sa vie, change. Autrement…

♦ Les improvisations de Happy end étaient-elles gratifiantes ?

Oui. Oui. Je crois. J’ai eu des angoisses terribles aussi. Je pense que les satisfactions, ça vient maintenant quand on recompose l’ensemble et que je me rends compte que les trajectoires sont relativement justes, que la relation entre les deux personnages sera le point intéressant du film. Ça ne sera pas la forme. C’est ce que j’avais envie qui ressorte. Je pense que c’est aussi ce qui peut toucher les sens plus que le cadrage ou la qualité du son. Avant, je me réfugiais un peu dans la technique, peut-être. Maintenant, on a laissé aller les choses au niveau de la forme volontairement pour que surgissent des trucs peut-être plus justes, ou plus vécus, qui provoquent des émotions simplement.

♦ Pour toi, c’était angoissant ?

Oui parce qu’il faut accepter que le film t’échappe un petit peu. Tu es le réalisateur, l’auteur, et tu le laisses t’échapper. Bien sûr qu’il faut le contrôler mais il faut aussi savoir le laisser t’échapper, je crois. C’est ça qui est angoissant. Mais on fait des films pour les montrer à des gens, pour communiquer, n’est-ce pas aussi laisser échapper des choses ?

♦ C’est une expérience qu’il faut vivre avant de la maîtriser ?

Bien sûr. La dimension du tournage, de la vie pendant ce temps, de l’évolution du rapport entre les gens, ça a joué un rôle important. L’idée aussi de ce film, c’était de le faire à très bon marché. Et avec très peu de personnes. On était sept ou huit sur le tournage. On a tourné en cinq semaines et demie, voyage compris, alors qu’on allait quand même jusqu’au bout de l’Angleterre et retour. C’est peu de tournage, donc on tournait très vite, avec très peu de gens et très peu de moyens. Ça, je pense aujourd’hui que c’était un plus pour le film.

♦ Tu as écrit ton scénario avec Gallaz et Zufferey ?

L’idée de départ du film, c’était de ne pas l’écrire. Ce qui était le risque absolu, si tu veux. J’ai écrit un synopsis de cinq pages. Je ne voulais pas me retrouver dans la situation où je me suis retrouvé plusieurs fois. Tu rencontres toujours des gens très gentils et très agréables qui te disent : «Eh bien, écrivez-moi un scénario». Moi, je disais : « Non, le scénario, ce n’est pas le projet du film. Le projet, c’est un film très bon marché avec très peu de gens, tel acteur et tel acteur, sur cette idée-là. Vous plaît-elle ou pas ?» La TV romande était la première à dire oui. Jean-Luc Metzker a dit : «Oui, cette idée me plaît sur ce projet-là». Ce scénario était très ouvert, stimulant. C’est pour ça qu’il y a eu cette réunion de gens. A partir de là, je me suis mis à développer un synopsis un peu plus important parce que c’était il y a une année et parce que, quand le temps passe, tu ne peux pas rester sur un synopsis de cinq pages. Il aurait fallu le tourner tout de suite, et nous n’en avions pas les moyens. Si tu ne tournes pas, il te vient le besoin d’écrire plus. J’ai développé un deuxième synopsis et, pour ça, j’avais toujours pensé que j’avais besoin d’apports extérieurs. Je ne voulais pas me retrouver dans la situation du cinéaste-auteur qui crée son œuvre. Pour ce film-là, je trouvais absurde. Il fallait être ouvert à un autre univers ou, en tout cas, être mis en question. Alors, j’ai écrit avec Christophe Gallaz, une quinzaine de pages. Et puis, cela terminé, je me suis dit qu’il fallait trouver, pour passer à l’étape du scénario, quelqu’un qui soit encore plus différent de moi que Gallaz l’était. C’est pour ça que j’ai pensé à Zufferey. L’histoire, comme lui l’avait rédigée, avait quelque chose de littéraire. Elle était rapide, vive. Elle avait un ton que moi, je n’aurais pas trouvé tout seul.

♦ Gallaz, c’est la synthèse des dépressifs locaux ?

Ça, c’est un peu le cliché.

♦ N’est-ce pas lui qui véhicule ce cliché dans ses chroniques ?

C’est quelqu’un qui réfléchit sur la psychologie, sur les relations entre les gens. Son regard m’a été très utile mais plutôt en tant qu’interlocuteur et c’est d’ailleurs comme ça qu’il figurera au générique. Zufferey a rédigé le scénario d’un trait, en quinze jours. Ensuite, on l’a repris avec Gallaz. J’avais envie d’y mettre plus de vérité profonde. Quand tu verras le film, tu verras qu’avec les comédiens on a fait le même travail. On a eu quinze jours de préparation avant le tournage. On a parlé des personnages, de leurs relations. Le film véhicule plus de choses intérieures aux personnes que le scénario mais sans que ça devienne des explications scénaristiques. Il y avait enfermement dans l’expérimental, dans le quotidiennisme, dans la rigueur, mais aussi dans la densité. Sortir de cet enfermement passe par la superficialité. Mais aussi, de l’air ! Et du plaisir.

