Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles

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Dossier de presse du livre d'Yves Tenret, mars 2015

21 février 2015 – L’écritoire des muses.

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles. 
Yves Tenret 
Noire/La Différence 
Éditions de la différence (mars 2015)

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

Mars 2015 : les Éditions de la Différence, maison d’éditions connue et reconnue, originale, ouverte à tous les talents, innove une fois de plus avec, cette fois, une nouvelle collection, « Noire/La Différence », donnant ainsi naissance à ses premiers polars. Le roman policier s’installe parmi des œuvres artistiques, romanesques, poétiques, des essais… d’artistes français et étrangers, souvent novateurs, singuliers comme Tom Lanoye, Jean Peyrol… Un nouveau genre, un nouveau style sont proposés aux lecteurs. Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles appartient à ces nouveautés.

Dans Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, Yves Tenret promène le lecteur dans le XIIIe arrondissement de Paris, la Butte-aux-Cailles, nom correspondant très bien à un titre de polar. Le personnage principal, Walter Milkonian, professeur au « lycée Louis de Cazenave, place Rungis », qui arrivait régulièrement ivre en cours, est « mis d’office à la retraite » par son directeur. « Devenu ignoble », ayant passé « quasiment six mois sans dessouler », il est aussi congédié par sa compagne, mère de ses enfants. Il se réfugie donc chez César, « un arnaqueur professionnel ». C’est alors que brusquement des questions se posent à lui suite à la mort d’un certain nombre de ses amis (« Et oui, en six mois, non seulement Walter avait perdu son emploi, son logement et vu sa vie affective jetée au rebut, il avait en plus perdu quatre de ses plus vieux potes, tous nettement plus jeunes que lui. Shit ! Il flippait à mort ») et à un massacre dans un salon de massage du quartier : « six personnes ont été assassinées dans un salon de massage ». Le trait d’union entre tous ces morts est César toujours présent sur les lieux des tragédies. Qui est donc réellement César ? Que manigance-t-il ?

Tous les ingrédients du roman policier « traditionnel » pimentent l’ouvrage d’Yves Tenret : la violence, les crimes, (« Il y a eu du rififi au salon de la Fleur de Prunier. Ça a saigné. Les bourres ont trouvé au moins une demi-douzaine de corps (…) »), le suspens, le racisme généralisateur, incapable de différencier, entre autres, entre Machrek et Maghreb, (« Libanais, marocain, tunisien, algérien, c’est du pareil au même. Ils parlent la même langue et ils s’entendent comme larrons en foire ».), le sexe et bien sûr un lexique familier, populaire. Mais une pincée supplémentaire d’originalité inscrit l’ouvrage dans la nouveauté.

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles se situe à la limite de la parodie du roman policier avec sa chute qui interpelle le lecteur, (« Bordel de Dieu, ça allait être terriblement difficile de lui vendre cette histoire, à elle, aux autres, à vous et à n’importe qui, non ? »), son enquêteur atypique, imparfait, un sinistre alcoolique, loin du fin limier infaillible traditionnel. Par moment Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles devient même un roman épique avec des amplifications humoristiques, des descriptions hyperboliques. En outre, ce n’est plus la recherche du suspect qui intéresse, c’est désormais d’arriver à comprendre ce qui se passe dans les salons de massage chinois, le rôle joué par César dans tous les drames, les liens existant entre lui, les victimes, les truands, la police. Walter « désire comprendre dans quelle merde le Gros est allé se vautrer ».
Le roman trouve ses thèmes dans les problèmes sociaux, historiques (l’histoire de l’immigration chinoise), politiques, contemporains. Il fait référence à la canicule de 2003 et à « l’incroyable épidémie de décès » l’accompagnant, à la corruption, à la prostitution clandestine, à « la réussite économique de l’immigration asiatique »… Les personnages, des anti-héros grossiers, répugnants, ridicules, bien typés, usent d’un langage vulgaire. La destruction de leur syntaxe, la gravelure du lexique, concrétisent leur caractère marginal et souvent asocial. Yves Tenret raconte une histoire contemporaine et fait parler ses protagonistes en termes réalistes, crus. Les grossièretés glissées dans les dialogues signalent au lecteur qu’il est dans un polar, mais disent aussi le désir du narrateur de faire voler en l’éclat l’écriture classique, « littéraire » et d’inscrire son roman dans une époque qui se délite, se vide de ses valeurs, sombre dans la dépression : « les gens n’avaient plus envie de vivre ni la force de se défoncer aux antidépresseurs, et la mort était pour eux un soulagement ». L’écriture, comme la vie donnée à voir, ne fait pas rêver. Toutes deux se vivent comme une perte d’équilibre, une menace. Le lecteur déambule davantage dans la répulsion que dans l’attraction. L’évolution des personnages dans des lieux et des décors dégradés, putrides, (« … des lustres en forme de grotesque lampe de chevet diffusaient une lumière jaunasse, pisseuse, dégoulinante »), plonge le lecteur dans un monde médiocre, corrompu et entraîne une critique sociale caricaturale, relativement éloignée de la fiction documentaire. Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles est avant tout un ouvrage descriptif, ludique, l’aventure d’une écriture souvent fantasque.
En effet, Yves Tenret joue avec le langage, multiplie les énumérations, les répétitions dans d’amples phrases. Les objets s’accumulent dans l’appartement de César, victime semble-t-il du syndrome de Diogène, il « entassait dans tous les coins, des tubes de chips vides, des boîtes d’œufs vides, des pots de yaourt vides, des bouchons en plastique de toutes les tailles et de toutes les couleurs, cinquante sortes de papier d’emballage, des élastiques, des rouleaux de ficelle et mille autres saletés au statut indéterminé dont des boîtes vides de Remergon Sol’Tab et de Carbosylane, des boîtes vides de Lexotan 6 mg (….) ». Le narrateur use de phrases accumulatives créant un effet d’amplification que ce soit pour les décors, les portraits physiques ou moraux précis des personnages.
De surcroît, le mélange des niveaux de langue, des styles direct, indirect libre, le récit et le discours tricotant la langue des personnages et celle du narrateur appellent l’attention. Des expressions et termes familiers, argotiques, vulgaires (« tirer des coup en loucedé derrière le dos de sa touffe », « sucer la bite », « Noiches ») renvoient à des univers marginaux, équivoques, malfamés, créant une illusion de réel tout en permettant au lecteur de s’acoquiner au monde du milieu. Le langage parfois recherché, les clins d’œil culturels avec par exemple la référence implicite à Baudelaire et à Verlaine (« C’était la haine qui créait un lien entre ces loosers et ces saturniens englués dans leur spleen (…) »), à Frida Kahlo, procédés ironiques et humoristiques glissés dans le récit, mettent davantage en valeur la médiocrité des personnages et signalent le recul narratif de l’écrivain.
La forme quelque peu dévoyée du roman policier traditionnel s’inscrivant dans un soupçon de surenchère révèle avant tout l’aspect nouveau, humoristique et ludique de Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles

