Chut ! 3, 4

Textes de Yves Tenret autour de W. Borowczyk, E. Scola, du porno, des polars, de la pub, septembre 1977

Cinéma parlant.

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Servante et Maîtresse de Bruno Cantillon. Scénario : Dominique Fabre. Directeur de la photographie : Etienne Szabo. Musique : J.-M. Benjamin.
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Ce film est une grande histoire d’amour dans les bocages du Vésinet entre une bonne devenue patronne et un patron devenu larbin. Seulement faut pas croire que c’est facile d’être patron. Le film le montre, dans le fond (de l’âme), rien ne change. Ceci prouvé par un autre patron qui s’imagine avoir affaire à un patron pervers faisant passer la bonne pour la patronne et lui-même pour le larbin. Un des moments émouvants du film est la réplique du patron-larbin :
— Mais vous, vous preniez plaisir à être dominée.
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Et !… une femme est une femme et vice-versa. Où cela se complique c’est qu’elle veut se venger alors qu’elle prenait son pied, la salope! Le larbin-patron est un libertin et il jouit de son humiliation. C’est pas juste. Z’ont que des qualités, ces gens-là. Notre homme est même généreux : — Je reste, parce que je crois que vous avez besoin de moi et je vous empêcherai de vous détruire. C’est là qu’on voit que c’est un vrai patron dans le fond de lui-même car jamais un ouvrier ne dirait cela à son maître. Ce film est de la même veine qu’une demi-douzaine d’autres (Scandalo de Samperi, par exemple) qui évoquent des rapports sexuels entre le haut et le bas de l’échelle sociale. Un «60 m color-filme» zurichois les résume tous : Lady M. Très élégante et sophistiquée, Lady M est masochiste. Elle se fait battre, baiser et éjaculer dans la bouche par trois ouvriers dans une petite usine. Reste Histoire d’O. Les femmes aiment-elles être dominées ? Mauvaise question. Je préfère : ont-elles le choix ? «J’aime bien les mecs vieux, quarante ans. Je suis difficile. Ils m’excitent tous. Mais je sais qu’avec certains je ne serai pas bien, à cause de quelques réflexions qu’ils font qui me semblent anti-femme, qui me semblent cons et les mecs en font tellement. Ça me fait mal et jamais je ne pourrai rien accorder à un type comme ça. Une femme, d’abord, elle s’en sort par son sexe, par la prostitution très souvent. C’est mon arme et je ne voudrais pas l’utiliser contre moi. » (Xavière Gauthier, Dire nos sexualités, 1976).

Sadisme SS, (1960)
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Ce film est en matière polyéthylène ne polluant pas l’eau. Son incinération ne dégagerait pas de gaz nocifs ou de substances corrosives. A l’extérieur: 20 photos et une affiche. Les photos : d’affreux obèses brutalisent des jeunes femmes nanties de gros nénés. L’affiche, noire et rouge : « Dans l’enfer des camps de la mort, débauches et tortures monstrueuses. Le film qui a attendu pendant 20 ans son visa de censure et triomphe dans le monde entier. Fait entièrement avec les archives trouvées par l’armée américaine en 1945 ». A l’intérieur: beaucoup de lumpens. C’est moche mais c’est comme ça. Le lumpen, qui a une tendance à la moindre dépense libidinale, phantasme le gestapiste. Le film : un documentaire exécrable. La montée d’Hitler en 200 images assaisonnées d’un commentaire moralisant et apocalyptique. Puis, brusquement, cinq minutes de pornographie (les photos de l’extérieur). Donc lh.20 de mouvements de foules, de défilés militaires, d’avions lâchant des bombes, de tête du caporal, de camps de concentration, de charnier + 8 minutes de bassesses allusivement sexuelles donnent un film dans lequel la seule chose vraie sont les 10 francs que vous venez de donner à la caisse. Aïe ! Aïe ! Mes amis.

Tenret’s Polars Blues.

Edmond Naughton, JOHN McCABE, Carré noir 47 (tr. G. Sollacaro)
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A permis le film de G. Altman. McCabe est un joueur professionnel, un flambeur. Sa spécialité est le Stud Poker, forme de poker dans laquelle on distribue une carte retournée, puis quatre autres cartes découvertes. Les enjeux se font au fur et à mesure de la distribution. Il débarque un jour dans une petite ville de mineurs. Et rapidement, avec le pognon qu’il gagne au jeu, il ouvre un saloon dans lequel il vend, entre autres, de l’opium aux Chinois du bled. Avec l’argent de l’opium, il construit un bordel. Il devient donc, à Presbyterian Church, un personnage important et ça lui monte à la tête. Il est heureux, vit à la colle avec la Madame du bordel et rêvasse. Mais le destin va frapper. Le destin, c’est la Compagnie Minière de Snake River qui a décidé de racheter toute la ville. Un Suédois socialiste résume l’opinion des gens: «La résistance serait inutile, et pis encore,… Tout ce qu ‘il nous reste à faire, c’est d’attendre le verdict de l’histoire. Devait être un peu trotskyste, ce socialiste. McCabe n’est pas de cet avis et décide de résister. Un gentleman ne crache pas par terre. Il est interdit aux autres de le faire. C’est un bon bouquin.