♦ Et l’altérité ! Faire confiance aux autres…

Oui. C’est une ouverture. J’espère que cela le sera aussi pour le public. Il y a des choses beaucoup plus légères et il ne faut pas en avoir honte. Ça provoque du plaisir. Si on n’a pas de plaisir à faire les choses, ça ne vaut pas la peine de les faire. Il y a du risque et du plaisir. C’est assez stimulant. Ça veut pas dire que je vais faire quinze films comme ça. Moi, je veux faire des films très différents les uns des autres. Chaque film doit être une expérience différente, doit te changer un peu.

♦ Dans ces films des années 70, on a été jusqu’à réduire les gens à n’être que des formes.

Oui. Oui, oui.

♦ Avec une dictature de la technique.

J’ai eu des conflits assez durs là-dessus. A cause de ce que tu appelles la dictature de la technique. C’est vrai que donner la priorité aux comédiens sur un film, c’est pas la donner à la technique. Tu ne peux pas concilier les deux. Ce que dit Berta, aujourd’hui, après dix ans de travail en France, c’est : « Il faut suivre les acteurs. Si on remarque mon travail, c’est qu’il est raté. » Il a quand même passé ici une dizaine d’années à faire le contraire. Il a beaucoup apporté sur un certain point et, d’un autre côté, il a aussi contribué à figer un certain nombre de choses. En fait, je pense qu’il ne pouvait que partir. Ici, il ne pouvait que répéter ce qu’il avait toujours fait parce qu’il ne trouvait pas d’interlocuteurs suffisamment forts pour casser son travail. En France, visiblement il les a trouvés. Ça l’a changé, je crois. Mais ici, ses successeurs essayent de continuer son travail.

♦ L’amour du travail bien fait !

Horrible! Les artisans besogneux.

♦ Sur L’allégement, comment ont été tes rapports avec l’écrivain Jean-Pierre Monnier ?

Ça c’est très bien passé. J’ai eu envie de faire le scénario d’après un bouquin. J’ai pris contact avec lui. Il m’a dit : «Ah bon ! Ça m’intéresse beaucoup mais je vous laisse totalement libre parce que moi, j’ai fait mon travail. Mon livre est écrit. Vous êtes un lecteur de plus. Simplement, vous, vous allez, le lire en faisant un film». Lui, il avait un rapport très sain à ce qu’il avait fait. Il n’a jamais été là pour me dire ce qu’il fallait interpréter de son bouquin. Je lui ai envoyé le scénario pour qu’il se rende compte un peu de ce qu’on allait faire et il m’a laissé très libre. Et après, ayant vu le film, il était très heureux. Il trouvait que c’était différent au niveau de ce qui se passait, au niveau de l’anecdote. Plus de la moitié des scènes du film ne figurent pas dans son livre. Mais au niveau du sentiment, de l’ambiance, du climat, c’était, je crois, très proche. Les spectateurs qui avaient lu le bouquin, après avoir vu le film, avaient de la peine à imaginer que certaines scènes du film n’étaient pas dans le bouquin. C’est un mélange qui se faisait. C’était très sain comme rapport. Très souvent les écrivains cherchent à s’impliquer dans le scénario et, en fait, c’est deux langages totalement différents. Je crois qu’ils sont plutôt là pour préserver les choses typiquement anecdotiques que pour aider à dépasser ça et en faire un film. Ils sont un peu trop crispés sur leur œuvre.

♦ Le scénariste, soit il s’investit et il ressent toute transformation comme une blessure narcissique, soit il ne s’investit pas et son travail n’est pas bon. C’est une position difficile.

Oui, c’est un métier difficile. Il faut être très très humble et ne pas avoir envie de se mettre en avant. C’est quand même se mettre au service de l’univers d’un autre et ça demande beaucoup d’abnégation.

♦ Comment vois-tu l’actuel cinéma suisse ?

Je trouve qu’on ne tourne pas assez.

♦ Tu n’es pas le seul à penser ça.