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26 février 2015 Le Vent sombre
Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles
1,5/5
Belgique (2015) – La Différence (2015)
Un ancien professeur à la dérive voit quatre de ses amis mourir brutalement. À chaque fois, celui chez qui il a trouvé refuge était présent ou en relation avec le mort. Et il est encore là lors d’un massacre dans un salon de massage du quartier.

Les éditions de La Différence s’invitent donc sur le segment – lucratif, encombré et finalement pas si facile que ça – du polar et du Noir. Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, l’un de leurs romans inauguraux possède un titre évoquant Léo Malet, une robe qui rappelle un peu celle habillant une réédition en cours de Ross Macdonald et la taille d’une longue nouvelle.
Nous sommes ici dans le roman d’atmosphère, celle d’un quartier de Paris qui, durant les années 1990, a perdu l’authenticité villageoise qui fut longtemps la sienne et que Tenret tente de retrouver chez quelques habitants, famille élargie du bistrot Les Barreaux où chacun se supporte, où chacun se déteste. Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles suit Walter, un enseignant en sortie de vie, chassé de l’Éducation nationale pour son alcoolisme, viré du domicile conjugal sans doute pour les mêmes raisons, et qui a échoué chez César.
Le Gros squatte une maison sur la Butte, qu’il remplit d’une accumulation d’objets inutiles en bon chifforton qu’il n’est pas. Chez cet ami de quarante ans qu’il ne connait pas si bien que cela, Walter peut continuer de se torcher le blair plus que de raison, enchaînant les cuites magistrales et les instants de lucidité où il prend conscience de sa dégringolade et de sa clochardisation et… remet au lendemain ses intentions de changer de vie. Dans l’un de ces moments, il se surprend à constater que quatre de ses amis les plus proches sont morts et qu’à chaque fois, César était dans le coin. Le Gros est-il un meurtrier ? A-t-il quelque chose à voir avec le massacre à La fleur de Prunier ? Que fait-il de ses journées d’ailleurs ?
Parodie d’enquête policière, Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles permet à l’auteur d’évoquer ce quartier bobo et son concubinage spatial avec l’aire asiatique voisine, celle du triangle de Choisy. De façon légère, Tenret revient sur la présence chinoise à Paris, le dynamisme de cette communauté, les obligations nées de l’exil, les salons de massage et les réseaux de prostitution.
Mais il brosse surtout le portrait des familiers des Barreaux, la Coréenne Park Yun – à la recherche d’un mari qui la respecterait et lui remettrait sans discuter son salaire –, le Commissaire qui apprécie tant les petites mains de ces masseuses (et plus si affinités), les Daniel propriétaires du rade et, évidemment Walter et César…
Si Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles est très bien écrit et éventuellement pittoresque, il se révèle sans grand intérêt à mes yeux de Parisien et sans réelle saveur pour satisfaire mes exigences d’amateur de noir et de polar.

Chronique Vision livre – 20 mars.

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles de Yves Tenret.

Citation :
« Walter, affalé sur son tabouret, vaseux des pastis et des bières de la veille, contemplait sans penser à rien le patron des Barreaux. Avec sa tête de vieille chouette insomniaque, Daniel était un sexagénaire passablement grand et pas trop lourd qui avait sans doute toujours gagné sa vie comme barman et cafetier. » – Chapitre 4, page 67.
Pourquoi avoir choisi cette citation ? Pour montrer la plume directe de l’auteur et faire un lien entre les deux personnages.

Je souhaite remercier encore une fois les éditions de La Différence. Autant pour leur confiance, que pour l’amour qu’ils ont pour les livres, mais surtout pour la gentillesse qu’ils ont envers leurs partenaires blogueurs. J’ai rarement vu des maisons d’éditions qui offrent le livre papier aux chroniqueurs alors qu’il n’a pas apprécié le livre qu’il a lu. Ils ont un respect hors du commun pour leurs partenaires, et pour ça je les salue et les remercie de tout mon cœur.
Pour ce livre, contrairement à celui cité au-dessus, je n’ai pas réussi à le terminer. Pour le coup, ce n’est pas du tout mon style. Je vais donc vous faire une chronique très rapide.

J’ai choisi ce livre parce que c’était un policier et que je voulais essayer de relire ce genre littéraire, mais aussi pour la couverture et le titre. Je les trouve est simples et très drôles. « Butte-aux-Cailles » est le nom d’une rue, sympa, non ? Bref, j’adore ! Malheureusement pour moi, je ne m’attendais pas du tout à ne pas accroché. En fait, c’est l’histoire qui m’a interdite. Je n’arrivais pas à entrer dedans ni à m’intéresser aux personnages. Et d’ailleurs, je n’ai pas réussi à savoir si Walter et Daniel sont une ou deux personnes, c’est frustrant. Tout ceci est dû à la plume de l’auteur. J’aime vraiment beaucoup son côté direct, perçant, osé, mais je trouve qu’il y en a beaucoup trop. Donc c’est deux points combinés ne m’ont pas attirés.
Cependant, si le livre ne m’a pas plu, je suis persuadée que nombre de lecteurs aimant le genre policier aimeront. Je pense que pour lire cet ouvrage, il faut vraiment être un adepte du genre. Et pour le coup, il faut aussi aimer la différence et le noir, car le livre est rempli d’humour noire.
Je ne peux pas dire grand chose de plus, ce serait déplacé de ma part vu que je n’ai lu que les cents premières pages et que j’ai lu les dernières en grandes diagonales. Mais surtout, ne passez pas votre chemin, lisez-le, car je reste persuadée d’avoir raté quelque chose. Alors dites-le moi si c’est le cas, n’hésitez pas. Qui sait, je le finirai peut-être un jour !

