Chut ! 1

Textes de Yves Tenret - septembre 1977

Les chroniques de « Chut ! »
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Cinéma parlant, Tenret’s Polars Blues, « Chut, hebdo » n°1, Yverdon, septembre 1977.

Cinéma parlant

Courez-y ! BUACHE
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N’y allez pas ! TENRET
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Groucho est mort, mais Marx est toujours vivant, E. Mandel

« TROIS CONNES » de R. Altman.

Un moment du temps. Trois connes. Clean is sexy. Une vision de l’aliénation de la femme aux States. Ça a l’air pire qu’ici, alors arrêtez de vous plaindre ou on vous envoie toutes là-bas. C’est du cinéma américain, style revue de mode qui se mettrait à bouger: gros plan, gros plan, gros plan. Deux, trois inserts bleuâtres, de peintures et de mosaïques, très spectaculaires, trucs trouvés dans les poubelles du cinéma expérimental une fois de plus récupéré par le premier épicier venu. C’est un film complexe, disent les critiques. Et ta sœur, elle est complexe? C’est un film aux effets faciles, téléphonés, basé sur l’habituelle complicité collante qui conforte le spectateur dans l’idée que le phallo, le con, la femme, c’est l’autre. La première conne a les dents en avant et est atteinte de superficialité aiguë. C’est un modèle tout aussi courant ici que là-bas. La deuxième conne c’est l’enfance, taches de rousseur, etc. Mon dieu comme c’est bête et mignon. La troisième conne, c’est la femme mûre même un peu blette qui connaît la vie, fait de l’art et subit un gros porc vieillissant. Comme dit BUACHE, ALTMAN est un poète qui critique la vie moderne. Par exemple en montrant que ces cons d’amerlocs boivent du vin dans des verres en plastique. Bé! Résumons: film long, emmerdant, sur un sujet à la mode (le féminisme). Une oeuvre d’art en quelque sorte.

Tenret’s Polars Blues.

« – Tu pourrais, dit Ken. Tu pourrais ! On a justement là au violon un gars qu’on a attrapé en train de satisfaire une truie.
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– Ça alors, je veux bien qu’on me les pèle. J’ai déjà entendu raconter des trucs pareils, mais personnellement, j’en ai jamais connu.
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– Et qu’est-ce que vous allez lui mettre, comme motif ? Je demande.
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– Viol, peut-être, répond Buck.
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Ken le regarde d’un drôle d’air et il dit que non, devant le juge, ça ne tiendrait peut-être pas :
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– Après tout, il pourrait prétendre que la truie était consentante et alors, on serait frais ».

J. THOMPSON – « 1 275 ÂMES », S.N. n° 1000, (tr. M. Duhamel).

C’est sûrement l’un des vingt meilleurs Série noire. Il est tellement bon que Duhamel a écrit une courte préface pour s’excuser. «Jim Thompson n’est pas un auteur drôle. Habituellement, ce qu ‘il écrit est nettement couleur d’encre. Cette fois, il y a choisi le noir absolu, couleur de néant. C’est proprement insupportable, inacceptable presque. Mais le paquet est si habilement présenté… » Ensuite, toujours dans cette préface, il compare Thompson à Miller, Céline, Jarry, Caldwell et même à Lautréamont. Je ne sais pas ce que vous pensez de ce genre de comparaison mais moi je trouve ça complètement idiot depuis le jour où j’ai dit à Pajak qu’il dessinait aussi bien que Michel-Ange et qu’il m’a répondu:
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– Miguel Ange, c’est l’Argentin qui dessine dans Charlie?
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Thompson nous raconte l’histoire de Nick Corey, sheriff à Pottsville. Corey est un péquenot qui sous un air stupide est malin comme une belette. Plus matérialiste vulgaire qu’un belge («Ensuite, je m’habille des dimanches, je mets mon Stetson à soixante dollars, mes bottes à soixante-quinze dollars et mon blue-jeans à quatre dollars»), il flingue directement ou indirectement six personnes en toute bonne conscience. Il a une haute idée de ses fonctions :
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« Shérif, c’est tout ce que je sais faire. Autrement dit, rien du tout. Si j’étais pas shérif, je n’aurais plus rien et je ne serais plus rien. » Pottsville est un bled du «deep South» où bien sûr se pose le problème de la coexistence des communautés noires et blanches. Pour les blancs, les nègres n’ont pas d’âmes parce que les nègres ne sont pas des gens puisqu’on dit des nègres et pas des gens en parlant d’eux.
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« 1 275 âmes » est un bouquin plein de gags énormes du type un mec qui dit à un autre : «Fous leur un coup de pied dans les roupettes», l’autre répond «Mais ça doit faire terriblement mal» et le premier de conclure : « Si tes bottes sont pas trouées, cela ne peut pas te faire mal».
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Le chapitre IX, sur les élections, serait digne de figurer dans une très bonne revue anarchiste (si cela existe). De même pour la rencontre entre Cordey et Barnes de la célèbre agence de police privée Parkington.
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« Bien honoré de vous connaître, je lui dis… J’ai assez entendu parler de vous autres ! Voyons voir, un peu… c’est bien vous qu’avez brisé c’te fameuse grève des cheminots, pas vrai ?
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– C’est ça… La grève des cheminots, entre autres choses, c’était nous.
– Bougre de bougre ! Il en fallait, du cran ! Tous ces cheminots armés de morceaux de charbon et de seaux d’eau, et vous qu’aviez pour vous défendre que des fusils de chasse et des carabines à répétition. Fichtre oui, fallait en avoir ! C’était du beau travail, je le reconnais ! »