Ouais, mais différemment. Je trouve que les projets sont tous bétonnés. On trouve des sujets, on les écrit, on les coince entre les pages d’un scénario, on cherche un casting, des stars à Paris. Puis, quand le film se tourne, on s’aperçoit que ce n’est jamais elles, toujours des autres qu’on a dû choisir au dernier moment. Tout le monde cherche à faire des films avec un budget de 900000 francs. Surtout des premiers films. Et puis bon, il y a deux ou trois expériences différentes. C’est pour ça que Une flamme dans mon cœur de Tanner est de celles-là. Indépendamment du résultat du film dont je ne veux pas parler, je trouve que Tanner a risqué quelque chose en plus. Il l’a fait vite, a essayé de travailler autrement, de se remettre en question. C’est bien. Il y a peu de cinéastes ici qui osent faire ça. C’est dommage. Ça lui a apporté beaucoup de choses. Finalement, il s’aperçoit qu’en faisant un film avec le quart de ce qu’il utilise d’habitude comme argent, il fait plus d’entrées. C’est curieux. Il vaut mieux faire un film très bon marché que rêver d’en faire un plus cher et ne jamais pouvoir le réaliser. Le dernier film suisse que j’ai trouvé sublime, c’est le Murer, L’âme-sœur. Il y en a un tous les dix ans comme ça. C’est normal. Si on avait une production de cent cinquante films par année, je pense qu’il y en aurait plus.

♦ C’est un film cher.

Assez, oui. Et qui n’est pas en son direct. Ce que j’ai trouvé magnifique, c’est que, partant de notre petit régionalisme qu’on critique très souvent, qu’on juge étroit, il arrive à le sublimer complètement, à en faire quelque chose d’universel. C’est très très fort ça. Souvent on croit qu’il faut aller ailleurs pour parler aux autres et ce n’est pas forcément juste.

♦ Murer ne récrimine plus du tout. Ça lui donne de la force. Penses-tu que la situation de la production, en Suisse, puisse se débloquer ?

Je ne suis pas très optimiste. Dans le sens où il n’y a pas d’industrie du cinéma ici, on est forcément perdant vis-à-vis des autres pays avec lesquels on peut coproduire. Il y a desaccords avec la France. Il y en aura avec la Belgique et avec le Canada. Ça peut nous aider. Dès que tu fais un film à plus d’un million, tu ne peux le faire uniquement avec la Suisse donc tu te mets à travailler avec l’industrie. Ça implique un certain nombre de choses qui ne sont pas forcément agréables, forcément à notre avantage. On se trouve en déséquilibre à ce moment-là. Tu trouves l’équili¬bre financier mais… On a un territoire trop petit, trois langues nationales et il est impensable de rentabiliser un film sur ce territoire. Ce qui fait qu’il ne peut pas y avoir d’industrie du cinéma en Suisse et qu’on est totalement dépendant de l’étranger si on veut faire un film qui ait une certaine audience. On n’en sort pas.

♦ Y a-t-il une génération de la relève ?

Je ne crois plus, non. J’y ai cru un temps. Tout ça est bien mélangé.

♦ As-tu le sentiment d’appartenir à la même génération qu’Amiguet ?

Oui. On a fait nos débuts ensemble, on a le même âge. Mais entre deux, il y a des gens comme Yersin, Reusser. Après, il y en a d’autres comme Rodde, Menoud. Pour l’instant, nous sommes tous un peu au même point. Aucun de ceux-là n’a fait une carrière de cinéaste. On a tous fait un film ou deux. Et puis, on essaie d’en refaire d’autres.

♦ La première génération a bloqué le jeu en occupant tout le terrain. Le gâteau n’était pas assez grand.

Oui, c’est ça. Et c’est normal qu’il ne soit pas plus grand, tu vois. Finalement, si tu fais un calcul en comparant le nombre de Suisses au nombre de longs métrages qui se tournent par année et que tu compares avec la France, tu t’aperçois qu’on n’est pas en reste.

♦ Il faudrait comparer les produits nationaux bruts par tête d’habitant. Cela donnerait une spiritualité au centimètre carré de billets de banque assez pauvre en imagination, en invention…

Peut-être.

♦ L’argent est là ! Comment y accéder ?

On y accédera en faisant des produits qui se vendent. Tu ne peux pas demander non plus de faire des films qui coûtent très cher et ne pas faire d’entrées.

Jean-Luc Metzker se lance dans la production.

ANCIEN COLLABORATEUR DE LA MAISON DE DISTRIBUTION ET DE PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE CACTUS FILMS, JEAN-LUC METZKER A CRÉÉ TOUT RÉCEMMENT. CHALLENGER FILMS PRODUCTION TOUT EN POURSUIVANT UNE ACTIVITÉ DE DISTRIBUTEUR. ÂGÉ DE 32 ANS, METZKER PRODUIT AUJOURD’HUI SON PREMIER FILM : HAPPY END DE MARCEL SCHUPBACH.

L’itinéraire professionnel.