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COUP DE CHAUD A LA BUTTE-AUX-CAILLES YVES TENRET – Le 13 du mois, n°49, 13 avril 2015.

L’intrigue de ce polar du cru : « Il y avait quelque chose de pourri à la Butte-aux-Cailles. » Walter doit découvrir pourquoi quatre de ses amis ont clamsé l’un après l’autre dans des circonstances qu’il juge troubles. Quatre copains de comptoir, où Walter passe une sacrée partie de sa vie. Las, il picole, il picole. C’est pour ça que le lycée où il enseignait l’a fichu dehors, que Léa l’a fichu dehors aussi, et qu’il squatte chez Le Gros, ce personnage mystérieux : qu’est-ce qu’il traficote dans les salons de massage asiatiques ? C’est lui qui a zigouillé les potes à Walter ?
Polar du cru, un euphémisme. Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles ne donne pas simplement dans le local, mais carrément dans la géolocalisation. Rues, bars, escaliers ou bâtiments sont cités par dizaines, et on se balade comme ça, de coin que l’on connaît en coin que l’on se remémore. Ça peut être plaisant. Aucune information sur l’arrondissement ne nous échappera : son nombre d’habitants, sa superficie, son patrimoine architectural, la situation socioéconomique de ses habitants, l’histoire de son quartier asiatique… Ça saute aux yeux : le personnage principal, c’est lui, le 13e. Et tant pis pour Walter, Le Gros et les autres qui, pendant ce temps, se cuitent aux Barreaux, rue Barrault, leur comptoir préféré, laissant filer doucettement une histoire ficelée comme dans un cours d’écriture : là je plante le décor, là je décris les personnages, ah il est temps de dévoiler le mystère.
Ce style poussif n’empêche pas la tendresse : celle de ces bistrots du coin où des habitués un peu artistes, un peu abîmés et un peu angoissés de se retrouver seuls, s’engueulent mais s’aiment bien. Là-dessus, on imagine qu’Yves Tenret, l’écrivain, lui-même enseignant et évidemment habitant du 13e, en connaît un rayon. Avec un peu de chance, bientôt, il nous emmènera aux Barreaux et paiera sa tournée générale. C’est pas que ce petit livre nous a coûté cher – il nous a été envoyé par la maison d’édition -, mais il serait plus juste que le prix – tout de même 16 euros – comprenne un petit remontant. •

Virginie Tauzin

Hécatombe à Chinatown – L’Express, 25 mars 2015.

Les bières, il les connaît toutes, Walter Milkonian, de la Chouffe ardennaise à la Duval. Mais pas plus, pas moins que le bordeaux, le gin, le whisky… Voilà des lustres que ce Belge niché à la Butte-aux-Cailles ingurgite des litres d’alcool, et des mois que sa compagne, Léa, l’a chassé. Ce prof de dessin a aussi été viré de son école professionnelle de la place Rungis. Si l’on ajoute à cela la mort brutale de quatre de ses amis, l’on comprendra que Walter n’est pas au mieux de sa forme. Réfugié rue Buot chez son copain César, « un ectoparasite d’une tonne et demie », « roi de la combine pourrie », il partage son oisiveté entre les déambulations dans son XIIIe arrondissement de Paris et le zinc des Barreaux, l’un de ces rades où « loosers et saturniens englués dans leur spleen congénital et indécrottable » devisent à n’en plus finir sur tout et sur rien. En ce jour de canicule parisienne, un morceau de choix leur tombe dessus : un véritable carnage vient d’avoir lieu dans le salon de massage chinois d’en face. Et Walter de s’interroger sur la présence étrange de son ami César dans les parages… Bon, avouons-le, l’intrigue, ici, importe peu. Ce qui ravit le lecteur, c’est l’atmosphère. A coups de dialogues savoureux, l’écrivain et spécialiste d’art Yves Tenret (belge lui aussi) retranscrit à merveille ce petit peuple parisien anarcho-marginal et nous livre une radiographie édifiante du quartier, de la Butte à Chinatown. Pas sûr que le maire du XIIIe apprécie. •

Madeleine Payot

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, par Yves Tenret. Noire/ La Différence, 192 p., 16 €.

Yves Tenret : Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles (Éditions de la Différence, 2015)