TWENTY PRESIDENTS.

Helen McCloy (P. 1950), Les Losanges chantants, Détective: Dr. Basil Willing.
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McCloy commença sa carrière à l’âge de 14 ans. Elle vécut longtemps en Europe. Entre autres à Londres où elle tenait la rubrique artistique du New York Times. Presque tous les Présidents susmentionnés jouent aux hommes cultivés, elle semble l’être réellement. Elle utilise la culture d’une manière moins américaine, moins infantile et surtout moins art de masse. Elle fait, par exemple, une allusion intéressante à la Fortean Society (association fondée en 1931 qui rassemble de la documentation sur les horreurs de la nature, les disparitions, les cas de morts étranges, etc.). Le monde dans lequel évolue Willing, psychiatre de son état (on n’y échappe pas à celle-là), est un monde assez marrant d’intellectuels baudruches. Ainsi que le dit l’un des personnages de la nouvelle, la belle doctoresse en psychologie Tamara Radanine : Vous vous référez à des éléments de connaissance tels que vitesse,
vol en formation, sons sidéraux captés par radar — et même, situation politique! Ce qui est naturel, scientifique et américain. Ce qui, également, est bête.
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Anthony Boucher (P. 1951), Comme le comte Palmieri, Détective : Nick Noble (ne boit que du sherry).
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Malgré son nom. Boucher est aussi mou qu’Anne Sylvestre. Il s’agit d’une énigme assortie d’une pathognomonique de l’assassin qui permet une distance honorable. Comme les cruciverbistes ou les scrable-people, le lecteur de ce genre de choses se sent gratifié intellectuellement. Pauvre petits hommes…

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Cinéma parlant.

« Je crois que l’un des pays les plus démocratiques du monde, le plus démocratique d’entre les pays démocratiques, est la Suisse. Eh bien, la Suisse, comme l’Italie, n’a pas accordé ce droit aux femmes. Au cours de mes multiples pérégrinations, je n’ai jamais rencontré une seule femme qui m’ait réclamé ce droit de vote. Cela est tout à l’honneur des femmes italiennes (…) Ne nous perdons pas en vaines discussions sur la question de savoir si la femme est un être supérieur ou inférieur : nous constatons qu’elle est différente. Je suis plutôt pessimiste : je crois, par exemple qu’elle n’a pas une grande capacité de synthèse ni donc, un réel pouvoir de création spirituel. » Mussolini (1925)

Una giornata particolare. 1977. Ettore Scola. Scénario: R. Mascari & Scola & M. Costanzo. Photo: P. de Santis. Musique: A. Trovaiolo. Production: C. Conti.
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8 mai 1938. Dixième film des 2 monstres, ensemble. De Santis démontre une maîtrise remarquable.
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C’est bien de dire du mal du fascisme. C’est bien de montrer l’hilarant ballet de bras tendu dans une parfaite tragédie grecque accompagnée par une radio figurant le destin implacable. On ne dira jamais assez de mal du fascisme… en Italie… en 1938. On ne dira jamais assez de bien du football et de la Paix du Travail ? Le côté histoire racontée par intellectuels désaliénés à prolétariat abruti dans une Journée est un tantinet exaspérant. Circularité petite-bourgeoise. T’as remarqué, il cite Maria-Antonietta. En attendant elle (M-A.M. 10/18 1026) au moins accuse aussi la gauche, et sa peur devant les accusations de collectivisme sexuel.
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L’homme de droite machiste, essuyant ses pattes grasses sur la robe de sa dévouée compagne, et l’homme de gauche homosexuel, c’est peut-être un peu simplet, non ?
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Scola : A l’origine, mon histoire devait avoir lieu en 1977. Mais il était plus fort, pour montrer ce qui se passe de nos jours, d’expliquer que c’est un héritage du fascisme.
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Je vous laisse juge de la validité de cet argument. Il affirme, sans rire, avoir choisi Loren-Mastroianni, parce que leur personnalité est opprimée par l’industrie cinématographique comme les sens étaient opprimés par le fascisme. Quel farceur ! Un peu de caviar avec le champagne, M. Scola ? Le message : je veux frapper le spectateur… en lui disant : attention… tu n’as pas de chemise noire, mais comment es-tu avec ta femme ? Brusquement, je me demande à qui le spectateur peut s’identifier dans ce film ? A Mussolini, à Hitler, à Agnelli, à Marcello, à Sophia ? A la concierge ? Non, elle est trop moche. Au speaker de la radio ? Alors, c’t’identification, fasciste ou connasse/pédé ? Vous n’êtes pas obligé de répondre.

La pub : Autour d’une bouche. 1. Dix diapositives, Cynar… 2. Central film Zurich présente: (Migros 237 Fr., Coop 236 Fr., Denner 114,85 Fr.). Gauloiseries pour Gauloise. Bière suisse, jeune con suisse, facteur suisse, train suisse, campagne de la Suisse, torrent suisse, pont suisse, grand-mère suisse + commentaire : La bière suisse est bonne. Martini. 3. Frannafilms Tognola, Bally graveleux. 4. Denner. Le Super Discount Denner a dix Ans. Vive la margarine suisse moins chère chez Denner !