J’ai débuté en entrant dans la Société Cactus Films, deux mois après sa création, il y a huit ans. Ils cherchaient en Suisse romande quelqu’un qui soit assez proche des milieux cinéphiles plutôt que professionnels. Eux, c’était des gens qui venaient de Filmkollektiv Zurich qui avaient fait un travail militant dans le cinéma et qui, tout d’un coup, en passant dans l’aspect business de la branche, cherchaient à s’attacher des gens qui défendaient un peu les mêmes idées. On a démarré en 1979 avec la sortie des Petites Fugues qui a permis de mettre la boîte sur les rails puisque c’est le deuxième plus grand succès du cinéma suisse. Et puis, la boîte s’est passablement bien développée dans trois aspects de la branche, la distribution, qui était l’option de départ, la production et, pour la première fois en Suisse, la création d’un département de vente à l’étranger. Ça a été assez dur à monter. Ça a permis aux six de base de Cactus d’apprendre sur le tas à une vitesse monstrueuse. Vraiment, on faisait tout à l’époque. L’itinéraire s’est accéléré à coups de succès : la sortie du Troupeau, l’entrée en coproduction pour L’ennemie, la production de Yol, palme d’or à Cannes. En six mois, on s’est retrouvé à dix-sept à bosser pour la même boîte. Tout d’un coup, c’était devenu l’horreur. On a très mal managé ce problème d’explosion démographique au sein de la boîte. L’année suivante, on a pratiquement rien fait, à part s’engueuler. Et puis, ça a été
l’explosion du noyau fondateur. Il y avait déjà eu deux départs avant Yol de gens qui n’étaient plus du tout d’accord sur les options qui étaient de rentrer complètement dans le circuit normal d’exploitation, de continuer à défendre du cinéma différent mais au sein même du business. J’ai quitté mon poste de responsable de la distribution en 1984 puis j’ai créé Challenger et, tout récemment, Challenger Films Production. Pendant un peu plus de deux ans, je n’ai fait que de la distribution. Nous n’avons pas distribué Les faiseurs de Suisses qui a fait plus d’un million d’entrées en Suisse. Avant Cactus, j’ai fondé le Ciné-Club du collège de l’Elysée, à Lausanne, à l’âge de treize ans. Je ne me suis pas occupé du Ciné-Club du Gymnase parce qu’il était entre les mains des profs. C’était difficile de faire de la prise de pouvoir à ce moment-là. Après, j’ai repris le Ciné-Club universitaire avec Cosandey, de 1974 à 1978. On était devenus tellement élitaires que, la dernière année, je crois qu’on a dû faire dix-huit spectateurs de moyenne. On a subi un peu les conséquences de l’installation de la cinémathèque à Montbenon. En 1976 déjà, il y a eu l’annonce qu’un crédit était à disposition pour le déménagement de la Cinémathèque. Le Ciné-Club se tenait à Béthusy, en alternance avec les films de la Cinémathèque, un vendredi sur deux. En 1976, Buache nous a fait un coup de Jarnac. Comme il devait prendre le rythme qui allait devenir une programmation de trois séances par jour, comme à l’heure actuelle, nous sommes allés le voir pour organiser nos projections, il nous a dit : «Je prends tous les vendredis». Ça nous a obligés à tourner à travers les aulas de la ville. Mais le public n’a pas suivi. Et on est arrivé à enterrer le Ciné-Club universitaire. Depuis, il n’existe plus. Il est mort entre mes mains. Cosandey est devenu historien du cinéma. Il est prof de français à Vevey. 40 ans de Locarno, c’est lui. Et il attend il y ait une place qui se libère à la Cinémathèque.

Challenge distribution.

Le premier film marquant que nous ayons distribué est : Les favoris de la lune, prix du jury à Venise. Le coup le plus cher et qui correspond le mieux à la définition de ce que j’aimerais faire, c’est Ran. Et puis, très vite, j’ai été confronté à des problèmes qu’on n’avait pas au sein de Cactus où l’on travaillait pratiquement pour la seule beauté du geste. Là, très très vite, je me suis retrouvé avec des frais généraux importants, donc dans l’obligation d’acheter également, en distribution, des films qui, de mon point de vue de cinéphile, ne sont pas complètement défendables mais qui relèvent de la survie d’une boîte de ce genre. J’ai toujours essayé quand même de rester dans un certain créneau de qualité. Par exemple, je défends très très bien Les fugitifs. Moi, je pense que Weber est l’un des meilleurs scénaristes qui existent, même s’il fait dans un certain genre et que ce trio, Depardieu-Richard Weber, fonctionne un peu trop bien. Les meilleures rentrées, chose étonnante, c’est deux plus petits films : L’effrontée de Miller et Thérèse de Cavalier. Ces titres donnent une idée de la ligne que j’ai commencé à prendre. Dès que tu commences à prendre des risques en achetant des films assez cher, tu es obligé d’avoir un peu de continuité avec les producteurs. C’est le seul moyen que tu as de recevoir l’ascenseur en retour si tu te pètes la gueule avec l’un ou l’autre de leurs films. Si tu grappilles dans la cinématographie mondiale, tu as peu de chance de retomber sur le même producteur. Et puis, quand tu prends un bon bouillon, tu peux le passer définitivement à pertes et profits. Alors que si tu as un peu de continuité, il y a matière à discussion en tout cas. Exemple: je suis en discussion avec le producteur de Charlotte for ever, qui est la plus belle baffe que j’ai prise depuis que je fais de la distribution, pour un véritable renvoi d’ascenseur dans le cas précis. Ça donne le cadre. On apprend à connaître ces gens ce qui veut dire que, au bout d’un moment, étant basé en Suisse romande, connaissant mieux le marché romand que le marché suisse allemand, insensiblement, même si je suis en train d’essayer de tirer la barre dans l’autre sens, j’ai acheté beaucoup de cinéma français. Du bon et du moins bon mais, à part ces six derniers mois où il n’y avait rien dans le cinéma français, à l’exception peut-être du Grand chemin, il n’y a pas ou très peu de bons films, qualitativement et commercialement parlant. J’ai sorti deux films, Le voyage de Noémie de Rodde et Jour et nuit de Menoud, qui n’ont pas très bien marché. Le cinéma suisse, en dehors des noms établis, a passablement de peine à sortir de l’ornière. Et je ne pense pas que Schupbach soit un nom établi, donc je ne fonde pas d’immenses espoirs sur le nombre d’entrées de Happy end.