Walter Milkonian connaît une fin de carrière précipitée dans l’Éducation Nationale. Ce prof était, depuis quelques temps, plus assidu dans les bistrots qu’à ses cours, il est vrai. Puis c’est son épouse Léa qui le vire de leur domicile. Walter trouve refuge auprès de son gros ami César, rue Buot, dans le quartier de la Butte-aux-Cailles. C’est une maison décrépite, auquel son copain apporte plus de désordre que de rangements. Il n’y a pas souvent de nourriture solide dans cette baraque. Heureusement que Walter fréquente des bars à l’entour pour lutter contre la soif. Car, en plus, la canicule sévit sur Paris. Par ailleurs, il y a de quoi s’interroger sur les décès de quatre de ses amis en six mois. Des morts suspectes, plus ou moins. Walter n’étant jamais vraiment à jeun, se souvenir d’eux est un prétexte supplémentaire pour s’alcooliser.
Sexagénaire, le gros César est un curieux personnage. C’est un combinard vivotant sans qu’on sache vraiment d’où viennent ses rentrées d’argent. Certes, Walter lui en donne de son côté en guise de participation aux frais. Mais ce n’est sûrement pas l’essentiel de ses revenus. César rend des services, voilà tout ce que l’on sait. Il faut dire que dans ce 13e arrondissement, où les Asiatiques sont extrêmement discrets sur leurs activités, bien des choses ne sont pas déclarées. Et on imagine que des caïds dirigent tout cela, en veillant à ne pas faire de vagues. Quasiment pas de criminalité, pourtant. Sauf ce jour-là où, dans un salon de massage, une demi-douzaine de morts violentes sont à déplorer. César était sur les lieux, il ne s’en cache pas, mais s’explique astucieusement à la télé.
Tout en étant un habitué du quartier, Walter s’aperçoit qu’il ne sait presque rien de tout ce qui se passe ici, dans Chinatown. Sa caractérielle amie coréenne Park Yun ne se sent guère proche des autres Asiatiques. Elle lui permet de rencontre Marc Palovski, sinologue averti, pas dupe de l’omerta régnant dans cette partie de la population parisienne. Car on y pratique une exploitation des femmes, qui n’a rien à envier à d’autres mafias. Ce réseau de huit salons de massage qui vient d’être mis à jour le démontre assez clairement. Selon Le Commissaire, ami de Walter, les hôtesses de ces salons ne se plaignaient pas de leur sort. Néanmoins, tout cela reste illégal, car il s’agit bien de proxénétisme. Walter découvre un trafic auquel participe César. Une piste concernant la mort de ses quatre amis ?…
Les Éditions de la Différence lancent une « collection noire » débutant sous de sympathiques auspices. En effet, ce suspense signé Yves Tenret s’avère fort agréable à lire. D’abord, parce que c’est l’occasion de vagabonder dans le quartier de la Butte-aux-Cailles. Entre la Place d’Italie et la rue de Tolbiac, subsiste encore une ambiance de quartier à l’ancienne, associé à la chanson “Le temps des cerises”, même si l’on nous avoue que c’est parfois un peu factice. Un secteur qui doit abriter son lot de marginaux, d’assoiffés perpétuels, de raconteurs de bobards, d’artistes inconnus, héritiers du populo d’autrefois.
La balade continue à travers le Chinatown du 13e arrondissement de Paris : “L’endroit, assez inouï dans son genre quelconque, le plus putride, le plus sordide, le plus morbide, le plus hallucinant, le plus délinquant des arrondissements de Paris en l’an 2000, est devenu aujourd’hui le plus chiant de toute la capitale” estime Walter. Derrière l’intrigue proprement dite, l’auteur s’intéresse donc à la communauté chinoise, et plus largement asiatique. On a du mal à croire que tous seraient parfaitement insérés dans la société française. S’ils font en quelque sorte profil bas, ça ne signifie peut-être pas qu’ils aient des choses à masquer. Pas la moindre délinquance, aucun petit ou gros racket ? Voilà une société trop parfaite en ce 21e siècle, lisse jusqu’à en devenir douteuse. Yves Tenret n’oublie pas l’aspect criminel de l’histoire, où le “pourquoi” importe davantage que le reste. Un polar fort attachant, à découvrir.
– Disponible dès le 12 mars 2015 –

Tenret la nuit, Frédéric SAENENLe Carnet et les Instants 26 mars 2015

Parce qu’il aura fallu attendre ses 56 ans pour que son nom apparaisse sur la couverture d’un roman, les mauvaises langues qualifieront le Bruxellois Yves Tenret de « tard venu » à la littérature. Disons plutôt que l’homme est arrivé à point, ainsi qu’une viande rouge qui, après cuisson longue, perlerait d’un savoureux exsudat. C’est que le travail d’écriture de Tenret, avant d’être fictionnel, était consacré à la création artistique. En témoignent de nombreux catalogues, monographies et essais. D’Ensor à Fontana, de Duchamp à André Raboud, de Bosch à Jacques Pajak, chacune de ses contributions au sujet apporte un coup de fusain supplémentaire au vaste Portrait de l’artiste en révolté qu’il esquisse avec patience, et passion et ce depuis les années 70.
Mais revenons à la littérature. Après nous avoir expliqué Comment j’ai tué la Troisième Internationale situationniste (2004), puis campé une imposante Maman (2007), le voici qui donne, fidèle aux Éditions de La Différence, un roman mariné au jus noir, dans la pure tradition anarcho-gouaillante. Un plat de cailles aux pruneaux, servies brûlantes. Attention aux petits os…
Le coin de Paris où est située l’histoire est souvent, et par bonheur, ignoré des guides touristiques. Serait-ce parce que, de zone de grande truanderie et d’insalubrité, il serait passé au statut d’arrondissement « le plus chiant de toute la capitale » ? « « Eh oui, cette sacrée bonne vieille catin de Butte-aux-Cailles, c’est un dédale de rues à l’atmosphère de village, de venelles pentues de pavillons, de jardinets microscopiques, de maisons à un étage, de douillets immeubles de rapport, de bicoques modestes, pas ou peu de circulation automobile, des bistrots ni morts ni vivants, le règne du silence, la torpeur des villes de province à l’heure de la sieste. Et surtout, en ce moment, un quartier qui se réhabilite enfin dans un admirable et rapide mouvement de recomposition sociale. »
C’est dans ce labyrinthe à dimension de vivarium qu’échoue Walter, qui vient de se faire larguer par sa Léa, et que la phraséologie retorse d’un responsable GRH a convaincu qu’il était grand temps de quitter l’enseignement. Ajoutez à cela un penchant pour la dive bouteille qui tourne à la « dipsomanie frénétique » et, en l’espace de six mois, des décès de potes en cascade… Vous disposerez des principaux éléments de la dramaturgie affective et sociale endurée par le protagoniste.
Pourtant, Walter n’est pas sans feu ni lieu. Il loge, rue Buot, dans une maison que ses vieux propriétaires, préférant la province, confient aux bons soins de César. César, un mètre quatre-vingts, les cent kilos de très loin dépassés, « le roi de la combine pourrie, le prince des voleurs, l’empereur du pas vu, pas pris, transformé en gardien assermenté d’une propriété privée ! Un antivol d’une tonne et demie ! » Imaginez une clone d’Ignatius J. Reilly qui, à défaut de hurler à la conjuration des imbéciles, disserterait sur le péril jaune. Fin connaisseur de la géopolitique et des ressorts de l’économie asiatique – jouer au voyeur dans certain salon de massage est, en la matière, une excellente école – il adorne ses théories du complot d’une verve déferlant au rythme des Huns sur la civilisation. Un rempart, César, inutile mais là.
Arrive le jour du massacre. Dans le bordel, oups, dans le « centre de relaxation pour tout le corps » sis en face du café Les Barreaux, où nos loosers d’élite ont leurs habitudes, la police trouve six corps alignés, chacun soigneusement abattu d’une balle entre leurs brides. Walter se pose des questions. Déjà que ses aminches s’effondrent les uns après les autres façon dominos, voilà qu’en plus son quartier de cœur devient insécure. Et le Gros, dans tout ça, n’aurait-il pas sa part de responsabilité ?
Dans ce roman, la langue est un personnage à part entière. Trop facile d’invoquer celle de Céline (ou alors, oui, celui des ultimes pages de Rigodon) comme comparant. Rameutons plutôt les dialogues d’Audiard, les délires de la faune inventoriée par Jean-Pierre Martinet ou le polar hexagonal des années 80 pour inscrire le styliste Tenret dans un courant. Quelques notes de Throbbing Gristle en fond, et voilà pour la partition de ce grand guignol qui s’achève comme débute une histoire de Coluche : « C’est l’histoire d’un mec… ».