LES DÉBOUSSOLÉS John CroweS.N. 1643 (tr. M. Charvet)

«Il serait temps à présent que je dise quelques mots des principes de l’assassinat en vue de diriger non votre pratique, mais votre jugement. Pour les vieilles femmes et la tourbe des lecteurs de journaux, ils se satisfont de n’importe quoi, pourvu que ce soit assez sanglant. Mais un esprit sensible exige quelque chose de plus »
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Thomas de Quincey

Un peu de tout : came, races, fédéraux, sexe, un communiste, etc. Le tout effleuré et parsemé de freudisme de drugstore. Une écriture qui ne se laisse pas survoler, qui est un peu pâteuse. Un métis, qui a beaucoup voyagé et qui dit des choses profondes (c’est-à-dire parle comme l’américain moyen imagine que parle l’indien moyen).
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« – Dans les bars, les gens sont alignés en files, leurs bras montent et descendent, ils surveillent la pendule pour voir s’il n ‘est pas l’heure de rentrer. A Chicago, il y avait un type qui repeignait un pont. Il commençait par un bout et quand il arrivait à l’autre, il n’avait plus qu’à recommencer. Tous les jours, il ne faisait rien d’autre que repeindre le pont. Ça lui était égal. Le danger qu’il courait ne le tracassait pas. La seule chose qui lui déplaisait, c’était de se lever à cinq heures du matin. »
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Un juge dans le style du général Dodge (« Blueberry ») qui veut réconcilier les communautés raciales. Mais donneriez-vous votre fille à un Indien? Et bien le juge non plus. Et le métis, grand baiseur (évidemment), camé (peyotl), monstre (mais pouvant être très tendre) et néanmoins innocent est condamné à aller à Saint Quentin. Mon Dieu que le monde est injuste.
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« -Vous allez étudier le droit, à ce qu’on dit? – C’était mon intention, dit Moser. Mais maintenant… ? Le soir où on vous a sorti de la mine, pendant le trajet de retour dans la voiture de patrouille, je me suis dit que je ne savais même pas quel boulot je faisais. Je pouvais continuer comme ça toute ma vie sans jamais voir ce que je faisais. Faire mon boulot, rentrer chez moi, boire une bière, aller au cinéma, me coucher, me lever, recommencer et faire mon boulot sans jamais savoir ce que je faisais vraiment.
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– C’est moche, dit Natchez.
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– Oui. »

VIVEMENT DIMANCHE ! Charles Williams S. N. 816 (tr. M. Frère)

Bon ben je me suis dit: «Mon petit Tenret, qu’est-ce que tu peux faire à une heure du matin, entre deux émeutes, dans un village de cent vingt mille habitants. Lire un polar, pardi ! »
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Williams est l’auteur du justement célèbre Fantasia chez les ploucs. C’est un type qui connaît son boulot. Une fois l’un de ses livres commencé, impossible d’arrêter.
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Vivement dimanche est un livre dont les quatre premiers chapitres sont excellents. Ils relatent dans une ambiance de jalousie naissante, un suspens qui n’est pas piqué des vers. Les autres chapitres sombrent dans la mièvrerie. L’assassin est évidemment un citoyen irréprochable.
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– Ce que les gens sont hypocrites, Mme Dumuche.
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– Comme vous dites, Mme Ducon.
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Une anecdote en passant, Williams doit sacrement aimer les courses de chevaux. Pendant les trois quarts du bouquin, il laisse entendre qu’une jeune femme, prénommée France, a un sacré vice, qui lui a coûté une sacrée somme d’argent. Et au détours d’une page, il annonce la couleur en deux mots: les courses.

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