Happy end.

La part que j’ai apportée à la production est beaucoup plus qu’une avance à la distribution. C’est, sans aucune vantardise, la volonté de faire ce film-là et la certitude qu’il fallait le faire comme on l’a fait, avec tous les risques que cela impliquait. L’investissement financier de Challenger représente 55% du budget du film. C’est de la vraie production qui compte sur des remontées avec des ventes pour payer le film. Schupbach est pour moi un excellent cinéaste. Il a eu une thématique jusqu’à L’allégement, qui n’est pas vraiment la mienne même si on a travaillé ensemble. Au temps de Cactus, j’ai sorti son film L’ermite en avant-programme et je me suis occupé de la distribution de L’allégement mais ce n’était pas des films que j’aurais eu envie de produire, bien que Marcel soit un très bon réalisateur. Il savait très bien que j’avais envie de passer le cap de la production. Un jour, il est venu avec trois pages d’une histoire complètement actuelle, exactement à l’opposé de qui il est. Il parlait de gens qui vivent la nuit, qui font des choses assez folles alors que lui c’est plutôt un calme, un réfléchi, qui aime la vie de famille et le tilleul-menthe avant d’aller se coucher. Le fait qu’il y ait ce contraste, ces trois pages, ça m’a excité. Je trouvais le pari intéressant. Le pari allait plus loin puisque c’est un film qui devait être fait pratiquement au cours d’un voyage. Au départ, c’était ça. Il fallait partir avec trois techniciens, une caméra à l’épaule, deux comédiens, et puis tourner, dans l’ordre, comme les choses arrivaient, capter ce qu’on pouvait rencontrer. En raison de problèmes liés à la disponibilité des acteurs, le film n’a pas pu être tourné dans la période voulue. On a décidé qu’on le ferait quand même mais un tout petit peu différemment. Moins dans l’urgence mais en essayant de garder la spontanéité de base. Alors là, il a fallu se battre contre le Schupbach qui se réveillait, le protestant neuchâtelois qui avait tendance à vouloir reprendre dans sa direction passablement des aspects qui faisaient que le film était intéressant pour moi. Il a fallu, au moment de la phase d’écriture du scénario – on ne l’a commencé qu’à ce moment-là puisqu’au départ on voulait travailler sans – faire un petit bras de fer. De manière gentille, tout ça. Ça n’a jamais été le coup de gueule du producteur face à son réalisateur, en exigeant: «je veux ça plutôt que ça». Mais pour rester dans la ligne des trois pages de départ… Alors, d’abord, il a travaillé avec Gallaz qui est un même que lui. Très, très vite, je lui ai proposé que Gallaz ne reste que comme interlocuteur puisqu’il voulait quelqu’un ayant un petit peu son système de pensée. Mais je voulais quelqu’un de complètement différent, avec beaucoup d’humour, même s’il était un peu lourd parce que ça allait se compenser, pour l’écriture du scénario. On a fait appel à Zufferey qui l’a fait très rapidement en respectant bien la trame de base. J’ai été présent tout au long du tournage. On est quand même resté dans l’idée de base mais on avait une trame un peu plus bétonnée. On avait fait des repérages très précis et on savait où on allait pendant le voyage. Il faut voir qu’un risque tel que celui que j’ai pris là est possible uniquement parce que le film est relativement bon marché, de l’ordre de 250000 balles, et que je sais comment je vais les récupérer. Depuis le départ, il y a des contacts avec les télévisions, il y a des gens qui attendent le film, qui ont pris des engagements mais qui ne voulaient pas rentrer avec de l’argent en coproduction, ce qui fait que je ne suis pas parti sans cacahuètes. C’est pas simple, la production, ici. J’ai des projets mais je ne veux pas en parler pour l’instant parce qu’il y a des choses sur lesquelles il faut acquérir des droits. L’idée, elle va dans deux sens. Continuer à aider un ou deux premiers films comme ça. Et de l’autre, essayer de faire, dans ce pays, de véritables projets de producteur, de mettre en place une structure où des films vont exister, avec une idée de base que le producteur amène, que de véritables scénaristes vont développer et où on n’aura plus un auteur mais un réalisateur, vraiment. Pas repousser le système jusqu’au système américain, avec le final eut du producteur et du distributeur. En Europe, à partir du moment où tu engages un réalisateur, il devient l’auteur de son film. Tu ne peux pas lui imposer le système américain. Mais il faut essayer de voir s’il est possible de produire des choses comme ça, ici aussi. Je pense qu’il y a des projets de producteurs, ou d’excellentes idées de scénaristes qui doivent pouvoir être développés. On ne manque pas de très bons réalisateurs dans ce pays mais on manque passablement d’idées, à mon avis.