Yves TENRET, Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, Paris, la Différence, coll. « Noire », 190 p., 16 €

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La chaîne du livre.

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles – Yves Tenret
Publié le 23 mars 2015

« Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles » est un roman policier écrit par Yves Tenret. Ce livre entre dans le cadre d’une nouvelle collection créée par les éditions de la Différence qui continuent à diversifier son offre auprès du lecteur.
Ce roman noir nous raconte l’histoire dissolue de Walter Milkonian, professeur mis à la retraite de force après de nombreux écarts de conduite : « Combien de fois êtes-vous venu ivre ce dernier semestre ? ». Partant de cet évènement là, toute sa vie va sombrer dans une douce déchéance où l’homme se laissera aller.
Chassé de chez lui, il va vivre chez son ami César, surnommé « le gros« . « Le gros« , c’est ce pote que l’on a tous, qui s’occupe de tout sauf de lui. Ce gamin, à qui malgré l’âge, il faut donner des leçons : « Là, fallait reconnaître que dans le genre faux problème et enfantillage sans intérêt, ces derniers temps, il était devenu champion olympique de la catégorie ! ». Walter a du mal à le supporter mais après tout, il lui a tendu la main alors qu’il était à la rue.
Le décor est ainsi planté. L’intrigue prend part autour de la disparition de 4 amis de Walter. Jusque-là, on pourrait se dire que le sort s’acharne mais que penser lorsque la coïncidence révèle que César se trouve toujours à proximité direct des victimes : « Il y avait quelque chose de pourri à la Butte-aux-Cailles ».
Partant de ce postulat, le protagoniste principal va mener sa petite enquête de quartier. En effet, l’auteur nous balade au gré des turpitudes du héros. Et par ce biais là, nous allons découvrir toute une galerie de personnages taillés à la serpe. L’intrigue se déroule dans le quartier du XIIIème arrondissement, celui de la Butte-aux-Cailles, un vrai village dans la région parisienne avec ses codes, ses mœurs et ses petites magouilles. Par sa plume, l’écrivain redonne vie à des endroits gravés dans notre inconscient collectif. La Butte-aux-Cailles est en réalité une bourgade où tout le monde se côtoie, se toise, s’épie et porte des jugements sur les autres. En lisant ce roman, je n’ai pu m’empêcher d’avoir à l’esprit des figures croqués par Bukowski. Certes, la comparaison est osée mais dans cette histoire, dans cette relation qu’ont les personnages semblant perdus entre eux, on retrouve des similitudes avec « Pulp ».
Pour décrire les hommes et les femmes, Yves Tenret utilise des accumulations et des énumérations : « Il y en avait deux au bar et deux dans la salle, elle, épaules crispées, long cou, cheveux noirs, épaisses lunettes, grosses boucles d’oreilles, chaîne en or, petites dents saines, pas de lèvres supérieure, bracelet en poil d’éléphant, pull noir modeste; lui, ni montre, ni bijoux, épaules larges, tombantes, système pileux abondant mais discipliné, sweat à capuche bon marché gris anthracite, pull vert algue, corps fin, souple ». L’effet peut-être déroutant mais au final il sert bien l’œuvre. Il permet de mettre en mot les pensées du héros, montrant la confusion dans laquelle il est. Balayant toutes les phrases, il va au plus direct : le mot juste. Au final, on obtient une galerie de personnages entiers, crus mais profondément humains. Le tout est saupoudré d’une gouaille caractéristique, avec un soupçon d’argot : « Daniel, sans barguigner, lui servit au comptoir le double express ». L’écrivain prend soin dans son livre de nous décrire l’homme dans sa réalité et non pas tel qu’il devrait être. Aucune place n’est laissée aux artifices. Il ne sert à rien d’aller contre sa volonté lorsque tout le monde vous épie.
Que recherche les acteurs de cette histoire ? Bousculés par les aléas de l’existence, ils s’accrochent chacun à quelques espoirs de vie meilleure : « Faut que vous arrêtiez de toujours revenir à des choses négatives. Cessez de parler des morts. Soyez positifs ! Il faut être positif dans la vie, gronda Park Yun, sans fixer personne en particulier. C’est étrange, pensa Walter, comme les gens qui disent et répètent qu’il faut être positif dégagent toujours une impression de forte tristesse ». On remarque qu’ils sont tous dans une posture d’attente et non de recherche. Leur chance est passée et le piège de ce village du XIIIème arrondissement semble s’être refermé sur eux. Difficile de s’en extirper… On se retrouve au village des déchus de la vie : « Tout le monde regardait, qui ses pieds, qui l’horizon lointain. Maintenant, Park Yun feignait de s’en foutre, mais Walter savait que ce n’était pas le cas. Il le savait parce qu’il savait ce qu’elle ressentait. Lui aussi, il était passé par là. Il savait ce que c’était de n’être rien, moins que rien, et de ne pas arriver à l’accepter. Il savait ce que c’était de crever la trouille lorsque quelqu’un vous flanquait par terre – pas parce que vous aviez fait quelque chose de mal ou que vous vous en étiez pris à lui mais seulement parce que vous étiez incapable de rendre les coups, parce que les autres avaient envie de vous voir ramper, de vous sauter, de vous baiser, de vous enculer, ou simplement parce qu’ils avaient mal au crâne, ou que la couleur de vos cheveux ou celle de votre peau ne leur revenait pas ». Tout le monde erre sans but précis. La vie des autres devient fiction et l’on suit leur existence car on ne pense plus la sienne. Toute révolte semble vaine au delà de la petite couronne. Mais dans l’ombre, des gens travaillent et mène une existence dont beaucoup en tire un profit sans se préoccuper de la condition de l’autre. Il y a un fossé profond entre deux sentiments que cependant l’auteur a bien su relier. Dans ce quartier, la solitude et la misère des gens à tous les niveaux s’échouent au bar « Les Barreaux » mais sont traitées cependant avec une certaine pointe d’humour qui donnent une vraie tendresse aux gens. L’effet pourrait essouffler le lecteur, cependant, il vient apporter une touche humaine au protagoniste : « Park Yun, elle, n’aimait personne. Park Yun était énervée. Elle était toujours énervée. Park Yun parlait beaucoup et n’écoutait jamais. Park Yun était en colère. Elle était toujours en colère. Park Yun voulait se marier mais ne voulait pas se marier. Park Yun voulait juste arrêter de se battre nuit et jour pour survivre. Park Yun était fatiguée et elle savait qu’elle n’avait pas le droit de le montrer sous peine de se faire piétiner ».
L’histoire se termine avec une chute inattendue…A cette occasion, l’écrivain nous fait un dernier clin d’œil : « Bordel de Dieu, ça allait être terriblement difficile de lui vendre cette histoire, à elle, aux autres, à vous et à n’importe qui, non ? »
« Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles » est un livre frais qui dépoussière le genre, une lecture qui tranche avec les lieux communs du genre. Ce polar se lit rapidement et vous permettra de passer un agréable moment avec des personnages qui malgré leurs défauts deviennent terriblement attachants.
Titre : Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles
Auteur : Yves Tenret
Éditeur : Éditions de la Différence
ISBN : 978-2-7291-2159-4

