Chut ! 10

Textes de Yves Tenret, décembre 1977

Cinéma parlant.

Good bye Emmanuelle de F. Leterier. J’y ai fait allusion dans mon compte-rendu de Sex 0 Clock (in Chut! 2). Je reprends brièvement. Leterier, signataire de ce film, a réalisé Projection privée. Et j’enchaîne sur une critique personnalisée. A déconseiller aux gens qui apprécient Gainsbourg : il y a au maximum 3′ de musique; aux gens qui aiment le porno, quasi pas de sexe; aux gens qui aiment les voyages; aux gens qui n’aiment pas les ambiances colonialistes. A conseiller aux gens qui aiment lire des photos-romans, que la pub fait planer (Baccardi par exemple) et à qui les femmes objets font pousser des soupirs d’envie. Pour ma part, j’ai énormément apprécié les deux premiers mots du titre. Et ma voisine qui avait les mains si douées et intelligentes.
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Un autre homme, Lelouch. Le mari de Jeanne a été tué pour avoir poussé trop loin son goût du reportage photographique. La femme de Jimmy a été assassinée – après viol – par trois desperados. Leurs enfants sont dans la même pension tenue par une ancienne pute. Vont-ils se rencontrer ? Adorno parle dans son Esthétique de la différence humiliante entre une certaine forme d’art et la vie. Ce genre de démagogie est humiliant. On a honte d’être dans la salle. A titre d’hypothèse, j’avance que l’on peut sortir d’un Lelouch de deux façons :
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— réconcilié 3 secondes avec sa vie d’esclave.
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— misanthrope.
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Attention, il ne s’agit pas d’option. Le sentimentalisme est une manipulation infecte.

Bobby Dearfield. La pub pour Martini était tellement longue que je suis parti avant le film.

L’ami américain, de Wim Wenders. Au pinceau-néon-caméra l’exceptionnel R. Millier. Un peu comme le mythomane incurable qui, ayant menti une fois de plus se sermonne d’un «Ça y est, j’ai recommencé ! », je m’en veux lorsque je ne me suis pas ennuyé au cinéma. Les films qui m’emportent dans l’eau glauque des images qui bougent sont (par moi-je) mal vus ensuite. Les films auxquels j’adhère sont des films à trous. Lorsque je bouge sur mon siège, pense à autre chose, me gratte le nez, c’est bon signe, les films de ma subjectivité sont les films à espace vide. Je suis enchanté de ne pas recevoir de la bouillie précuite. Je trouve normal que l’on me livre un trajet en pointillés. Charge à moi de remplir d’imaginaire ou de réflexion le vide-cadeau (cahier vierge). La plupart des films encadrent le spectateur de façon aussi flicarde que les animateurs du Club méditerranée. Je n’aime pas être encadré. Wenders ne m’encadre pas. Il me mitraille néanmoins de clins d’oeil. Il ne joue ni sur ma curiosité, ni sur mon attention. Il m’arrache des sourires et encore des sourires. Il s’agit d’un film cinéphilique. Narboni dit la cinéphilie fondamentalement homosexuelle. Cela fait un sourire de plus à porter au crédit de Wenders. Le juif dans le métro c’est D. Schmidt. Le peintre à New York c’est Nicholas Ray. Eustache fait de la figuration. Hoppes renvoie à Easy Riders, rapprochement renforcé par le fond folk sur la seule vue de campagne (fenêtre du train). Ray montre la maturité de l’artiste moderne qui accepte de figurer le vieux dans l’expression Place aux jeunes !
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« Seulement, il y a perversion et perversion, et celle de Wenders est infiniment plus sympathique que celle d’un Bertolucci. Disons que pour Bertolucci, cette perversion n’est rien d’autre que l’envie de se mesurer à la quéquette de celui qui, un jour, s’identifia à jamais à Johnny Guitare. D’où une manière de règlement de compte consistant à faire apparaître dans Novecento la bite de Sterling Hayden. » (Narboni).

Et celui qui doit être un créateur dans le bien et le mal; en vérité celui-là doit d’abord être un anéantisseur et briser des valeurs. F. Nietzsche

Cavani. Par delà le bien et le mal . La simplicité du texte de Nietzsche, sa grandeur, est jusqu’à la fascination, sans images et sans souvenirs. Alors voir courir un pantin ridicule cela surprend. Bien qu’étant un film à trous Par delà… m’a rappelé un propos de Hegel. On dit qu’il n’y a pas de grands hommes pour le valet de chambre. Ce n’est pas à cause du grand homme mais à cause du valet de chambre. Admis qu’il s’agit d’un film sur Lou Andréas. Un phénomène anecdotique mais surprenant: causant avec des gens de ce film, ils me rapportaient tous l’écho de la rumeur publique flairant un scandale sous forme de sexe. Là, vous posez les coudes sur la table, vous vous frottez les yeux et dans la phylactère qui apparaît au-dessus de votre tête, nous lisons : Quel sexe ? Et oui… Un courrier des lecteurs n’est jamais qu’une autre façon, pour les journaleux, de s’exprimer. Ils choisissent les lettres comme on choisit les mots lorsque l’on écrit. De plus cela fait libéral. Voici une lettre publiée par TLM le 4 décembre 1977 : «J’ai vraiment honte. A propos du film de Liliana Cavani, Au-delà du bien et du mal. Pour la première fois de ma vie j’ai vraiment regretté l’argent consacré à ce film vraiment scandaleux. Je n’admets pas de telles scènes obscènes et qu ‘une femme en soit l’auteur est vraiment un comble ! J’ai vraiment honte de faire partie de ce sexe-là. Aussi, j’exige que ce film soit censuré en Suisse. » Raymonde Dubois.
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Que de honte, ma pauvre madame Dubois. Ce que vous ressentez, c’est ce que j’appelle «la force du désir». Vous désirez tellement fort que vous en vomissez. Quel désir ! Faites-vous sodomiser un peu, ma pauvre Dubois et vous verrez que vous n’appellerez plus à interdire. Good, good, good vibrations. Au delà est un film qui a un réfèrent très riche. Il faudrait écrire 12 pages pour en parler. Deux, trois choses quand même. Nietzsche est né le 15 octobre 1844. En 1849 son père meurt. Il fait la connaissance de Wagner en novembre 1868. En mars 1882, il est en Sicile. En avril il rencontre Lou Salomé. En automne, il rompt avec elle. Le 13 février 1883, Wagner meurt. En 1885, Lama, la soeur, se marie. En 1889 il est interné pour maladie mentale et onze ans plus tard, il meurt. Andréas Salomé et Nietzsche et Ré et Rilke et Freud (50 ans). Rilke le premier avec qui elle couche à 40 ans en 1897. Ouais ! J’en recauserai… promis. Je manque un peu de place. Alors, à la prochaine…

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