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La passion au pays du bon sens

APRÈS SCHUPBACH, LE CINÉASTE SAGE QUI RÊVE D’AVENTURE. METZKER, LE PRODUCTEUR AMBITIEUX QUI RÊVE D’ART. VOICI FELBER, L’ACTRICE. FILMER ET DIRIGER, PRODUIRE, JOUER : TROIS PERSPECTIVES ET TROIS INFLUENCES SUR UNE MÊME ŒUVRE. TROIS AMBITIONS ET DES NÉGOCIATIONS. AIMER ET CONSTRUIRE UN RÔLE EST UNE CHOSE. JUGER UN FILM EN EST UNE AUTRE. CHAQUE POINT DE VUE SE FONDE DANS L’EXPÉRIENCE. MARIE-LUCE FELBER, HÉROÏNE DE HAPPY END, ÉVOQUE ICI POUR NOUS LES AVENTURES DE LA PASSION AU PAYS DU BON SENS.

• Tu as trente et un ans, tu es neuchâteloise et tu as tourné pour Godard, de Rivaz, Menoud, Ceccaroli, Soutter, Tanner, Reusser et Schupbach.

Partons de Happy end. Ce film a appris à Marcel à rencontrer les comédiens. Il y avait donc un problème de direction d’acteurs. C’est évident. Avec Carlo, on s’est prêté à ça. On était là pour l’épauler, pour le servir peut-être… pour une expérience ultérieure. Ensuite de ça, dans la direction d’acteurs, il y a différentes phases. Il y a un texte qui est écrit, des dialogues. Là, en l’occurrence, je trouve que les dialogues étaient très pauvres souvent, mal écrits, maladroitement parce qu’il y avait de la part du scénariste un manque d’expérience cinématographique. Idéalement, on aurait dû improviser. Ce qui s’est passé en fait, c’est qu’on avait un texte écrit, Marcel y tenait. On a pu changer, alléger. Il y avait des tartines de texte qui expliquaient ce qu’on faisait alors qu’il suffisait de le montrer. Là-dessus, on a pu intervenir dans la pratique. Dire : «C’est trop long, ça va prendre trop de temps ». On a pu raccourcir. Moi, je ne suis pas écrivain… Je ne peux intervenir que s’il y a des choses que je ne peux vraiment pas dire. Et d’autre part on n’avait pas le temps. On voulait faire ce film, on l’a fait, on a été trop vite. L’improvisation, c’était heure par heure. On improvisait et à partir de là, lui, il plaçait sa caméra mais on réutilisait le texte quand même. La vitesse n’a pas du tout été un avantage parce qu’on manquait de distance. Tout le monde manquait de distance, les comédiens et le réalisateur. On ne se rendait même plus compte si c’était bon ou pas bon. Il y avait une telle pression… On s’est vu cinq à six jours entiers avant le film. On a pris le scénario, on l’a lu, on s’est raconté comment étaient les per¬sonnages, comment on allait les habiller mais en fin de compte on n’a pas travaillé directement les scènes. On s’est plutôt parlé. C’était une manière d’être déjà dans le bain plutôt.

• Carlo Brand, malgré qu’il soit bien en beauf, n’est-il pas trop placide ?

C’est vrai qu’il a une force un peu carrée et qu’avec quelqu’un de plus limite, on aurait peut-être mieux décelé la folie. De plus dépressif… plus dans la maniaquerie, qui tient à sa valise, qui prend des bains. Avec quelqu’un de plus friable peut-être qu’on aurait mieux compris la fin. A mon avis, il manque une scène à la fin, entre les deux personnages, beaucoup plus claire, moins sur la tension, beaucoup plus froide et beau-coup qu’ils sont et ce qu’ils veulent. Il y a un maillon qui manque. Un affrontement, mais lucide, qui fasse sentir que l’autre bascule.