Yves Tenret
Par Virginie Tauzin

OBJECTIF POSTÉRITÉ

On ne l’avait pas repéré avant. Pourtant il ne se cache pas, au contraire : Yves Tenret, auteur prolifique, ne cracherait pas sur une plus grande notoriété. Le coup de projecteur révèle non pas une plume insoupçonnée mais un être singulier, complexe et romanesque. Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, son polar, est sorti en mars.

Peut-on être une légende ignorée de tous ? Une légende sans apparat ni richesse ni pouvoir ? Hélas oui. Yves Tenret s’en désole. « J’intéresse personne », dit-il droit dans les yeux, qu’il a très bleus et féminins. D’ailleurs, la première pensée qu’on a eue en le voyant, lui accoudé au comptoir de son bistrot de quartier, nous passant la porte des Barreaux rue Barrault, c’est qu’il s’en était maquillé le contour… Question de profondeur.
Yves Tenret est l’auteur de Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, polar chroniqué dans nos pages le mois dernier et sorti le 12 mars aux éditions de la Différence. Peut-être un petit succès chez les amateurs du genre et les habitants du 13e. Pour les autres, il reste à se demander qui se cache derrière cet alcoolique déambulant de Walter Milkonian, viré par sa femme et par le lycée qui l’emploie. Ça sent le vécu à plein nez, si bien qu’on s’attend à rencontrer un drôle d’oiseau. Et cet oiseau a dit, le plus sérieusement du monde, vers le milieu de l’entretien, « je me sens comme une légende vivante ». On pourra toujours pouffer, n’empêche que le ton de la confidence sincère, la gaucherie presque du bonhomme, rassurent. Son parcours est en effet celui de ces petites gens qui s’élèvent, poussés par le petit bonheur la chance et une violence intérieure qui enfonce les barrières.

Des quartiers chauds de Bruxelles à l’EHESS

Le gamin bruxellois grandit dans les internats de son pays. Le père est inconnu, la mère, qui bosse la nuit, l’éloigne. À la maison, quand il rentre, il a « des potes maquereaux, des potes truands… ».
Son beau-père d’origine arménienne organise des tournois de poker clandestins. Une vraie ambiance de polar. Pas vraiment enrichissante, pourtant : « Ma mère lisait Ici Paris et France Dimanche et essayait de me convaincre que c’était la meilleure lecture du monde, raconte Yves Tenret, alors mon savoir a été plutôt un empêchant qu’un atout, dans ma vie. » Dans Maman et Fourt, deux de ses précédents romans, il évoque sa Belgique d’enfance, où il ne retourne plus depuis que sa mère est morte. D’ailleurs, dès qu’il en est parti, à la vingtaine, il n’a plus jamais été question de faire machine arrière. C’est son service militaire qui l’y arrache d’abord, mais suite à une tentative de suicide et un séjour en hôpital psychiatrique, il se mettra à voyager sans se poser trop de questions. Israël pour suivre une nana, Rome où il fume du haschisch, Abidjan pour vendre un peu de tout… Tenret finit par atterrir à Lausanne où, après un bac passé en candidat libre à Strasbourg, il entame des études d’histoire de l’art qui le mènent jusqu’à un doctorat à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris, épaulé par nul autre que Pierre Bourdieu. Il aura ensuite été journaliste dans diverses revues en Suisse et en France avant d’accepter, il y a vingt-cinq ans, un poste de prof aux Beaux- Arts de Mulhouse, où il vit toujours une partie de la semaine. L’ascension sociale n’est pas allée sans son lot de tourments et de rechutes. « J’étais un petit voyou mythomane, une grande gueule, conte Tenret. Mais j’ai toujours rencontré des gens qui m’ont materné. Ils m’ont sauvé à des moments. »