Les contes immoraux de W. Borowczyk. Mars 1975, il est interdit. Octobre 1977, il passe massacré par des coupures imbéciles. Entre deux la carotte qui tracassait Willi Heim est devenue concombre trapu. Contempler, lire, se branler sont sans doute les formes de révoltes les plus radicales qui soient. Le glandeur, à l’Est comme à l’Ouest, est l’homme nouveau. La dernière scène (Borgias) des Contes avant été particulièrement charcutée par de prudes ciseaux, je l’ai reconstituée pour vous rendre ce film, à ne pas manquer, intelligible. Chez la plupart des animaux supérieurs, la fécondation est interne. C’est au cours de la copulation que le mâle dépose ses spermatozoïdes dans les voies génitales de la femelle où l’ovule sera fécondée,; les spermatozoïdes seront introduits par le pénis, organe mâle de copulation, dans le vagin organe femelle de la copulation. C’est l’accouplement. L’ovule fécondée se développera dans l’utérus, organe de la gestation. Et n’oubliez pas d’emporter un chapeau, ou une casquette, ou à défaut un pull-over.

Tenret’s Polars Blues.

«L’amour affaiblit presque toujours un roman policier, car cela introduit une sorte de suspense contraire à la lutte du détective pour résoudre le problème… Un bon détective ne se marie jamais.» R. Chandler (1949)
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LARRY MOLDEN – Faridon en Floride, Poche noire 153 (tr. Duhamel & R. Martin).
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Six hommes et deux femmes, une brune et une blonde, dans une planque en Floride. La brute, poncif du genre, Yutzy, colosse au placide visage stupide ; Vito, le chien de garde, mi-homme mi-bête ; Lou, le caïd, le marlou; Annie, le frère cadet de Lou, obsédé sexuel ; Coff, le larbin cynique et Harry Joyce, l’avocat baraqué. La maison : 25 Pièces, piscine, jeux de quilles, court de squash, salle de billard, cinéma, salle de télévision, etc.
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Lou sait parler aux femmes. Quand il veut baiser, il dit à sa moitié:
— Allez, viens, poulette. T’es de service.
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Sa femme le déteste. On se demande pourquoi.
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Lou est planqué à cause d’une commission d’enquête sénatoriale. Les autres sont là pour lui dire qu’il est formidable. C’est un besoin chez lui. Quand Lou joue aux quilles, il compose deux équipes. Une bonne, la sienne et une mauvaise. Lou est mégalo. Il arrive à Lou, «d’être sentimental comme une vieille pute. » Alors… les autres vont se révolter. Coff baise avec Tosie (la femme de Lou) et cesse d’être cynique. Devait être drôlement abrégé le bouquin sur la psychanalyse qu’a lu Holden. Il y a un gag que j’adore : Lou pleure. Yutzy demande à Goff: « Qu’est-ce qu’il a ? » Goff : «Il a cassé la ficelle de son yoyo ». Yutzy réfléchit un long moment, puis dit: «Lou n’a jamais eu de yoyo… tu te paies ma tête ».
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Ce bouquin aurait pu être excellent si Holden ne l’avait pas pollué de
sentimentalisme. C’est un psychodrame «Vie d’Hitler» et l’auteur qui sait qu’il écrit pour des cons le précise même: «Hitler était pareil à Lou». Le bouquin qu’Holden a lu sur Hitler devait être encore plus abrégé que celui sur Freud. A ce propos, les romans policiers étaient sont interdits en URSS et dans les états fascistes. Pourquoi ? Parce qu’interdire c’est une manie. Une fois qu’on a commencé, on ne sait plus où s’arrêter.

TWENTY PRESIDENTS.

Par-dessus tout il aimait les rognons de mouton au grill qui flattaient ses papilles gustatives d’une belle saveur au léger parfum d’urine. J. Joyce Ulysse
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Georges Harmon Coxe (P. 1952), Faisceau de présomptions, Détective : Dr Paul Standish.
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Alors ils échafaudent des hypothèses qui s’écroulent les unes sur les autres, c’est humain, une langouste n’en serait pas capable. S. P. Standish est médecin légiste. Dans l’Enigmato le médecin est souvent employé en tant que professionnel de l’observation scientifique. La santé ou la vie de leurs patients dépendant, évidemment, de la justesse de leur diagnostic. Ils ont l’esprit d’observation, ainsi que la faculté de poursuivre de longs raisonnements causaux, hyper développés. Ils sont la science en marche à la découverte de la vérité. Ils n’opèrent bien sûr que pour le bien de la communauté, jamais pour de l’argent. Ils ne se trompent jamais, ...en plus d’un cas la solution d’un problème apparemment insoluble n’avait été trouvée que grâce au savoir étendu et aux méthodes scientifiques de Standish. Et cette nouvelle ayant été produite par « Eau de rosé, guimauve et Karitas S.A. » qu’en dire de plus si ce n’est que Standish est bon comme le pain blanc et que je suis le Don Quichotte de la critique dénotative contemporaine. Amen !

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