• J’apprécie la démarche nouvelle de Schupbach. Mais pendant le film j’avais un malaise…

C’est naïf ! Finalement, je me suis rendu compte que les cinéastes suisses sont très excités de travailler avec les comédiens. Pourquoi ? Parce que les comédiens sont exactement le contraire d’eux. Je l’ai vu à travers les discussions que j’ai eues aux tournages et en dehors. Savoir comment je suis… quelle vie je mène… si je vais dans les boîtes, si je fume, si je prends de la coke. Tous ils m’ont demandé comment je vivais. Tous ! C’est ça qui me frappe chez les Suisse, c’est que ce sont effectivement, quelque part, des gens coincés. Et c’est ça que je ne comprends pas. Pourquoi ces gens ont tellement besoin de s’exprimer, de faire de l’art. Pour moi, l’art c’est des gens qui sont extravertis, qui doivent en faire, des gens qui sont fous, qui ont au moins quelque chose d’extraordinaire à raconter. Le cinéma s’appelle le septième art et des fois on oublie l’art.

• C’est vrai que souvent, malgré une immense bonne volonté, on sort souvent d’un film suisse en se demandant : «Pourquoi a-t-il fait cela ?»

C’est des gens qui n’ont pas de folie. C’est très difficile. Ils ne te donnent rien. Et c’est quand même eux qui font les images, eux qui font le montage et l’histoire. Pour moi, ce sont des choses qui me fâchent aussi. Au départ, quand ils te racontent le projet, c’est le rêve et ceci et cela. Puis tu te retrouves face à un scénario, à une réalité qui n’est absolument pas géniale. C’est de nouveau très construit, chiant. Moi, j’ai envie de délirer. Si on donne, je donne tout. La violence, c’est bon si tu la maîtrises.

• Etait-ce différent avec Besson ?

C’était le contraire. Là, ça donne vraiment ce que veut Besson. Pour le comédien, c’est une contrainte qui est presque similaire à la non-direction. Il faut savoir travailler avec Besson. C’est pas évident. Comment se gérer aussi seul ? C’est difficile parce qu’il est très autoritaire. Lui, c’est un passionné. Il raconte l’histoire ! C’est bien.

• Godard raconte aussi l’histoire ?

Différemment. Il y a sa folie à lui. Au moins, on est pris par sa folie. Il est dictatorial mais c’est soutenable parce qu’on est dans du Godard très vite. Il est capable de beaucoup travailler avec les comédiens. C’est très fort et à la limite, on improvise. J’ai un très bon souvenir de Sauve qui peut la Vie. C’était complètement délirant. Quand j’ai commencé, je ne connaissais pas Godard, j’avais 23 ans et puis il est arrivé, m’a donné deux-trois feuillets écrits au crayon et m’a dit : « Voilà ! On tourne dans une heure». Tu te retrouves en face de lui puis tu tournes… On y va, quoi !

• Et avec Ceccaroli ?

Elle, elle est étonnante parce qu’elle est très proche des comédiens, elle les regarde beaucoup, elle les aime beaucoup. Elle a une approche sensuelle des comédiens. Et c’est ça qui m’intéresse dans mon rapport avec les cinéastes. C’est quand même la séduction. L’un en face de l’autre, l’un ET l’autre. Si je ne me sens pas aimée, par exemple, je ne peux pas travailler. Je me sens mal. Et j’ai besoin d’aimer aussi la personne en face. Eva, j’ai beaucoup aimé. Je me sens mieux avec les gens qui ont un côté plus latin.

• Reusser ?

Lui, il est bien, oui. Il est bien comme directeur d’acteurs. J’ai trouvé bien les scènes que j’ai faites dans La Loi sauvage. Je l’ai trouvé très ouvert. Beaucoup plus que d’autres fois. Très attentif. J’ai envie de voir ce que ça va donner. Avant, il était très amer, complètement nombriliste mais là, il était très ouvert.

• Tanner ?

Tanner, c’est quelqu’un d’adorable. Je l’aime énormément. C’est un peu le père. Il est confortable, gros nounours. Il n’est pas linéaire dans son travail, ce n’est pas constant, parfois très attentif, parfois plus décontracté. No man’s land, c’était un film où on avait le temps. Presque trop.

• Tu tournes surtout en Suisse ?

Ces temps, je tourne avec un jeune cinéaste français qui s’appelle Gilles Lekvern. Et j’ai eu l’impression, surtout au niveau du scénario, de me retrouver dans la même ambiance que dans les films suisses. C’est une histoire de partir, de copains qui se retrouvent.

• Les hommes de quarante ans manquent d’imagination ?