7 dates
1948 : Naissance à Bruxelles
1973 : Premier livre à compte d’auteur, Un été
1979 : Arrivée à Paris et doctorat à l’École des hautes études en sciences sociales. Son sujet : la vie d’artiste dans le canton de Vaud, Suisse
1991 : Enseigne aux Beaux-Arts de Mulhouse et rencontre Magali, qu’il épousera en 2014, après vingt-trois ans de vie commune
1993 : Emménage dans le 13e arrondissement, d’abord rue de Patay, puis rue Guyton de Morveau
2004 : Parution de Comment j’ai tué la troisième internationale situationniste, son ouvrage le plus vendu
2015 : Sortie de Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, polar, aux éditions de la Différence

Deux dérapages, aucun souvenir

En vrac, l’écrivain cite Orwell, Sartre, Joyce, Baudrillard, Pound… Sa culture semble immense. Chez lui, les murs donnent l’impression de milliers de livres. Notre regard aura juste le temps de s’arrêter sur une étagère entière d’ouvrages de Guy Debord. On est loin de la littérature de sa maman… Yves Tenret connaît aussi les classiques du polar, même si ce n’est pas spécialement son créneau. Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles était une commande. Il s’y est pris au dernier moment, en se fixant un gros défi : si tu veux écrire ce livre, il faut que tu arrêtes de fumer. Par contre, pour compenser, il a bu plus que de raison. À son boulot, on s’en rappelle encore : le prof a comme qui dirait dérapé. D’abord en envoyant, une nuit qu’il était soûl, un mail à tous ses collègues (on n’en connaît pas la nature), ensuite en empoignant, toujours ivre, le sein d’une étudiante pendant un cours. De ces deux événements, il n’a aucun souvenir et écopera sans doute d’un blâme. Devant son café noir, ce matin-là, il rouspète de sa voix rauque : « Je souffre de ce côté caractériel qui me pousse à prendre le sein de cette fille ou à insulter Bourdieu. J’ai toujours été comme ça, j’ai du mal à me contrôler. Bourdieu disait que j’étais trop narcissique, mais il me préférait tout de même à tous les autres lèche-culs. »
À 67 ans, il a le look du repenti, propret mais qui laisse voir de l’indocile : crâne rasé sur sa base et boucle d’oreille. Il ne se départit pas de cette « forte sensation de bâtard. J’ai toujours l’impression d’être illégitime, ou même de ne rien faire, de ne pas en faire assez. » Une chose est sûre : en bon marxiste, il n’a jamais cherché l’épanouissement par le salariat. « J’ai été en prison toute mon enfance, ce n’était pas pour y retourner après », dit-il. Le plein temps aux Beaux-Arts, il ne l’a accepté qu’à l’arrivée de ses enfants, qui ont aujourd’hui 16 et 14 ans. « Les enfants, ça a été le gros choc, il fallait arrêter les conneries. » Déjà, quand il s’est maqué avec Magali, lui jeune prof de 41 ans, elle étudiante, les choses se sont cadrées. C’était la fin de la « légende ». Un temps, il se demande si, finalement, l’héroïsme n’est pas « dans la continuité, dans le fait d’élever ses enfants… » Puis se ravise, avec ce petit rictus qui montre qu’il n’y croit pas une seconde.

En attendant le chef d’œuvre…

Alors, Yves Tenret ne sait pas comment se dépatouiller avec ce côté automatiquement vantard de la légende vivante. Il est en train d’écrire ses mémoires et admet que ça cloche. « C’est très premier degré : j’ai couché avec machine, j’ai couché avec machine… » Et se demande : « Comment ne pas être ridicule ? » L’idéal serait que quelqu’un d’autre s’en charge pour lui. Mais il n’est pas assez connu, et ses nombreux écrits sont restés confidentiels. Avec Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, plus accessible, il vise large, en attendant son chef d’œuvre. « C’est mon but dans la vie. » On lui demande ce qui lui manque. « Il faut être prêt à tout donner », dit- il. Quand il sera à la retraite, ce sera plus facile. Pour le moment, il assure deux années de rab obtenues parce qu’il a deux enfants à charge. Et s’inquiète de sa future petite retraite pour un loyer de 800 euros au pied de la Butte.
Chez lui, il nous montre ses toilettes, où des centaines de Polaroïd s’accolent les unes aux autres, des centaines de photos d’enfants, et d’autres qui datent de l’époque où il avait les cheveux longs et Magali un visage d’adolescente. « Alors, pas mal le mec, hein ? » C’est marrant comme il est fier de présenter cet itinéraire familial. À l’image du Walter Milkonian de son bouquin, il y revient toujours. Décidément, il est en tous points comme son héros. ◄

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Le blog de Yv
Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles
Publié le 11 mai 2015 par Yv
Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, Yves Tenret, La Différence, 2015…,
Walter est un looser depuis quelque temps. Viré de son boulot de prof de dessin. Viré par sa femme Léa. Il trouve refuge chez son vieux copain César qui squatte une maison de la rue Buot, quartier de la Butte-aux-Cailles, treizième arrondissement de Paris. Walter traîne sa misère dans les rues et surtout au bar des Barreaux, chez Daniel. Il rentre tous les soirs bourré, se fait taxer du fric par César. Quatre copains meurent assez subitement, César n’était pas loin. Un massacre a lieu dans un salon de massage chinois dans le quartier, César est encore là. Coïncidences ? Walter commence à se poser des questions sur les arnaques de son pote.

Les éditions de la Différence ont lancé récemment une collection noire, qui débute avec ce roman et Les roses noires de la Seine-et-Marne. Entrée en matière réussie et originale, car ces deux romans ne sont pas des polars avec enquête, flic, enquêteur, mais plutôt des romans noirs, des romans d’ambiance. Pour Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, Yves Tenret place son roman dans un quartier de Paris, en pleine canicule. La Butte-aux-Cailles, Paris 13ème. Je ne suis pas Parisien -ça me va bien, ça me va bien-, je ne sais pas si l’auteur décrit ce quartier tel qu’il est réellement, un endroit où pas mal de zonards traînent, des alcoolos, des petits arnaqueurs, … des gens qui n’emmerdent pas les touristes -bon il n’y en a pas beaucoup, ce n’est pas un quartier avec des sites référencés. En plein cœur du Chinatown parisien avec ses restaurants, ses salons de massage, un endroit que Walter ne connaît pas bien ou plutôt qu’il connaît mais qu’il n’a pas vu évoluer. Le roman est centré sur Walter, sur ses déambulations dans les rues et les bars proches de son squat. Sur ses questionnements quant à sa chute vertigineuse jusque sur le trottoir, lui l’ancien prof qui vient de passer la soixantaine, sur son alcoolisme. Sur ses copains plus jeunes que lui morts rapidement. Sur le quartier qui change à vue d’œil. Yves Tenret en décrit les endroits typiques, la petite Russie par exemple, la vie dans Chinatown, la manière dont les affaires s’y règlent, les rivalités entre Chinois et Libanais. Il crée une belle galerie de personnages, Walter en tête, mais aussi César ou Daniel le cafetier, Park Yun la Coréenne qui ne supporte pas les autres Asiatiques…

Tout concourt à ce que le lecteur passe un bon moment et ait même envie de se promener dans les rues de la Butte-aux-Cailles. Yves Tenret enjolive son histoire avec une jolie plume dialoguée assez vivement, et dans des descriptions réjouissantes qui n’en finissent pas et qu’on aimerait prolonger, sortes d’inventaires, dont celle-ci que je ne peux pas vous citer entière, elle fait une page : « Dans la courette, au ciment badigeonné chaîné de brique rouge succédaient de savants appareillages avortés, ayant l’ambition d’accorder aux nuances dorées de la brique de Vaugirard, la douceur saumonée de celle de Dizy, des moellons hirsutes de pierres de taille, puis du béton peint, de la brique nue, (…) un petit palmier, des rhododendrons, des hortensias, du laurier, des œillets d’Inde, des géraniums rose magenta, (…) des cyclamens, une niche dans un mur -le tout à moitié fait, jamais fini, un vrai Frida Kahlo de climat tempéré, une promesse de bonheur, promesse usée par tous les bouts mais toujours débordante de sa prolifération organique d’origine… Résilience ! » (p.27/28)

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La Médiathèque Paul Valéry
21 août 2015
78440 GARGENVILLE

« Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles »
Yves Tenret
Editions de la Différence – 2015
Les principaux protagonistes de ce roman noir atypique sont des « loosers » haut de gamme ! Ils vivent d’arnaques, de combines louches, escroquent sans vergogne la société et grugent à qui mieux mieux les organismes sociaux. Des loosers…
Walter Milkonian, «plaqué » par sa femme, « viré » de l’Education Nationale parce qu’alcoolique notoire, « squatte » chez César, et traîne ses guêtres dans les quartiers de la Butte-aux-Cailles, dans le XIIIème arrondissement. Les deux compères y fréquentent la « zone », César « taxant » de «l‘oseille à son vieux pote toujours bourré ». Mais, il ne fait pas bon vivre dans le quartier : les copains meurent l’un après l’autre et, au petit matin, on découvre un carnage : 6 « macchabés » dans un salon de massage chinois à deux pas de chez nos anti-héros. Seul dénominateur commun à toutes ces morts suspectes : César ! Ce dernier ne semble pas très net et Walter commence à enquêter. Il fouine partout redécouvrant un monde qui a évolué plus vite que lui : les us et coutumes du quartier et de ses habitants bigarrés. La petite Russie côtoyant le quartier chinois en passant par les « Libanais, marocain, tunisien, algérien, tous du pareil au même. Ils parlent la même langue et ils s’entendent comme larrons en foire »… Nous bourlinguerons à ses côtés jusqu’à la chute qui nous laissera pantois…
Roman noir original et cocasse. Peinture au couteau d’une société décadente en mal de repère : des personnages laids et corrompus dans un monde avilissant où même la lumière devient « jaunasse, pisseuse, dégoulinante »… Un monde où il ne fait pas bon vivre peuplés d’anti-héros justifiant la prostitution des toutes jeunes filles, l’esclavage des émigrés, puanteur et pauvreté. Notre monde qui se meurt… Et pour nous conter la médiocrité, l’auteur utilise un registre familier voire grossier, distillant ça-et-là des métaphores grotesques et drôles, hypertrophiant et caricaturant nos idées préconçues.
L’humour au bout du stylo, un style emporté et imagé parodient à merveille une société bien-pensante en quête de vérité… Caroline Sabre
« Dans la courette, au ciment badigeonné chaîné de brique rouge succédaient de savants appareillages avortés, ayant l’ambition d’accorder aux nuances dorées de la brique de Vaugirard, la douceur saumonée de celle de Dizy, des moellons hirsutes de pierres de taille, puis du béton peint, de la brique nue… un petit palmier, des rhododendrons, des hortensias, des œillets de poète… et aussi un pommier d’amour, des fuchsias, des cyclamens, une niche dans un mur -le tout à moitié fait, jamais fini, un vrai Frida Kahlo de climat tempéré, une promesse de bonheur, promesse usée par tous les bouts mais toujours débordante de sa prolifération organique d’origine…Résilience! » (p.27/28)

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