Il y a quelque chose – et pourtant je les aime beaucoup – qui ne s’est pas bien passé du côté des hommes de quarante ans. Ils n’ont pas d’histoire. Ils ont voulu chasser les tabous, avoir la liberté, la liberté tant sexuelle que sociale et ils n’ont pas passé le pas. Souvent, je l’ai vu avec des gens que j’adore, intelligents, écrivains, scénaristes, tout ça. Ça coince. Alors, ils cherchent l’événement. Il y a encore ce mot : oser. Soit on fait les choses, soit on ne les fait pas. Par envie, pas par transgression. Alors, il faut oser parler de la sexualité mais ça devient maladroit parce que la sexualité en soi ce n’est pas intéressant. C’est l’érotisme ou la sensualité qui sont intéressants. Ils ont des nostalgies. On veut montrer des choses mais on ne va jamais au bout.

• Qu’est-ce qui t’a le plus gratifiée professionnellement ?

Un Tchékhov avec Jean-Louis Martinelli. J’avais un rôle sublime et j’adore Tchékhov. Il y avait un texte, un personnage, une pièce, et Martinelli est un magnifique directeur d’acteurs. On a bien travaillé. C’était superbe, magnifique. Et Happy end parce que c’est intéressant d’avoir un rôle complet. J’ai montré deux-trois facettes, deux-trois choses que je n’ai pas forcément montrées dans les autres films. Il y a quand même de très belles scènes. Ce qui ne joue pas au niveau du texte dans Happy end, c’est lorsqu’on doit dire une chose importante pour l’histoire, lorsqu’on doit faire avancer le schmilblick. Là, l’écriture est importante. On est maladroit parce que le texte est lourd donc vide. Si on dit quelque chose mais qu’il n’y a rien dans son contenu qui fasse qu’on avance, pas d’informations intéressantes, ça devient creux. Moi, je veux bien habiter les textes, bien sûr mais… Je reviens à la scène avec Voïta. C’est une scène pilier du film. Je dois raconter qui je suis, ce que je fais. Mais quand tu lis le texte, c’est d’une telle pauvreté qu’à la limite, ça ne vaut pas la peine de le dire. J’étais toute seule, comme une folle, à essayer de trouver une possibilité de le dire, ce texte. Conclusion : c’est pas bon. A part ça, je ne veux pas non plus mettre tout sur le dos des autres. Il faut aussi que j’assume mon travail. Je ne dis pas que je suis parfaite.

• Tu as soulevé une question de fond. Ce pays a-t-il besoin d’art ?

Il y a des gens passionnés quand même. Il ne faut pas généraliser. Mais je pense que souvent les gens qui font du cinéma ne sont pas forcément de cette catégorie-là. Je pense qu’il y a des jeunes cinéastes passionnés qui vont venir, comme Pierre Maillard ou Othenin-Girard. Ils font du cinéma parce qu’ils ont envie de faire du cinéma. Ce ne sont pas des intellectuels qui ont trouvé ce moyen-là pour s’affirmer. Poisons m’a plu. Pierre Maillard a raconté une histoire comme un conte et il y a des personnages. Là, il y a une direction d’acteurs. J’ai beaucoup aimé. Les personnages sont forts, sont justes.

• As-tu travaillé à Paris ?

Non, pas vraiment. En fait, ça fait deux ans et demi que j’habite Paris. Il s’est trouvé que j’ai fait les deux saisons avec Martinelli. J’ai pas fait de démarches. J’en fais, si tu veux, quand j’ai des choses à présenter. Quand je joue dans une pièce, j’envoie des cartons soit à des cinéastes, soit à des metteurs en scène. Comme ça, ils ont quelque chose à voir. Je trouve ridicule de faire du porte à porte.

• Quelle est ta formation ?

Oh, pas grand-chose. J’ai été vidée de toutes les écoles. J’ai appris sur le tas. J’ai très vite travaillé avec Claude Stratz mais à l’époque on était marginaux ! Stratz qui est devenu la coqueluche ! On n’avait pas de fric, on squattait des apparts pour répéter, on squattait pour vivre.

• Y a-t-il des gens passionnés à Genève ?

Très peu je trouve.

• Tu as travaillé avec Ecoffey sur le No man’s land de Tanner ?

Oui. C’est un copain à moi. Je voyais beaucoup Tanner à l’époque. Et il cherchait, Jean, ce personnage. Je les ai mis en contact. On a besoin de vivre. On ne peut pas voir tout le temps les mêmes gens, les mêmes bistrots. Les gens qui s’en sortent s’en vont. Je ne dis pas qu’il faille venir à Paris mais il faut voir d’autres gens. Je ne vais pas rester tou¬jours à Paris. J’avais besoin de partir de Genève. Entre Suisses personne ne s’aime parce que c’est suisse. Alors, c’est le cercle vicieux. Il manque un peu de respect. Surtout de la part des producteurs pour les comédiens. Dans les contacts que j’ai eus avec les producteurs suisses, j’ai souvent été sous-estimée. Je n’étais pas accueillie. En plus, pour eux, c’était une faveur qu’ils me faisaient. Ils disent : «Tu as de la chance ».

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Tout le Gentil Garçon

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